La maîtrise du risque de corruption dans l'achat public

06.07.2020

La direction des achats de l'Etat et l'AFA ont publié un guide de l'achat public pour prévenir, détecter et agir face aux risques de corruption, de favoritisme, de prise illégale d'intérêts ou de détournement de fonds publics.

Organiser les achats pour plus de transparence
Connaître ses achats pour anticiper les situations à risque
Le guide de plus de 150 pages préconise d’abord de bien organiser les achats et de bien les connaître, afin de les programmer et d’identifier les zones de risque (égal accès de tous les fournisseurs à la commande publique, niveau de dépendance de l’organisation par rapport à certains fournisseurs, favoritisme, etc.). Cela implique de connaître :
  • ses achats (identifier les marchés stratégiques, contrôler la régularité de la procédure de passation) ;
  • ses fournisseurs (évaluer la dépendance de l’organisation par rapport à certains fournisseurs, ou celle des fournisseurs vis-à-vis de la personne publique) ;
  • l’accès à la commande publique (mieux maîtriser le risque juridique, identifier les failles dans les procédures des marchés publics) ;
  • ou encore les conditions d’exécution des marchés (détecter une utilisation détournée du protocole transactionnel).
Communiquer sur les achats pour favoriser l’égalité de traitement des opérateurs économiques
Il est tout aussi important de communiquer sur cette programmation, pour renforcer le libre accès aux marchés. Diffuser largement les informations renforce la transparence des procédures.
La transparence des données publiques facilite également l’exercice par les citoyens ou tout autre acteur d’un contrôle externe, et permet donc de prévenir et détecter le favoritisme ou toute autre forme d’atteinte à la probité.
Enfin, l’organisation de la fonction achats, la formalisation de ses règles et procédures connues et partagées entre les acteurs du cycle des achats, facilite grandement la mise en place d’un dispositif anticorruption et prévient les atteintes à la probité.
Exemple : le guide propose ainsi de formaliser les règles et procédures internes des achats dans un guide ou un recueil des procédures connu de tous le acteurs du cycle des achats et régulièrement mis à jour, ou encore d’organiser sur le plan interne des échanges de pratiques entre les acteurs du cycle de l’achat. Ces retours d’expériences peuvent porter sur les situations à risques, sur les besoins de formation ou encore sur l’application concrète du code de conduite anticorruption.
Les fondements d’une démarche anticorruption
L’engagement des instances dirigeantes
Le guide rappelle que l’engagement des instances dirigeantes est l’une des conditions de l’effectivité d’un programme anticorruption. Cela se traduit notamment par :
  • l’adoption explicite d’une politique de tolérance zéro, avec un usage réel et proportionné des sanctions disciplinaires, voire leur diffusion anonymisée ;
  • la prise en compte de l’anticorruption dans les procédures et politiques de l’organisation ;
  • le placement de la gouvernance du programme de conformité au plus haut niveau de l’organisation ;
  • ou encore la mise en place d’une politique de communication interne et externe adaptée, prévoyant un dispositif d’alerte dont les agents ont connaissance et qu’ils savent utiliser.
Le programme anticorruption repose quant à lui sur la cartographie des risques d’atteinte à la probité et se compose de mesures préventives (code de conduite, évaluation de l’intégrité des tiers de l’entité et dispositif de formation des personnels exposés) ainsi que de mesures de détection comme de mesures de contrôle et d’audit interne, et un dispositif d’alerte interne.
