"L'accord de performance collective (APC) ne doit pas être une fraude aux licenciements économiques"

13.03.2023

L’avocat Pierre Dulmet (SCP Dulmet-Dörr) a obtenu de la cour d’appel de Nancy l’annulation d’un accord de performance collective (APC) d’une PME de moins de 50 salariés. C’est, à notre connaissance, une décision inédite. Interview.

Dans l’arrêt de la cour d’appel de Nancy qui annule l’APC, l'accord de performance collective, l’une des motivations des juges tient au fait que l’APC ne pouvait pas avoir pour effet de supprimer des postes. N’est -ce pas paradoxal puisque ce type d’accords permet justement à l’employeur de licencier les salariés qui refusent la modification de leur contrat de travail prévue par l’accord ?

Les faits concernent une société qui sortait d’un redressement judiciaire. Devant les juges économiques, l’employeur avait déjà soutenu qu’il lui fallait regrouper ses deux sites (à Chatenois, en Alsace, et à Vigneulles-les-Hattonchatel, dans la Meuse) en un seul, c’était une nécessité économique. Mais ce regroupement et cette fermeture, l’entreprise les a mis en œuvre dans le cadre d’un accord de performance économique (APC). Au nom de la CFDT, nous avons donc contesté cet accord en mettant en avant le fait qu’il s’agissait en réalité d’une projet dont la cause était économique.

Les salariés ont appris par courrier l'existence de l'accord 

 

 

Nous avons donc souligné qu’il aurait dû y avoir, non pas un APC ni un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) puisque la société était passée sous le seuil des 50 salariés, mais des licenciements pour cause économique. Cela aurait au moins permis aux salariés concernés d’avoir droit au CSP (congé de sécurisation professionnelle), au reclassement, à la priorité de réembauche, voire à d’autres mesures négociées. Or les salariés ont appris par courrier qu’un accord de performance collective (APC) avait été signé avec le CSE, la direction leur demandant s’ils acceptaient la modification de leur contrat de travail, leur poste étant désormais localisé dans la Meuse, à plus de 2h30 de chez eux. S’ils refusaient, c’était un licenciement pour motif personnel. En premier lieu, nous avons donc plaidé la fraude aux licenciements économiques.

Avec quels arguments ?

Nous nous sommes appuyés sur un document du ministère du travail (Ndlr : voir ici ce questions-réponses) disant qu’une entreprise ne pouvait pas utiliser un APC pour fermer un site pour soutenir que nous étions dans un cadre économique. Malheureusement, la cour d’appel ne nous suit pas sur ce point. En revanche, nous avons réussi à prouver une forme de contournement des licenciements économiques en montrant que l’ancienne responsable des ressources humaines de l’entreprise n’a pas été remplacée dans la nouvelle organisation. Autrement dit, l’entreprise a utilisé l’APC pour faire des économies en supprimant des postes, ce qui normalement relève de l’article L. 1233-3 du code du travail.

Cela signifie-t-il qu’un employeur, même de plus de 50 salariés, doive procéder au remplacement des salariés licenciés suite à leur refus de se voir appliquer un accord de performance collective ?

Attention, c’est un arrêt de cour d’appel, l’employeur dispose de deux mois pour se pourvoir en cassation. C’est donc l'interprétation d'un juge sur un cas d’espèce. Mais si cet arrêt était confirmé par la Cour de cassation, c’est en effet une des conclusions qu’on pourrait en tirer. Si votre but, en tant qu’employeur, est de fermer un site en organisant une mobilité géographique, alors vous avez l’obligation de retrouver le même nombre de salariés dans la nouvelle organisation géographique.

L’autre motif de l’annulation de l’APC a trait à l’absence de concertation avec les salariés…

Nous sommes ici sur une négociation dérogatoire. Dans une entreprise sans délégué syndical, la négociation entre l’employeur et le CSE ou entre l’employeur et des salariés mandatés doit se dérouler dans le respect de trois règles : indépendance des négociateurs vis-à-vis de l’employeur, élaboration conjointe du projet d’accord, concertation avec les salariés  (art. L.2232-29 du code du travail). Dans notre cas, c’est ce dernier point qui pose problème à la cour d’appel. En effet, les salariés concernés n’ont appris qu’une fois le texte signé qu’il y avait un accord de performance collective.

