La violation d’une charte éthique peut justifier la rupture immédiate de relations commerciales

24.05.2021

La place et l’incidence des chartes et normes éthiques dans le cadre des relations commerciales est désormais claire. Si l’arrêt du 5 mai 2021 de la Cour d’appel de Paris vient ainsi souligner l’importance du respect des codes de conduites par tout partenaire commercial, il vient aussi mettre en exergue la nécessité d’une procédure d’enquête interne irréprochable.

Dans l’arrêt rendu le 5 mai 2021, il était question d’une violation de la charte éthique par un fournisseur. Plus précisément, la société Carrefour Hypermarchés commande et achète des produits référencés par sa centrale de référencement, la société Carrefour Marchandises Internationales (ci-après « CMI »). A ce titre, depuis 2010, la société I2C était l’un des fournisseurs référencés par CMI. Toutefois, une enquête interne réalisée par le groupe Carrefour avait révélé des faits contraires à la charte éthique du groupe. Par conséquent, la société CMI a mis fin à sa relation commerciale avec ce fournisseur. C’est dans ces conditions que la société CMI a été assignée en rupture brutale des relations commerciales.

Toutefois, la Cour d’appel a jugé que la violation de la charte éthique pouvait fonder la rupture immédiate des relations commerciales. En effet, dans le cadre de cette affaire, le responsable de référencement de la catégorie Livre de la société CMI - soit la catégorie se rapportant aux produits fournis par la société I2C - s’était vu offrir une malette, une caisse de champagne ainsi qu’un voyage avec son épouse à l’île Maurice par le président de la société fournisseur. La société I2C soutenait que les faits reprochés, datant de 2017, étaient antérieurs à la signature de la charte éthique.

Indépendamment de cette circonstance, la Cour d’appel retient d’une part que ces faits constituent un manquement à la charte éthique Carrefour applicable aux fournisseurs depuis 2014, mais d’autre part, elle énonce que ces faits revêtent une telle gravité qu’ils justifient la rupture immédiate et sans préavis des relations commerciales.

L’enseignement de cette décision est triple.

Une jurisprudence désormais établie

La solution de cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence qui se développe autour du respect des normes éthiques.

 En effet, déjà en 2019, dans le cadre d’un litige opposant la société MONOPRIX à l’un de ses fournisseurs, la Cour d’appel de Paris avait eu l’occasion de juger que les manquements du fournisseur à ses obligations de vigilance résultant des normes éthiques édictées par la société MONOPRIX justifiaient la rupture immédiate des relations commerciales (CA Paris, 13 mars 2019, n°17/21477).

Similairement, dans une décision du 24 mars 2021[1] concernant la société PROMOD, la Cour d’appel de Paris avait suivi cette logique (CA Paris, 24 mars 2021, n°19/155565). L’un des fournisseurs de la société PROMOD s’était engagé, par la signature du code de conduite de cette dernière, à le respecter et à le faire respecter à ses fournisseurs. Notamment, il ressortait du code de conduite que les fournisseurs devaient être en conformité avec les lois et règlementations tant nationales qu’internationales. Or, un audit réalisé par la société PROMOD avait révélé des irrégularités en matière de droit du travail sur les sites de production proposés par le fournisseur. Elle avait alors décidé de mettre fin à ses relations commerciales avec ce dernier, ce que la Cour d’appel a appuyé, estimant que ces manquements étaient particulièrement graves, justifiants ainsi la rupture immédiate des relations commerciales.

Le respect universel des obligations découllant des codes de conduite

Les grands groupes assujettis à la loi Sapin II ainsi qu’à la loi sur le devoir de vigilance édictent des codes de conduite qu’ils diffusent auprès de leurs partenaires commerciaux. Si de telles mesures leur permettent d’éviter tout risque de non-conformité, il reste que ces derniers se doivent également de respecter les normes éthiques auxquelles ils s’engagent dans le cadre de leurs relations commerciales.

Réciproquement, l’arrêt met en exergue l’importance pour les partenaires commerciaux qui, indépendamment de leur taille, s’engagent à respecter les codes de conduites des grands groupes avec lesquels ils sont en relation commerciale, d’effectivement respecter les obligations qui en sont issues. Ils ont auront ainsi tout intérêt à mettre en place des dispositifs de conformité et de contrôles des mesures adaptées à la taille de leur structure. Un tel mécanisme permettra de pallier au mieux le risque de rupture des relations commerciales établies résultant de violations de normes éthiques.

La nécessité d’une procédure d’enquête interne formalisée

Les faits objets de l’espèce ont été révélés par une enquête interne. Autrement dit, si les procédures d’enquêtes internes sont désormais ancrées au sein des grands groupes, cet arrêt a le mérite de souligner l’importance d’une procédure extrêmement soignée en ce que les résultats de telles enquêtes peuvent être produits en justice pour fonder et justifier la rupture immédiate de relations commerciales.

Les entreprises sont ainsi vivement encouragées à mettre en place des procédures d’enquête interne définies et formalisées permettant de produire efficacement les résultats de l’enquête devant le juge.

Emmanuel DAOUD, Avocat au barreau de Paris, associé du cabinet VIGO, membre du réseau international d’avocats GESICA, administrateur du Cercle de la Compliance

Solange ERAMBERT, Elève-Avocate 

Emmanuel Daoud, Avocat au Barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA, administrateur du Cercle de la compliance

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