L’élaboration de la cartographie des risques
Cette cartographie des risques s’élabore en six étapes, à savoir :
  1. la clarification du rôle et des responsabilités de chacun dans l’élaboration, la mise en œuvre et la mise à jour de la cartographie, en veillant à mobiliser les différents acteurs autour du projet de cartographie des risques ;
  2. l’identification des risques inhérents aux activités de l’entité, pour dresser la typologie des risques au regard des activités de l’entité (risques de transmission d’informations privilégiées au profit de certains candidats, par exemple) ;
  3. évaluer l’exposition aux risques de corruption en déterminant les risques bruts, c’est-à-dire sans la prise en compte des moyens de prévention existants et mis en œuvre au sein de l’entité ;
  4. évaluer l’adéquation et l’efficacité de ces moyens existants pour déterminer les risques résiduels ;
  5. hiérarchiser et traiter les risques résiduels en mettant en œuvre un plan d’action ;
  6. enfin, formaliser et tenir à jour la cartographie des risques, qui doit être écrite et structurée.
À noter que le document livrable doit être présenté de manière synthétique et notamment comporter la méthodologie utilisée, les échelles d’évaluation des risques, une présentation de l’ensemble des risques bruts et nets dans un document unique ainsi qu’une fiche de risque pour chaque groupe de processus.
Prévenir les risques d’atteinte à la probité
La mise en œuvre des obligations déontologiques et le code de conduite anticorruption
Le respect des principes déontologiques passe par les obligations statutaires et déontologiques définies à l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983, la prévention des conflits d’intérêts, et une vigilance accrue en cas de changement ou de cumul d’activités.
Concernant le code de conduite anticorruption, il s’agit d’en assurer la collégialité du projet de rédaction en veillant à intégrer l’ensemble des acteurs du cycle des achats. Le contenu doit clarifier le contexte légal, et répertorier les comportements susceptibles de caractériser des faits d’atteinte à la probité afin de fixer les règles de comportement face aux situations concrètes rencontrées par les acteurs publics.
Après son adoption ou sa mise à jour, il faut le diffuser à la fois en interne (transmission officielle à l’ensemble des agents, intranet, message vidéo de la gouvernance, etc.) et en externe (communiqué de presse, mise en ligne sur le site internet, etc.) et former les acteurs concernés.
Sa mise en œuvre passe par des sanctions disciplinaires en cas de son non-respect, d’un suivi de sa diffusion, et de l’utilisation des outils, comme par exemple le dispositif d’alerte.
Le code de conduite est évolutif, et doit être mis à jour selon les modifications significatives de la cartographie des risques, suite au contrôle exercé par une autorité administrative ou encore à la suite de l’évaluation régulière qui en est faite. Cette mise à jour doit être documentée, tracée et centralisée.
Remarque : pour les procédures susceptibles d’être régulièrement modifiées et mises à jour, il est possible de les prévoir dans des annexes détaillées. La date de modification doit apparaître sur le document.
L’évaluation des tiers
En matière de marchés publics, l’évaluation des tiers a pour objet de vérifier que l’opérateur économique ne tombe pas sous le coup d’une exclusion au stade de la procédure de passation ou au cours de l’exécution du contrat. La cartographie des risques est alors utile pour déterminer quels sont les tiers qui doivent être évalués en priorité et de manière plus approfondie lorsqu’ils sont jugés à haut risque selon la stratégie propre de chaque entité.
Remarque : dans un souci de transparence, la personne publique a tout intérêt à rendre disponibles les principales informations concernant sa situation, et notamment celles relatives à ses mécanismes de prévention de la corruption.
La méthodologie repose sur la constation des motifs d’exclusion prévus par le code de la commande publique, qui sont :
  • les exclusions de plein droit liées aux atteintes à la probité ;
  • les exclusions laissées à l’appréciation de l’acheteur (reposant sur des faits directement constatés par la personne publique tels qu’une mauvaise exécution contractuelle antérieure, une tentative d’influencer la décision, une entente, etc.).
L’évaluation de l’intégrité des tiers est cohérente avec la cartographie des risques d’atteinte à la probité et repose sur des critères objectifs tels que la taille de l’opérateur économique, le degré de concurrence du secteur ou l’enjeu financier. C’est une fois cette stratégie définie que l’évaluation pourra porter sur :
  • le secteur économique (degré de concentration, sensibilité du secteur, etc.) ;
  • le marché public (objet, montants financiers, etc.) ;
  • l’opérateur économique (identité du ou des cocontractants, structure juridique etc.).
