Experts chez Syndex et animateurs du groupe d’appui interne sur les licenciements et les restructurations, Pierre Picard, basé à Lyon, et Paul Motte, basé à Rennes, observent que c’est l’analyse et la démonstration des effets du PSE sur la capacité de travail du collectif qui peut conduire les employeurs à supprimer moins d’emplois que prévu. La négociation du PSE, présentée lors de la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 comme étant de nature à favoriser le maintien des emplois, aboutit en revanche rarement à ce résultat. Interview.
Pierre Picard et Paul Motte (*) : Après 2024 où nous avons enregistré une très forte augmentation du nombre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), nous avons depuis le début 2025 un niveau d'activité toujours soutenu sur des dossiers liés à des restructurations, avec un nombre important de PSE. Les voyants sont au rouge pour certains secteurs comme l'automobile : nous anticipons des restructurations importantes dans les prochains mois dans toute cette filière, y compris les sous-traitants. C'est aussi le cas dans d'autres secteurs industriels mais aussi dans le commerce, la grande distribution et la distribution spécialisée. Mais déduire de nos missions des chiffres globaux sur les suppressions d'emplois à venir nous paraît très hasardeux.
D'une part, parce que les PSE ne constituent que la partie émergée des suppressions d'effectifs qui peuvent s'opérer autrement. D'autre part, parce que nous ne sommes en contact qu'avec une petite partie des PSE et des entreprises concernées, celles qui ont des CSE assez solides pour lancer des expertises. Il faut bien voir aussi qu'il y a deux grands cas de figure dans ces restructurations. Le premier concerne des entreprises qui ont les moyens d'anticiper la prochaine dégradation de la conjoncture et de leur situation économique, avec des signaux ressentis dès le début 2024, et donc ces entreprises prennent des décisions préventives pour maintenir leur rentabilité - c'est quasiment un PSE "préventif" (**). Le second cas, c'est des PSE engagés parce que l'entreprise vit déjà une situation dégradée, avec une mauvaise santé financière et un sentiment d'urgence élevé : c'est par exemple le cas dans le commerce.
On aurait pu penser que les procédures alternatives que sont les ruptures conventionnelles collectives (RCC) et les accords de performance collective (APC) allaient cannibaliser les PSE (Ndlr : lire notre encadré). Mais dans la conjoncture actuelle, le PSE revient en force comme modalité de gestion d'une restructuration.

Les employeurs ne veulent pas prendre le risque d'une négociation d'une RCC ou d'un APC qui pourrait ne pas aboutir, ou aboutir dans un délai qu'elles jugent trop long, sans parler de la question compliquée du volontariat pour la RCC. Ces deux dispositifs paraissent plus adaptés à des situations de mutation douce ou à froid qu'à des restructurations à chaud. A l'inverse, le PSE est une procédure éprouvée depuis 2013, donc bien connue des acteurs, et c'est une procédure qui sécurise l'employeur. L'entreprise bénéficie de délais préfix qui limitent la durée de consultation du CSE (Ndlr : lire notre encadré). Et l'intervention de la Drieets (la direction régionale du travail) permet de minimiser le risque de contentieux, d'autant que la jurisprudence est maintenant bien établie.
Le plus souvent, les deux processus se font en parallèle. Le nombre de réunions de consultation du CSE prévu par le code du travail est très limité (Ndlr : il peut n'y en avoir que deux même si un accord peut en prévoir davantage). Alors que le nombre de réunions de négociations est plus important. Autrement dit, ce sont les réunions entre les organisations syndicales (OS) et l'employeur qui deviennent le lieu de discussion autour du projet de l'entreprise, et nous sommes alors mandatés pour accompagner les OS.

