La CFDT veut faire entrer des salariés au conseil d'administration de la Sacem

La CFDT veut faire entrer des salariés au conseil d'administration de la Sacem

11.03.2024

Société civile au statut particulier, la société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) comporte un conseil d'administration mais pas d'administrateurs salariés. Premier syndicat de la structure, la CFDT défend au contraire la présence des salariés dont elle veut faire entendre la voix dans la gestion de la société. Une volonté qui se heurte pour l'instant à la loi existante et à la position de la direction.

"Nous sommes légitimes à demander deux salariés au conseil d'administration, mais il nous reste à l'obtenir en droit", affirme Laurent Boulanger, délégué syndical CFDT (principal syndicat de la société) depuis cinq ans et élu au CSE de la Sacem. Soucieux de ne pas se mettre en avant à titre personnel mais de porter une parole collective, il œuvre de longue haleine pour obtenir des places d'administrateurs salariés dans le conseil d'administration de la Sacem.

Si cette volonté peut en effet apparaître louable, elle se heurte à un oubli de la loi Pacte de 2019 et à la forme juridique de la Sacem : ne disposant pas de conseil d'administration, les sociétés civiles ne peuvent en principe pas accueillir d'administrateurs salariés, dont la présence se limite aux conseils d'administration des sociétés anonymes. La Sacem présente à cet égard un statut particulier : elle dispose d'un conseil d'administration dont les salariés sont à ce jour exclus.

La Sacem, une société civile à but non lucratif

Fondée en 1851, la Sacem a pour objet de collecter et répartir les droits d'auteurs au profit des artistes. Les auteurs peuvent ou non en devenir sociétaire. Réunis en assemblée générale, ils se prononcent sur le rapport du gérant. Un Conseil de surveillance de 6 membres contrôle l'activité et les missions du conseil d'administration. Ce dernier est composé de 19 membres sociétaires et d'aucun salarié. La Sacem en emploi pourtant 1 300, ce qui est supérieur au seuil de 1 000 salariés requis par la loi Pacte de 2019. Le "hic", c'est que la Sacem est une société civile, non une société anonyme.

Les conditions requises par la loi pour la présence d'administrateurs salariés

En 2019, la loi Pacte a revu les critères gouvernant la présence de salariés dans les conseils d'administration. Elle a notamment inclus les mutuelles qui n'étaient pas visées auparavant. "On a loupé le coche à ce moment-là", se désole Laurent Boulanger, qui veut tenter de convaincre le gouvernement actuel et les députés Renaissance de la pertinence d'inclure les sociétés civiles dans l'obligation d'administrateurs salariés. L'article 184 de la loi Pacte a en effet modifié les seuils des articles L.225-23 et L.225-71 du code de commerce.

Désormais, doivent être nommés :

  • au moins 1 représentant des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance comportant jusqu’à 8 membres (contre 12 auparavant) ;
  • ou  au moins 2 représentants des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance comportant plus de 8 membres (contre 12 auparavant) ;​

et ce dans les sociétés anonymes employant, à la clôture de deux exercices consécutifs :

  • au moins 1.000 salariés permanents dans la société et ses filiales françaises,
  • ou au moins 5.000 salariés permanents dans la société et ses filiales françaises et étrangères.
Les effets positifs de la présence de salariés au CA

"La finalité de notre démarche est de faire entrer la voix des salariés dans les prises de décision. Ils sont tout autant intéressés que les administrateurs à la pérennité de la société, ils sont experts des sujets et peuvent fourbir de nouveaux éclairages notamment sur le numérique ou la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise", argumente Laurent Boulanger. Un mode de démocratie sociale, poussé en Allemagne jusqu'à la "co-détermination" (ou "co-gestion) loin de faire l'unanimité chez les dirigeants d'entreprises en France, ni pour le gouvernement. En septembre 2022, un rapport parlementaire sur les effets de la loi Pacte a été remis à l'exécutif avec cette conclusion : les effets de la présence de salariés dans les conseils d'administration sont positifs, mais n'allons pas trop loin trop vite. Bien que  les conséquences sociales de certaines décisions soient mieux mesurées par les administrateurs grâce aux salariés, avec des effets sur le management et la performance de l'entreprise, pas question d'augmenter le nombre de salariés dans les CA (lire notre article).

La direction de la Sacem refuse mais s'ouvre peu à peu

De son côté, la direction de la Sacem voit la présence de salariés dans le CA comme une menace sur son identité car elle a toujours été gérée uniquement par ses sociétaires. S'il soutient également le principe des administrateurs salariés, Laurent Séville, délégué syndical CFE-CGC et élu au CSE note pour sa part quelques ouvertures du conseil d'administration depuis cinq ans : "A quelques occasions ponctuelles, les représentants du CSE au conseil d'administration, dont je fais partie, ont été invités comme observateurs. Depuis environ un an et demi, on nous propose de prendre la parole en fin de réunion, même si cela reste limité".

De même, les élus ont été reçus à leur demande par le président dans le cadre de la commission économique du CSE. Aux dire des élus CFDT et CFE-CGC, le dialogue social fonctionne plutôt bien dans la société. Selon Laurent Boulanger, l'unanimité des membres de la commission du CSE a renoncé à ces entretiens en 2023 "compte tenu de la pauvreté du dialogue".

Des administrateurs pour compenser un CSE aux pouvoirs réduit ?

Comme le savent tous les élus du personnel quelle que soit leur entreprise, les avis du CSE, qu'ils soient positifs ou négatifs, n'ont qu'un impact limité : les dirigeants peuvent ne pas en tenir compte. Le CSE ne dispose de plus d'aucun droit de veto sur les projets de la direction. Les administrateurs salariés pourraient-ils compenser ce phénomène ? Pas tellement dans la mesure où même s'ils sont admis dans les conseils d'administration des sociétés anonymes, ils n'y disposent que d'un pouvoir de vote limité à leur nombre qui les maintient donc dans la minorité.

La présence des salariés revêt plutôt un caractère symbolique, actant la prise en compte de voix de terrain, les salariés pouvant présenter de fortes compétences sur des sujets qui composent leur travail au quotidien. Un point de vue défendu par l'avocat Jonathan Cadot qui soutient la démarche de la CFDT : "Certes, les élus récupèrent de l'information via le CSE mais ce qu'on entend au CA n'est pas du même niveau. Aujourd'hui, on sait que la présence d'administrateurs salariés fonctionne plutôt pas mal. Après, on trouve toujours des raisons statutaires pour que les salariés ne viennent pas entendre ce que disent les administrateurs". Selon lui, le vrai sujet consiste dans la confidentialité des échanges du conseil d'administration : si un salarié les fait fuiter, le conseil risque de tenir des "réunions fantômes" sans lui.

Une démarche de "soft power"

Pour l'instant, le syndicat CFDT de la Sacem ne souhaite pas d'opposition frontale avec la direction et vise plutôt une démarche de "soft power". Il a reçu le soutien de la fédération communication conseil culture de la CFDT, le syndicat national des artistes et des professionnels de l'animation, du sport et de la culture (Snapac) a diffusé une lettre ouverte (en pièce jointe) dans laquelle il s'interroge : "Pourquoi nos administrateurs auraient-ils peur de partager les réflexions sur les intérêts supérieurs avec toutes les parties prenantes de l’entreprise ?". Le lobbying reste donc pour l'instant la voie privilégiée, avant de s'adresser directement au gouvernement et aux parlementaires pour tenter d'arracher une modification législative.

 

Marie-Aude Grimont

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