Cette évaluation permet à la personne publique d’adapter sa relation avec les tiers jugés à risque en renforçant sa vigilance, par exemple.
Le dispositif de formation aux risques d’atteinte à la probité
La formation des acteurs les plus exposés du cycle d’achat (acheteurs, prescripteurs, approvisionneurs, décideurs) permet de construire une culture d’intégrité au sein de la personne publique et de s’approprier le dispositif anticorruption. Elle va dépendre des fonctions exercées par les agents, des missions, du niveau et de la fréquence d’exposition aux risques d’atteinte à la probité. Les acteurs moins exposés, comme ceux appartenant aux services support à l’exécution des marchés (service comptables et financiers) peuvent bénéficier d’actions de sensibilisation.
Les formations doivent être à la fois pragmatiques et pédagogiques et s’appuyer notamment sur des cas pratiques et des scenarii personnalisés par public et adaptés aux risques d’atteinte à la probité identifiés au sein de l’entité.
Elles peuvent être dispensées par des agents en interne ou par un prestataire extérieur dans le cadre d’un marché public. Dans ce deuxième cas, la personne publique devra alors participer à la conception et à la mise en oeuvre de la formation afin que les spécificités soient bien prises en compte.
Enfin, un suivi du dispositif de formation doit être prévu par la mise en place d’indicateurs tels que :
  • le taux de couverture de la formation au regard du public visé ;
  • le nombre d’heures de formation sur l’anticorruption ;
  • ou encore la qualité des formations, évaluée par les participants.
Détecter les risques
Contrôle interne et audit interne
Contrôle et audit internes doivent donner une assurance raisonnable de maitriser le risque d’attente à la probité dans le cycle des achats et le détecter.
Le guide liste plusieurs facteurs de réussite pour un contrôle interne efficace :
  • formaliser les procédures dans un guide de procédures achat qui rappelle notamment les responsabilités des différents acteurs ou les points de contrôle interne ;
  • orienter le contrôle interne en fonction des risques pointés par la cartographie des risques ;
  • mettre à profit les résultats des contrôles pour actualiser la cartographie des risques ;
  • former les agents au réflexe du contrôle interne ;
  • ou encore disposer de systèmes d’information prévoyant des contrôles automatisés intégrant des éditions automatiques de certains états d’aide au contrôle ou à l’autocontrôle.
Appliqué au cycle des achats, un contrôle interne comptable doit être mis en œuvre par l’ordonnateur et le comptable public au cours de la phase d’exécution comptable du marché public.
L’audit interne, exercé ponctuellement par un service autonome, a pour mission d’évaluer l’efficacité et l’efficience du contrôle interne mis en œuvre au sein de l’entité publique. Des missions d’audit régulières doivent être programmées sur la fonction achats, le programme d’audit interne doit être orienté en fonction des risques pointés par la cartographie des risques, et tous les acteurs du cycle des achats doivent collaborer avec les auditeurs internes. Enfin, les résultats des audits doivent être mis à profit pour actualiser la cartographie des risques.
Dispositifs d’alerte
Une alerte peut être émise à toutes les étapes du cycle des achats pour signaler un comportement ou une situation potentiellement contraire au code de conduite anticorruption ou une infraction.
Le dispositif d’alerte peut prendre trois formes :
  • une procédure spécifique aux lanceurs d’alerte ;
  • un dispositif d’alerte portant sur un manquement au code de conduite anticorruption ;
  • un signalement au procureur de la République (spécifique aux agents publics et à caractère obligatoire).
Remarque : les entités concernées par les deux obligations de mise en œuvre d’un dispositif de protection des lanceurs d’alerte et d’un dispositif d’alerte en cas de manquement au code de conduite anticorruption peuvent mettre en place un seul et unique dispositif de recueil de ces signalements.
Elise Le Berre

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