Réunis en visioconférence par l'Ajis, les partenaires sociaux ont tous exprimé hier une forte défiance à l'égard du gouvernement, accusé d'avoir décidé seul des mesures d'urgence durant la crise sanitaire. Syndicats et patronat s'inquiètent des évolutions de la prise en charge de l'activité partielle.
Comme souvent, l'argent étant le nerf de la guerre, un dispositif cristallise les crispations des partenaires sociaux à l'égard du gouvernement : l'activité partielle ou, comme on voudra, le chômage partiel. Il y a quelques jours, l'exécutif a annoncé sa volonté de modifier le régime d'activité partielle pour avoir à terme deux dispositifs : un général et un autre de longue durée, plus favorable, subordonné à la conclusion d'accords de branche ou d'entreprise comprenant des engagements sur l'emploi (voir notre article). Une intention aussitôt concrétisée, sans information préalable des partenaires sociaux, dans un projet de loi que vient de voter le Parlement.
Reste à savoir quelle sera la hauteur du soutien public aux entreprises, notamment dans le régime général. L'information des Échos, publiée hier, selon laquelle le gouvernement envisageait de baisser à 60% la prise en charge de l'allocation versée aux salariés (contre 84% actuellement) à partir de juillet a suscité les foudres des partenaires sociaux réunis hier matin en visioconférence à l'initiative de l'Ajis, l'association des journalistes de l'information sociale.
Organisations syndicales et patronales représentatives (*) ont toutes exprimé une forme de colère devant ces "fuites", et marqué une forme d'indignation à apprendre l'existence de dispositifs ou d'ordonnances en lisant la presse. Bref, pour François Hommeril, le président de la CFE-CGC, comme pour Yves Veyrier, le secrétaire général de FO, non seulement la méthode de l'exécutif introduite en 2017 par les ordonnances Macron et par la main mise de l'Etat sur l'assurance chômage n'a pas changé, mais le gouvernement a "profité" de la crise sanitaire pour zapper la concertation obligatoire des acteurs sociaux en cas de modifications du droit du travail et de la négociation professionnelle pour imposer des changements sans véritable prise en compte des avis des organisations syndicales et patronales.
Sur le fond, les partenaires sociaux sont opposés à une baisse du financement public du chômage partiel. Il faut soutenir les emplois et les salaires afin de ne pas risquer une moindre reprise, ont-ils tous souligné. Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, a invité le gouvernement à la prudence, d'autant que les chiffres sur le nombre de salariés effectivement couverts par l'activité partielle ainsi que son coût restent pour l'heure incertains, et qu'ils pourraient également être moins élevés qu'attendu, sous-entendu, pas besoin de baisser le financement public pour diminuer la facture.

Quant au dispositif contractuel pour favoriser le maintien dans l'emploi, le responsable patronal juge qu'il concernera tout au plus un millier d'entreprises industrielles, celles qui ont des cycles longs et prévisibles et qui peuvent donc négocier des engagements durables de maintien dans l'emploi, et il ne faut pas empêcher les autres de s'adapter en négociant sur le sujet. "Le dialogue économique et social doit se mener dans les entreprises, avec des engagements fermes sur l'emploi", a pour sa part jugé Laurent Berger (CFDT) tandis que Cyril Chabanier (CFTC) a insisté pour que ces accords soient conditionnés "à une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences" (GPEC).
Mais si organisations syndicales et patronales s'accordent à fustiger le cavalier seul de l'exécutif, elles sont bien en peine de s'entendre pour imposer une voix commune, comme l'a regretté, à propos de l'assurance chômage ou de l'emploi des jeunes, Laurent Berger. Pourtant, il y aurait du grain à moudre pour les partenaires sociaux avec la perspective des discussions sur la santé au travail, qui s'ouvrent lundi 15 juin, et sur le télétravail, avec un dialogue déjà entamé. Mais...patatras, les parties en présence divergent quant au but à atteindre.
Certains syndicats, comme FO, attendent une vraie négociation interprofessionnelle débouchant sur un accord national interprofessionnel (ANI). Pas si vite, leur répond le Medef. Si Geoffroy Roux de Bézieux est le premier à vouer aux gémonies Charlotte Lecocq, la députée qui veut présenter son propre texte pour réformer les services de santé au travail (lire son interview), c'est d'abord parce qu'il ne veut pas que le gouvernement impose sa donne sur un sujet très sensible, quasiment un pré-carré.