En quoi est-ce un problème ?

Un des salariés était prêt à proposer à l’employeur d’autres solutions (comme le télétravail par exemple) pour garder son emploi, il lui a écrit. Mais l’employeur n’en a pas tenu compte. La cour d’appel indique également que la signature d’un accord de méthode aurait été un indice permettant de « valider » un APC signé dans une petite structure où les négociateurs ne sont pas accompagnés. En effet, les deux élus, non syndiqués, qui ont signé l’APC appartiennent à un CSE de moins de 50 salariés, et ne disposent donc ni du budget ni de la capacité à prendre un avocat et lancer une expertise. Ils ne savaient pas réellement ce qu’ils signaient.

Quelle peut être la portée de cet arrêt, s'il était confirmé, pour les salariés ?
Deux salariés ont déjà saisi les prud’hommes pour demander des dommages et intérêts pour licenciement abusif. S’il n’y a pas de pourvoi, nous relancerons cette procédure.
En vue d'une cassation, cet arrêt vous paraît-il solide ?
Il me semble. La loi prévoit bien une concertation avec les salariés dans le cadre d’un accord dérogatoire : nous étions sous les 50 salariés, donc l’obligation s’imposait. La sanction de ce défaut de concertation est-elle, comme le décide ici la cour d’appel, la nullité de l’accord ? Pour moi, cela paraît logique au regard des conséquences que cela entraîne pour les salariés. La Cour de cassation aura-t-elle le même discours ? Je ne sais pas ! Sur la fraude aux licenciements économiques, il faut se référer à la notion de cause première et déterminante, et cela me semble tenir la route sur ce terrain.
Qu’est-ce qu’une cause première et déterminante ?
En cas de contestation sur un licenciement, la Cour de cassation invite à examiner ce qui a véritablement fondé le licenciement, elle ne s’arrête pas forcément à « l’apparence » du licenciement, à son motif visible. Par exemple, la cause première d’un licenciement pour faute professionnelle, dans un contexte de difficultés économiques et de non-remplacement de départs de salariés, peut être la cause économique.
Quels conseils donneriez-vous, à la lumière de cette affaire, aux élus de CSE et aux délégués syndicaux amenés à négocier un APC ?
L’accord de performance collective peut avoir un contenu très large (Ndlr : il peut modifier la durée du travail, l’organisation du travail, les rémunérations et il peut prévoir une mobilité géographique), donc attention ! J’ai déjà vu des employeurs tenter d’introduire un APC sans le dire explicitement.
Se renseigner, se faire accompagner 

 

Il faut donc, en tant que négociateur, se renseigner et se faire accompagner. Si j’ai un doute sur le type de négociation ou d’accord qu’on me propose, je contacte mon syndicat, mon avocat ou mon expert. Demandez précisément à l’employeur dans quel cadre d’accord il se place : est-ce un APC oui ou non ? Si ce n’est pas un APC, faites-le consigner par écrit. L’autre réflexe, c’est d’utiliser son droit à expertise, cofinancée par l’employeur à 80% et par le CSE à 20%.
Quel avantage l'expertise offre-t-elle ?
Elle va permettre de savoir dans quelle situation économique se trouver l’employeur, ce qui mettra les délégués en situation de débattre de la nature du plan : doit-on en passer par là, n’y-a-t-il pas une alternative ?  Nous suggérons la négociation préalable à l’APC d’un accord de méthode fixant des calendriers (diagnostic économique préalable, mesures nécessaires, etc.). Tout ceci est très important. Ma consoeur avocate qui représentait l’employeur avait soutenu durant l’audience que la loi n’interdit pas à un employeur d’utiliser l’APC pour fermer un site et qu’elle n’oblige pas non plus à remplacer un salarié licencié suite à l’application de l’accord. La cour d’appel a quand même formulé quelques garde-fous...

(1) Lire notre article du lundi 13 mars. Pierre Dulmet représentait le syndicat CFDT de la métallurgie du Bas-Rhin.

Bernard Domergue

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