Dans ce point de vue, Guillaume Sulmont, président d'Aliquis, et Nicolas Fourmont, associé de Gate 17 (1), estiment que la négociation d'un accord d'intéressement s'avère intéressante pour rendre concret "l'engagement citoyen, environnemental et social d'une entreprise". Voici leur analyse et leurs conseils.
Nous constatons que, dans l’exercice de nos missions, la mise en oeuvre de la transition écologique intéresse de plus en plus les représentants du personnel ainsi que les organisations syndicales. Mais comment se saisir de ces questions ? Comment changer les pratiques et sensibiliser les personnes les plus éloignées des enjeux environnementaux ? Comment mettre en mouvement les organisations ? Pour répondre à ces interrogations, la négociation d’un accord d’intéressement est un outil pertinent à mobiliser.

Comment faire de l’engagement citoyen, environnemental et social d’une entreprise autre chose qu’un simple slogan de communication ? Comment faire en sorte que les enjeux environnementaux n’apparaissent pas éloignés des préoccupations du quotidien des salariés ? Une des manières de faire bouger les lignes sur les enjeux environnementaux est de mettre en place un dispositif d’intéressement et d’introduire dans le dispositif des critères environnementaux. En allant dans ce sens, les partenaires sociaux aligneront les points de vue et ils mettront en mouvement les organisations. L’intéressement permet de donner un sens à l’action, de mobiliser les salariés en rendant très concrets les enjeux de transition écologique (définition d’objectifs et de cibles à atteindre).
Contrairement au dispositif obligatoire de la participation, basé sur les résultats financiers de l’entreprise, les parties à la négociation peuvent décider librement des critères de l’intéressement.
Quels sont les avantages de l’intéressement ?
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Les cas de figure sont innombrables et les manières de se lancer dans la négociation d’un accord sont variées. Pour autant, pour illustrer et aider à la compréhension des contextes, il est possible d’identifier 3 cadres et contexte de négociation.
Dans ce cas de figure, l’entreprise n’a pas encore établi un diagnostic de situation et son niveau de maturité sur les questions environnementales est peu important. L’accord d’intéressement est ici un point de départ, la marque d’une volonté à se saisir de ces questions. Mais par où commencer et quels sont les enjeux ? À moins de déterminer les critères sur un coin de table et prendre le risque de passer à côté des enjeux majeurs pour l’organisation, un diagnostic de situation semble incontournable et un préalable. Ici, l’accord d’intéressement sera un objectif de moyen/ long terme, un moteur pour engager une dynamique d’entreprise.
Dans le cadre de négociations, les partenaires sociaux s’appuient bien souvent sur des réflexions et des axes de travail déjà établis. Il est aussi probable que les principaux enjeux environnementaux ont été présentés par la direction et discutés dans le cadre d’information/consultation avec les représentants du personnel.

Depuis la loi Climat, les conséquences environnementales de l’activité font d’ailleurs partie intégrante des consultations récurrentes (sur la situation économique, sur la politique sociale et sur les orientations stratégiques). Ces éléments peuvent donc utilement constituer une base de travail solide aux négociations relatives à l’intéressement.
Le travail consistera alors à se concentrer sur les enjeux environnementaux majeurs pour l’entreprise et trouver les critères et les indicateurs clefs (voir l'encadré ci-dessous). L’enjeu ici sera de bien identifier les éléments sur lesquels les équipes vont pouvoir peser. L’enjeu pour les négociateurs va être de :
- trouver les leviers pour orienter les pratiques des collectifs de travail (salariés et encadrement);
- traduire une volonté opérationnelle à travers, le dispositif motivant d’intéressement, la stratégie d’entreprise définie et partagée en amont de l’accord.
Type d’activité de l’entreprise |
Domaine environnemental |
Critère retenu | Indicateur |
Industrie pétrochimique (2007) |
Pollution atmosphérique et des eaux |
Air : nombre de dépassement en concentration de dioxyde de soufre Eau : nombre de dépassement de valeurs réglementaires |
Air & eau
Rester en deçà de 12 dépassements par an pour atteindre le premier |
Fabrication de matériel médico-chirurgical et dentaire |
Économie circulaire | Taux de valorisation des déchets |
Tonnage déchets valorisés matière/ Tonnage total déchets |
Production d’énergie (2021) |
Gaz à effet de serre | Limite annuelle d’émissions de CO2 relatives aux modes de travail, que sont les voyages professionnels, les trajets domicile-travail et les appareils et usages digitaux |
Plafond équivalent CO2 par exercice (avec l’objectif d’une réduction de 9%/an) |
Audiovisuel (2020) % annuel de réduction de |
Gaz à effet de serre | Le respect d'un objectif de réduction de gaz à effet de serre (GES) lié aux consommations d'énergies directes et indirectes, c'est-à-dire celles liées à la gestion des sites et parcs de véhicules de l'entreprise (scope 1 et 2) | % annuel de réduction de l’émission de gaz à effet de serre |
Activité de conseil (2018) | Consommation énergétique |
Baisse de la consommation électrique (BCE) d'un groupe de bâtiments tertiaires |
Baisse des consommations énergétiques au moins supérieur à 2,5% par rapport à l’année n-1 pour activer l’activation du critère |
Constructeur automobile (2021) |
Gaz à effet de serre | Production de véhicules qui respectent l’accord CAFE (Corporate Average Fuel Economy) À savoir 95 grammes de CO2 par km applicable à 95 % de la flotte de véhicules particuliers à compter de 2020 |
L’atteinte de l’accord déclenche la prime d’intéressement |
Télécommunication (2021) | RSE | Part des salariés formés aux enjeux et aux objectifs RSE définis par l’entreprise | Déclenchement de la prime d’intéressement si au moins 60% des effectifs sont formés à la RSE |
Il est intéressant de voir que des entreprises peuvent utiliser l’intéressement comme levier pour :
- rester dans un cadre réglementaire déjà existant (exemple pétrochimique ou du constructeur automobile);
- éviter de lourdes sanctions financières (constructeur automobile);
- anticiper les attentes du marché (automobile) et/ ou d’un cadre réglementaire en construction (cas de l’entreprise qui a des activités de conseil et qui anticipe les échéances du "décret tertiaire");
- sensibiliser les salariés aux enjeux de transition écologique (cas de l’entreprise de télécommunication).
Beaucoup d’organisations pensent et mettent en place des stratégies RSE (responsabilité sociale et environnementale). Il s’agit d’une démarche volontaire qui, bien souvent, est pensée par les directions générales et les départements RSE. Mais l’inclusion du plus grand nombre fait souvent défaut et l’appropriation par les salariés et leurs représentants est souvent questionnée. Par ailleurs, il est parfois reproché aux politiques RSE de trop se focaliser sur le volet communicationnel. Le manque d’ambition des plans d’action est aussi souvent pointé du doigt.

