La loi ASAP ou l'accélération du partage des données personnelles de santé

20.12.2020

La loi d'accélération et de simplification de l'action publique fait évoluer les règles encadrant le dossier médical partagé et le dossier pharmaceutique.

Il n’aura échappé à personne que l’acronyme « ASAP » peut désigner aussi bien la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique que l’anglicisme « As Soon As Possible ».
S’agissant du dossier pharmaceutique et du dossier médical partagé, le surnom donné à la loi d’accélération et de simplification de l’action publique est particulièrement approprié.
En effet, elle marque un coup d’accélérateur au partage des données de santé, en modifiant les conditions de création et d’alimentation du dossier pharmaceutique, d’une part, et en assurant une meilleure convergence entre l’espace numérique de santé et le dossier médical partagé (DMP), d’autre part.
Modification des conditions de création et d’alimentation du dossier pharmaceutique
Les articles 91 et 92 de la loi ont trait au dossier pharmaceutique.
Le premier instaure l’ouverture automatique du dossier pharmaceutique sauf opposition de son bénéficiaire ou du représentant  légal de ce dernier. Comme pour le partage des données personnelles de santé entre membres d’une même équipe de soins, au sens de l’article L. 1110-12 du code de la santé publique, et comme pour l’espace numérique de santé, l’ouverture du dossier pharmaceutique et son alimentation ultérieure ne nécessitent donc plus le consentement exprès de l’intéressé. En revanche, celui-ci doit être informé de l’ouverture de son dossier pharmaceutique, des conditions de son fonctionnement, des modalités de sa clôture et des modalités d’exercice de son droit d’opposition, préalablement à l’ouverture du dossier.
Le second oblige les pharmaciens exerçant dans une pharmacie à usage intérieur à consulter et alimenter le dossier pharmaceutique lorsque les systèmes d'information de santé le permettent. Ce qui n’était jusqu’ici qu’une faculté devient donc une obligation. Tous les pharmaciens, qu’ils exercent dans une pharmacie d’officine ou dans une pharmacie à usage intérieur, sont ainsi désormais tenus d’alimenter le dossier pharmaceutique.
L’objectif du législateur est à l’évidence de favoriser la création et l’alimentation du dossier pharmaceutique, gage de continuité et de sécurité des soins.
Meilleure convergence entre l’espace numérique de santé et le DMP
L’article 98 de la loi « ASAP » modifie les dispositions du code de la santé publique relatives au DMP et à l’espace numérique de santé. Ce dernier, créé par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, doit permettre à chaque usager de disposer gratuitement d’un compte personnel en ligne, qui rassemblera notamment les principales données générées par les actes médicaux remboursés. Il s’agit de réunir sur une même plateforme tous les services existants afin que chacun ait accès à toutes les données de santé le concernant. Avec ce dispositif, censé entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2022, chacun pourra accéder à sept catégories de données :
– ses données administratives ;
– son dossier médical partagé ;
– ses constantes de santé éventuellement produites par des applications ou des objets connectés ou toute autre donnée de santé utile à la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins ;
– l'ensemble des données relatives au remboursement de ses dépenses de santé ;
– des outils permettant des échanges sécurisés avec les acteurs du système de santé, dont une messagerie de santé sécurisée permettant à son titulaire d'échanger avec les professionnels et établissements de santé et des outils permettant d'accéder à des services de télésanté ;
– tout service numérique, notamment des services développés pour favoriser la prévention et fluidifier les parcours, les services de retour à domicile, les services procurant une aide à l'orientation et à l'évaluation de la qualité des soins, les services visant à informer les usagers sur l'offre de soins et sur les droits auxquels ils peuvent prétendre ainsi que des applications numériques de santé ;
– le cas échéant, les données relatives à l'accueil et l'accompagnement assurés par les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.
