La protection de l'environnement comme objectif de valeur constitutionnelle

14.02.2020

Le 31 janvier dernier, le Conseil constitutionnel a consacré, pour la première fois, un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement et retient désormais que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Est dès lors jugée conforme à la Constitution l’interdiction de produire, stocker ou faire circuler des produits phytopharmaceutiques contenant des substances non approuvées dans l’Union européenne.

L’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Egalim, retient que "sont interdits à compter du 1er janvier 2022 la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou l’environnement conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 précitée, sous réserve du respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce".

Cet article, en prohibant non seulement la vente, mais également l’exportation des produits phytosanitaires qui n’auraient pas fait l’objet d’une autorisation de l’Union européenne, renforce de fait l’obstacle de mise sur le marché de ces produits. 

La protection de l'environnement face à la liberté d'entreprendre

C’est dans ce contexte que le Conseil constitutionnel a été saisi, le 7 novembre 2019, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de ce texte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Plus particulièrement, l’Union des industries de la protection des plantes et l’Union française des semenciers considéraient que ce texte était contraire à la liberté d’entreprendre découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Également, les requérants soutenaient qu’une telle interdiction ne présentait pas de lien avec l’objectif de protection de l’environnement et de la santé au motif que les pays importateurs autorisant ces produits ne renonceront pas à les utiliser et pour se faire, s’approvisionneront auprès des concurrents des entreprises installées en France. 

Dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel rappelle, dans un premier temps, les objectifs de protection de l’environnement et de la santé du bloc de constitutionnalité et se fonde pour la première fois sur le préambule de la Charte de l’environnement : "il en découle que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle".

En outre, le Conseil constitutionnel se fonde sur le 11e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 pour retenir un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel en déduit qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de la santé avec l’exercice de la liberté d’entreprendre, et précise qu’à ce titre, "le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger".

Une adaptation nécessaire des industriels

Dans un second temps, le Conseil constitutionnel précise que l’UE prévoit, par application du règlement du 21 octobre 2009 visé par l’article 253-8 du code rural ci-dessus mentionné, que les produits phytosanitaires ne peuvent être mis sur le marché européen qu’à la condition que les produits qui les composent soient approuvés par les instances compétentes de l’Union européenne. Notamment, cette approbation ne sera pas accordée aux substances dont les effets sont soit nocifs sur la santé humaine ou animale, soit inacceptable sur l’environnement.

Or, en adoptant des dispositions interdisant la production, le stockage et la circulation en France de produits phytosanitaires contenant des substances non approuvées par l’Union européenne, le Conseil constitutionnel considère que "le législateur a entendu prévenir les atteintes à la santé humaine et à l’environnement susceptibles de résulter de la diffusion des substances actives contenues dans les produits en cause".  

Ainsi, le Conseil constitutionnel considère que l’obstacle fait aux entreprises établies en France de participer à la vente de ces produits dans le monde et aux atteintes pouvant en résulter sur la santé humaine et à l’environnement, et ce même si la production et la commercialisation de tels produits était autorisée en dehors de l’UE, constitue bien une atteinte à la liberté d’entreprendre en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement.

Également, le Conseil constitutionnel estime que l’entrée en vigueur au 1er janvier 2022 de la loi litigieuse laisse un délai suffisant aux sociétés concernées pour adapter en conséquence leur activité, admettant implicitement que ce délai de 3 ans accordé aux entreprises pour adapter leur activité atténue l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre.

Le Conseil constitutionnel retient ainsi que n’est pas manifestement déséquilibrée la conciliation opérée par le législateur de ces deux objectifs à valeur constitutionnelle que sont la protection de l’environnement et la protection de la santé d’une part, l’exercice de la liberté d’entreprendre d’autre part et en conclut que la disposition contestée est conforme à la Constitution.

Par cette décision, en élevant au rang d’objectif de valeur constitutionnelle la protection de l’environnement, le Conseil constitutionnel en renforce considérablement les fondements.

Emmanuel Daoud, Avocat au barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA Aimée Kleiman, Avocate au barreau de Paris, collaboratrice du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA

Nos engagements