De là à revaloriser la négociation à l'échelon national...il y a un pas que le président du Medef se refuse à franchir. Il a redit hier sa préférence pour des accords d'entreprise voire de branche et sa nette défiance pour les accords nationaux interprofessionnels (ANI), jugés trop rigides. A ces "ANI" qui fixent des normes, il préfère des positions paritaires laissant davantage de souplesse aux entreprises. "Si c'est pour fixer les critères du télétravail à l'occasion d'un pandémie, d'accord, mais sinon, une position paritaire est préférable, car les différences sont considérables d'une entreprise à l'autre", a indiqué le président du Medef. Quant à la CGT, Philippe Martinez est d'accord pour relancer le dialogue social, mais il s'interroge : "Quand l'Etat nous dit de négocier sur l'assurance chômage tout en nous imposant le résultat des négociations, on peut faire des efforts, mais on est sous cloche".
Sur les autres dossiers chauds du moment, les syndicats jugent qu'il appartient au gouvernement d'abandonner sa réforme de l'assurance chômage, même si Geoffroy Roux de Bézieux a lancé : "Ne faisons pas comme si rien ne s'était passé ces derniers mois. On voit bien que l'Etat a pris la main et on ne reviendra pas à la gestion paritaire des années 80".

Mêmes discours sur la réforme des retraites, Laurent Berger invitant le président de la République, qui doit s'exprimer ce dimanche, à ne pas relancer ce sujet. "On ne va pas se remettre sur la figure pendant des mois au sujet de la réforme des retraites", a-t-il imploré quand d'autres ont souligné le caractère relatif des économies à trouver à court terme pour assurer l'équilibre des régimes au regard de la montagne de dette que l'Etat et la Sécurité sociale sont en train d'accumuler.
Pour la CFTC, Cyril Chabanier aimerait sauver de la réforme des points jugés positifs (abaissement de l'âge de la retraite à taux plein pour certaines catégories, minimum contributif, etc.).Sur ce sujet, François Hommeril (CFE-CGC) a été le plus lapidaire : "L'avenir de la réforme des retraites, c'est le placard, c'est là où elle sera le mieux".
Avec la fin de la crise sanitaire doivent aussi prendre fin toutes les mesures exceptionnelles concernant les libertés publiques et le droit du travail, a demandé Laurent Berger (CFDT), et il ne faut pas oublier la revalorisation des métiers qui ont su tenir le choc pendant la crise (caissières, femmes de ménage, etc.) a insisté Yves Veyrier (FO) comme Philippe Martinez (CGT) : "Les aides à domicile ont eu un rôle crucial avant l'hôpital, mais on n'en parle plus".

Ce sujet pose globalement la question de notre organisation économique, a enchaîné François Hommeril (CFE-CGC) en souhaitant que les syndicats soient davantage écoutés par le ministre de l'Economie. Et ce dernier de prendre cet exemple : "En 1970, l'agent de sécurité, le cuisinier et la femme de ménage du site de Sandouville étaient salariés de Renault. Tout cela a été démantelé et la sous-traitance a été exclue du partage de la valeur".
Dernier point abordé hier : les manifestations contre le racisme. Ce fléau concerne aussi le monde du travail, a plaidé Laurent Berger tandis que Yves Veyrier (FO) a appelé à éviter les simplifications du genre "la police est raciste, l'Etat est raciste, les Français sont racistes".
Reste maintenant à voir ce qu'annoncera éventuellement le président de la République dimanche, notamment sur le terrain du droit du travail et de la négociation collective. Mais François Hommeril ne croit plus à ces grands discours : "Il y a eu un moment de prise de conscience, presque une euphorie, pendant la crise sanitaire, avec des grandes paroles et des applaudissements tous les soirs pour les soignants, mais la crise sociale qui s'engage a rapidement remobilisé les réflexes de l'ancien monde".
(*) Manquait à l'appel la CPME, qui aborde de façon plus favorable que le Medef la question des accords interprofessionnels, François Asselin ne pouvant participer à cet échange.
Quid des parents dont les enfants ne sont pas accueillis à l'école ?
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Au nom des artisans et professions libérales, Alain Griset (U2P) s'est interrogé sur le maintien de règles sanitaires complexes à appliquer pour les entreprises. Le responsable patronal a également souligné que l'Éducation nationale étant dans l'incapacité d'accueillir tous les enfants, les parents et leurs employeurs devaient être correctement indemnisés afin de sauver les entreprises et les emplois. |