Pour dépasser ces limites, le levier de l’intéressement peut avoir son utilité. Car si la mise en place d’une stratégie RSE n’est pas un gage de transformation profonde pour les entreprises qui se sont engagées dans ce processus d'engagement volontaire, cette approche implique un degré de maturité socle concernant notamment les enjeux environnementaux. Pourquoi ne pas s’appuyer sur le travail déjà engagé et coupler la démarche à un accord d’intéressement ? Ce dernier permettra de déployer un plan de transformation des pratiques et, comme nous l’avons vu, d’aligner les objectifs au sein de l’organisation des partenaires sociaux, du management et des salariés.
Outre les indicateurs classiques utilisés pour l’intéressement (chiffre d’affaires, résultat, satisfaction client…), des indicateurs alternatifs peuvent être mobilisés : consommation d’énergie, réduction du bilan carbone, égalité femmes-hommes, développement des compétences, réduction du gaspillage de matières premières, sensibilisation des clients et sous-traitants… En matière d’intéressement, l’imagination est au pouvoir. Pour autant, il est important de prêter attention à quelques questions clefs.
Des indicateurs mesurables
Sur chacun de ces indicateurs, il est essentiel de construire des objectifs :
- d’une part quantifiables (donc évaluables);
- d’autre part, il est essentiel que ces spécifiques à l’entreprise, sur lesquels les salariés ont une responsabilité. Par exemple, lier le déclenchement d’une partie de l’intéressement à la réduction du bilan carbone de l’entreprise, sur un rythme comparable avec les engagements de l’Accord de Paris, ou encore au nombre de formations sur l’écoconception délivrées auprès des salariés et des sous-traitants (dans une logique de responsabilité élargie de l’entreprise).
Ainsi envisagée, la négociation d’un accord d’intéressement est l’occasion de mettre la RSE au coeur du dialogue social qui peine parfois à se saisir de ces enjeux, et de donner une réelle substance aux engagements sociaux, sociétaux et environnementaux de l’entreprise !
À l’heure où les négociations salariales sont souvent délicates, et les marges des entreprises contraintes, la négociation de l’intéressement peut être un levier utile : l’intéressement est plus flexible qu’une augmentation de salaire, et moins coûteux qu’une prime pour l’entreprise !
► Les auteurs de cette tribune :
- Guillaume Sulmont est président d'Aliquis, un cabinet d’expertise/conseil auprès des CSE et des négociateurs syndicaux (missions d’expertise sur les orientations stratégiques, sur la situation économique et financière et sur la politique sociale, mais aussi avec une volonté de service et de proximité).
- Nicolas Fourmont, associé de Gate 17, premier cabinet de conseil aux IRP dédié à leurs prérogatives environnementales. Le cabinet compagne et forme les représentants du personnel dans l'analyse et l'anticipation des conséquences sociales et économique de la transition écologique dans les branches et en entreprise.