Précisons que dans la plupart des cas, il y a négociation, et que dans la majorité des cas, cela débouche sur un accord. En 2024, chez Syndex, nous sommes intervenus dans 83 PSE, et dans 80 % il y a eu un accord. Pour revenir à l'articulation entre négociation et consultation du CSE, c'est vrai que le code du travail n'est pas très clair. Mais il est sûr que la négociation doit s'arrêter avant le rendu de l'avis du CSE. Il y a quelques années, certains employeurs soutenaient que la logique était d'abord de négocier avec les organisations syndicales et une fois l'accord négocié, de lancer la consultation du CSE. Mais cela ajoutait un délai et engendrait un rapport de forces plus favorable aux représentants du personnel, donc la pratique a changé et on ne voit plus du tout cette pratique.
Même s'ils n'y sont pas contraints par le code du travail, certains employeurs préfèrent consulter le CSE sur les mesures d'accompagnement négociées avec les syndicats, sans doute par sécurité juridique ou par souci de maintenir un bon dialogue social. Il faut bien voir que l'accord, dans la très grande majorité des cas, ne porte que sur les mesures d'accompagnement des salariés licenciés. Rappelons qu'il y a une double consultation du CSE, sur le projet de licenciement économique ("livre 1") et sur le projet de réorganisation ("livre 2"). Et le CSE est de toute façon informé et consulté sur la partie unilatérale du projet de licenciement pour motif économique avec les catégories professionnelles et la répartition des postes supprimés par catégorie.
Il est très rare que la négociation d'un PSE aboutisse à la diminution du nombre de suppressions d'emploi envisagée au départ.

Les employeurs préfèrent en effet cibler la négociation sur les mesures d'accompagnement, et renvoyer la question de l'emploi à l'information-consultation du CSE, car le comité rend un avis mais l'employeur peut ne pas en tenir compte. Sur les missions que nous avons réalisées en 2024, nous avons constaté une réduction du nombre de postes supprimés, entre le début et la fin de la procédure, dans seulement 38 % des PSE. Et cette proportion est la même qu'il y ait un accord ou qu'il n'y en ait pas.
Les gouvernements successifs se gargarisent du fait que les restructurations sont désormais un processus négocié mais ce dispositif paraît presque plus défavorable à l'emploi que ce qui existait avant. En effet, ce qui est négocié, c'est surtout les mesures d'accompagnement, pas de moindres suppressions d'emplois. Il est vrai que l'intervention de l'administration dans ce processus contribue à améliorer les choses, mais il s'agit surtout, là aussi, d'améliorer les mesures d'accompagnement des salariés licenciés.
Ce n'est pas évident ! Lorsque les élus et les délégués sont informés du projet de restructuration, le compte à rebours est enclenché alors qu'ils sont pris de court. Ils doivent faire un apprentissage accéléré de la procédure tout en définissant des objectifs et une stratégie, alors que la direction travaille de son côté depuis plusieurs mois sur son projet.

Par quoi commencer ? Lorsque nous sommes contactés avant la première réunion d'information du CSE, il faut déjà examiner la question tactique de l'accord de méthode proposé par certaines directions, qui poussent à une signature rapide. Les représentants du personnel doivent s'interroger sur l'utilité d'un tel accord et sur les clauses à éviter et à prévoir. Ce type d'accord va structurer le dialogue social pendant le PSE, c'est donc très important de temporiser et de ne pas faire d'erreur. Ensuite, nous cherchons à clarifier ce qu'attendent les représentants du personnel de notre intervention au regard de leurs objectifs et d'une stratégie possible.
En se posant des questions, comme par exemple : "Privilégions-nous de meilleures mesures de sortie pour les salariés compte-tenu de l'impossibilité de sauver l'emploi vu la situation de l'entreprise ?" "Voulons-nous chercher d'abord à éviter des emplois ?" "Notre priorité est-elle dans les futures conditions de travail des salariés qui vont rester dans l'entreprise ?" Ces deux dernières questions sont d'ailleurs liées et peuvent s'articuler pour constituer une stratégie.

Pour obtenir moins de suppressions d'emploi, il peut être efficace de travailler sur la charge de travail et les conditions de travail futures qui résulteront de la restructuration. La question de la faisabilité du travail demain dans l'entreprise est un levier majeur dans la négociation sur l'emploi. Dans les échanges avec l'employeur, pour la négociation et dans le cadre de la consultation du CSE, il faut mettre en avant la question de la qualité du travail dans la balance en disant : "Si vous supprimez les postes comme vous l'envisagez, le travail ne sera plus réalisable demain, tout le monde sera perdant, y compris vous employeur".
Il faut déjà savoir que les moyens mis dans les dispositions d'accompagnement d'un PSE doivent correspondre aux moyens dont dispose l'entreprise voire le groupe, et ces mesures doivent aussi prendre en compte la difficulté de retrouver un emploi compte-tenu de la conjoncture et des caractéristiques de l'effectif concerné. En s'appuyant sur ce principe de proportionnalité, les représentants du personnel peuvent obtenir des améliorations essentielles sur le congé de reclassement (allongement de la durée, prise en charge de l'indemnité) et sur les indemnités supra-légales.
Sur les indemnités supra-légales, nous observons de réelles améliorations entre le point de départ et l'accord final. Les obtenir peut se faire en actionnant deux gros leviers. Le premier, c'est la mobilisation et la communication.