Avec la loi « ASAP », à compter du 1er janvier 2022 au plus tard, le DMP sera intégré à l’espace numérique de santé, dont il sera l’une des composantes. La création de l'espace numérique de santé entraînera la création automatique du DMP. Tout DMP déjà ouvert à la date d’ouverture de l’espace numérique de santé sera automatiquement intégré à cet espace. L’opposition, par le titulaire du DMP ou son représentant légal, à l’ouverture de son espace numérique de santé n’emportera pas la clôture du DMP existant durant une période transitoire dont les modalités doivent être définies par décret. Cependant, à l’issue de cette période transitoire, l’espace numérique de santé sera ouvert automatiquement, sauf confirmation de l’opposition de la personne ou de son représentant légal. Cette nouvelle opposition, le cas échéant, donnera lieu à la clôture du DMP. Ainsi, le dossier médical partagé ne pourra subsister sans être intégré à l’espace numérique de santé.
Par ailleurs, contrairement à ce qui est prévu pour le DMP, le titulaire de l’espace numérique de santé ne pourra masquer ou empêcher l’accès à tout ou partie de son espace numérique de santé, notamment à son DMP. La loi « ASAP » a en effet supprimé cette possibilité. Toutefois, la possibilité de masquer certaines données du DMP ou d’empêcher l’accès à ces données subsiste, la loi « ASAP » n’ayant pas supprimé la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 1111-15 du code de la santé publique, selon laquelle « certaines informations peuvent être rendues inaccessibles par le titulaire du dossier médical partagé». Par conséquent, le titulaire de l’espace numérique de santé ne pourra pas empêcher l’accès au DMP dans son ensemble mais il pourra masquer certaines données de celui-ci ou empêcher l’accès à certaines données seulement (sauf à son médecin traitant puisque le dernier alinéa de l’article L. 1111-16 précise toujours que par dérogation au dernier alinéa de l’article L. 1111-15, le médecin traitant accède à l’ensemble du dossier).
Le DMP est quant à lui désormais attribué à toute personne et non plus aux seuls bénéficiaires de l’assurance maladie. Le législateur insiste sur l’obligation faite à tout professionnel de santé de l’alimenter, en remplaçant l’indicatif par le verbe « devoir ». L’article L. 1111-15 prévoit notamment que « chaque professionnel de santé, quels que soient son mode et son lieu d’exercice, doit reporter dans le dossier médical partagé, à l’occasion de chaque acte ou consultation, les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. Chaque professionnel doit également envoyer par messagerie sécurisée ces documents au médecin traitant, au médecin prescripteur s’il y a lieu, à tout professionnel dont l’intervention dans la prise en charge du patient lui paraît pertinente ainsi qu’au patient ».
En outre, il est désormais permis à « tout professionnel participant à la prise en charge d’une personne en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 » - c’est-à-dire non plus aux seuls professionnels de santé mais aussi aux professionnels du secteur social et médico-social – d’accéder, sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au DMP de celle-ci et de l’alimenter (C. santé publ., art. L. 1111-17). L’alimentation ultérieure de son DMP par ce même professionnel est soumise à une simple information de la personne prise en charge. Le législateur ouvre ici une brèche importante dans le secret médical, en autorisant des personnes qui ne sont pas des professionnels de santé et n’ont donc pas nécessairement les connaissances nécessaires pour en comprendre et en interpréter le contenu, à accéder au DMP d’une personne. Ces dispositions s’inscrivent toutefois dans la droite ligne de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, permettant le partage des données personnelles de santé entre professionnels de santé et certains autres professionnels participant à la prise en charge d’une même personne, avec le consentement de cette dernière.
L’accès au DMP a enfin été étendu aux médecins des services de protection maternelle et infantile (PMI) et les données de santé collectées par les services de médecine scolaire seront versées au DMP.
Un nouveau tournant dans la révolution numérique
Dossier pharmaceutique, DMP, espace numérique de santé sont autant d’outils tendant vers un même but, poursuivi par le législateur depuis près de 25 ans : mettre le numérique au service de la « maîtrise médicalisée des dépenses de santé », autrement dit utiliser le numérique pour réduire les dépenses de santé et, tout à la fois, améliorer la prise en charge, en évitant les examens redondants, les prescriptions excessives et dangereuses, en assurant une meilleure coordination des soins et en faisant de l’usager un acteur de sa propre santé. Concilier ces intérêts avec le secret médical est souvent un travail d’équilibriste, difficile mais nécessaire pour éviter le développement d’initiatives disparates et incontrôlées. La révolution numérique en santé a ainsi pris un nouveau tournant.
Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse

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