S'ils mobilisent les salariés à l'occasion des négociations, les représentants du personnel seront plus forts s'ils bénéficient de ce soutien. Ils ont intérêt à avoir une stratégie de communication autour du PSE, pour parler du contenu du plan et des objectifs poursuivis dans la négociation, car cette communication peut faire bouger les choses. Mais c'est un sujet délicat pour les élus CSE et les délégués syndicaux. Les employeurs cherchent parfois à les dissuader de parler aux salariés en arguant que tout est confidentiel et qu'ils vont se mettre hors la loi s'ils communiquent quoi que ce soit. C'est faux, mais cela fragilise des représentants du personnel qui affrontent une situation nouvelle et inconnue. Le deuxième gros levier, et c'est à mettre à l'actif de la loi de sécurisation de l'emploi de 2013, tient à l'intervention de l'administration en cas d'accord.
Lorsqu'un document unilatéral de PSE est présenté, le taux d'homologation par l'administration peut être moindre dans un premier temps (***). Donc, cela signifie que l'employeur va chercher absolument à avoir un accord pour espérer un moindre contrôle des dispositions du PSE, et que les représentants du personnel doivent en tirer partie pour obtenir des avancées supplémentaires, afin de "monnayer" leur signature.

Le travail des représentants du personnel consiste donc à identifier dans le projet des points problématiques qui pourraient entraîner une non homologation en l'absence d'accord. Et donc de faire comprendre à l'employeur que l'accord est important car faute d'améliorations, le document unilatéral risque d'être refusé par l'administration. Parmi ces points on peut citer la définition des catégories socio-professionnelles. C'est compliqué de les établir car elles doivent se conformer à une jurisprudence importante et il peut y avoir aussi de la part de l'employeur l'intention de flécher certains salariés dans ces catégories, ce qui constitue une irrégularité qui fragilise le dossier présenté à la fin de la procédure à l'administration. On peut citer aussi tout ce qui concerne l'évaluation des risques professionnels, qui connaît ue jurisprudence importante. Depuis deux ans, nous sentons les autorités administratives extrêmement vigilantes sur le sujet, elles adressent très souvent aux employeurs des observations sur la prévention des risques.
La commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) n'a pas de prérogative consultative, donc elle intervient très peu, c'est vraiment le CSE qui est à la manœuvre. Dans un PSE, il y a déjà beaucoup de réunions, pour la négociation et pour la consultation du CSE. Donc, si l'on rajoute des réunions de la CSSCT, les élus risquent de passer leur temps en réunion et cela peut d'ailleurs être une stratégie de la part de l'employeur. En positionnant de très nombreuses réunions, l'entreprise sature l'emploi du temps des représentants du personnel qui n'ont plus le temps d'être au contact des salariés. Alors qu'on sait que ce qui fonctionne dans la construction d'un rapport de forces, c'est pour les élus et les délégués d'être au contact des salariés.
Lorsqu'une mission comporte un volet santé, sécurité et conditions de travail (SSCT), et c'est le cas dans la moitié des expertises que nous avons menées en 2024, il arrive que les membres de la CSSCT soient nos interlocuteurs, bien sûr, mais cela se fait de façon informelle, sans réunions de l'instance. Dans ce type de mission, l'expert analyse les conséquences du projet sur les conditions de travail et la santé au travail, notamment au travers d'entretiens confidentiels avec des salariés, des questionnaires, de l'observation d'activité, etc. Quand ce volet SSCT existe, on observe dans 50% des cas une réduction du nombre de suppressions de postes (même s'il ne peut ne s'agir que de quelques postes), et ce pourcentage tombe à 25% sans le volet SSCT dans l'expertise.

Cela rejoint ce que nous vous disions tout à l'heure : l'analyse des conditions de travail, c'est bien sûr important pour la santé des salariés qui vont rester dans l'entreprise, mais c'est aussi un levier pour réduire le nombre de postes supprimés. Ceux qui conçoivent le PSE se situent à des niveaux élevés de la hiérarchie de l'entreprise, ils ne connaissent donc pas le travail réel, donc leur approche consiste à faire des économies de masse salariale, sans chercher à comprendre comment se déroule le travail. Revenir sur le travail réel permet de démontrer que ce qui a été construit pour réaliser des économies n'est pas compatible avec le travail réel. L'évaluation que l'employeur n'a pas faite en préparant son PSE, et qui aurait consisté à se demander quelles seront les conséquences de mon projet sur le travail dans l'entreprise demain, c'est l'expert qui va la faire. Quand on a des éléments très concrets montrant que telle tâche ne pourra pas être redistribuée et donc ne pourra pas être faite, avec des conséquences en chaîne, l'employeur peut se retrouver à court d'argument face à des élus qui eux connaissent bien le travail.
(*) Pierre Picard pilote le groupe licenciements et restructurations de Syndex, dont fait partie Pierre Motte, ce dernier suivant aussi les questions de conditions de travail et de santé au travail. Ce groupe interne est à la fois un réseau d'expertise et un appui pour les équipes, afin d'échanger les savoir-faire et les expériences.
(**) Trendeo dénombre 50 sites industriels ayant annoncé plus de 100 suppressions d'emplois en 2024, année qui a vu le nombre de fermetures d'usines l'emporter sur le nombre d'ouvertures, un basculement opéré au second semestre, les grands groupes commençant alors à cesser de recruter. Pour ce cabinet d'analyse, ces suppressions ne représentent encore "que" le tiers du niveau de celles enregistrées lors de la crise de 2009. Autre élément intéressant : les entreprises françaises ont investi 20 milliards d'euros l'an dernier en France, mais 46 Mds à l'étranger.
(***) Selon le ministère du travail, sur 565 PSE l'an dernier, 48,5 % étaient présentés sous forme de décisions unilatérales, 50 % sous la forme d'un accord, et 1,5 % de façon mixte. Au final, seuls 2 PSE ont été refusés par l'administration, qui en a accepté 5 après un premier refus suivi de modifications. Selon le ministère, ces chiffres illustrent le grand nombre d'allers retours entre les directions régionales du travail (Drieets), les entreprises et les représentants du personnel pour améliorer les plans initiaux. Par rapport à la période de 2024, les premiers mois de 2025 enregistrent une progression de 10 % du nombre de PSE, mais ces plans comprennent en moyenne moins de suppressions de poste que l'an dernier. Autre évolution : si l'an dernier c'étaient surtout des grandes entreprises (+ 5 000 salariés) qui avaient conduit des PSE, le phénomène touche aujourd'hui des entreprises de 100 à 1 000 personnes, et ce sur toute la France.
Restructurations et emploi : le rôle du CSE
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► Pour le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) Dès lors qu'il envisage un licenciement économique collectif d'au moins 10 salariés sur 30 jours, l'employeur d'une entreprise d'au moins 50 salariés doit consulter le CSE (art. L. 1233-30 du code du travail) pour son PSE qui doit comporter un plan de reclassement. Voici quelques-unes des modalités à connaître :
► Pour les ruptures conventionnelles collectives (RCC) Depuis 2017, l'employeur peut, sans PSE ni motif économique, négocier des ruptures de contrat de travail d'une partie des salariés via un accord de ruptures conventionnelles collectives (RCC) qui doit être validé par l'administration (art. L. 1237-19-1). Il s'agit d'éviter les licenciements tout en ouvrant droit au chômage pour les salariés concernés.
► Pour l'accord de performance collective (APC) Depuis 2017, l'employeur peut modifier des éléments importants du contrat du travail des salariés (durée du travail, rémunération, mobilité, etc) via un accord de performance collective (art. L.2254-2). C'est un dispositif favorisant la flexibilité afin d'accroître la compétitivité et donc de maintenir des emplois.
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