L'accord sur la prévention des violences sexuelles et sexistes signé au festival de Cannes
16.05.2024

Ce vendredi 17 mai, les organisations patronales et syndicales de la production de cinéma signeront au festival de Cannes, en présence de Sophie Binet (CGT), deux avenants à la convention collective du secteur relatifs à la prévention des violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS) et aux conditions d'emploi des mineurs. Ces nouveautés conventionnelles consistent d'abord à rappeler les règles existantes en la matière, mais elles créent aussi un référent "VHSS" par film et imposent des règles pour l'organisation des castings et des tournages.
Alors que le milieu du cinéma est secoué par les dénonciations des violences sexuelles et abus sur mineurs (VHSS), la signature, ce vendredi 17 mai à Cannes, en plein festival, de deux avenants à la convention collective nationale de la production cinématographique et des films publicitaires (IDCC n°3097) a donc valeur de symbole (*).
Ces deux avenants concernent d'une part la prévention et le signalement des violences et harcèlements sexistes et sexuels et, d'autre part, les conditions d'emploi des moins de 16 ans dans les films (lire en pièces jointes). Cette branche emploie environ 25 000 salariés, sachant, comme nous le rappelle Denis Gravouil de la CGT, que nombre de techniciens et d'artistes sont intermittents et passent régulièrement d'une convention à l'autre.
Nous parlerons ici essentiellement du premier avenant, susceptible de vous intéresser davantage.
Long de 25 pages, il rappelle les définitions légales des VHSS (violences et harcèlements sexistes et sexuels) et les sanctions encourues, et il fait référence au kit de prévention publié par la branche en mars 2022 (voir le kit ici).
Sont ainsi cités :
- l'art. L.1153-1 du code du travail sur le harcèlement sexuel ;
- l'art. 222-23 du code pénal punissant de 2 ans de prison et 30 000€ d'amende les auteurs de harcèlement sexuel, peines portées à 3 ans et 45 000€ en cas d'abus d'autorité, de personne mineure ou vulnérable, etc. ;
- l'art. L. 1142-2-1 du code du travail définissant les agissements existes ("Tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant") ;
- l'art. R. 625-8-3 du code pénal concernant les contraventions prévues en cas de propos ou comportement "à connotation sexuelle ou sexiste" qui porte atteinte à la dignité d'une personne ou crée une situation intimidante ;
- l'art. 222-22-2 du code pénal définissant l'agression sexuelle ("le fait d'imposer à une personne, par violence, contrainte, menace ou surprise, le fait de subir une atteinte sexuelle de la part d'un tiers ou de procéder sur elle-même à une telle atteinte" ;
- l'art. 222-27 du code pénal prévoyant des peines de 5 ans et 75 000€ d'amende pour les auteurs d'agression sexuelle ;
- l'art. 222-23 du code pénal définissant le viol ("tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise"), le viol étant puni de 15 ans de prison.
L'avenant cite aussi les articles du code pénal sur la discrimination (art. 225-1 et 225-1-1).
Le texte mentionne la nécessité d'intégrer, pour le prévenir, les violences sexistes et sexuelles dans le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP). Pour construire et mettre à jour ce document, l'avenant invite les entreprises à s'appuyer sur :
- le kit de la branche et notamment sa fiche outil (voir page 11 de ce document);
- le comité paritaire de prévention relatif à l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail de la production cinématographique (CPPHSCT) ;
- les représentants du personnel ;
- le service de prévention et de santé au travail ;
- l'outil d'élaboration du DUERP spécifique à l'audiovisuel et au cinéma (voir OnlineInteractiveRiskAssessement).
Le texte rappelle l'information à donner aux salariés sur ces questions (règlement intérieur, affichage, mentions dans les contrats de travail) et souligne que le CNC (Centre national du cinéma) subordonne désormais ses aides à la formation obligatoire des équipes de long métrage à la prévention des violences sexuelles, sachant que l'opérateur de compétences de la branche (Afdas) a mis en place plusieurs parcours de formation sur ces thèmes.
En outre, l'article 5 de l'avenant crée l'obligation de mentionner dans le contrat de travail des salariés "une clause dédiée à la prévention des VHSS rappelant notamment les coordonnées des interlocuteurs internes et externes à l'entreprise" à contacter s'ils sont victimes ou témoins. Le texte propose une clause type (**).
Outre l'employeur, tenu de prendre toutes dispositions en vue de prévention les faits de harcèlement et y mettre un terme (art. L.1135-5 du code du travail), les représentants du personnel sont des acteurs de la prévention de ces violences, rappellent les partenaires sociaux.
Le CSE peut non seulement procéder à l'analyse des risques, mais il peut aussi "susciter toute initiative qu'il estime utile et proposer des actions de prévention des VHSS", tout refus de l'employeur devant être motivé (art. L. 2312-9). Le CSE peut en outre, rappelle l'avenant à la convention collective, exercer un droit d'alerte dès qu'un de ses membres a connaissance d'une situation de harcèlement sexuel (art. L. 2312-59).
Le texte mentionne l'existence et les missions du référent chargé d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement à partir de 250 salariés (art. L. 1153-5-1). Compte tenu des conditions de travail particulières du secteur, la branche décide ici de créer, en plus de ces référents, un "référent VHSS du film", indemnisé à hauteur de 30€ bruts par semaine. Choisi par l'employeur sur la base du volontariat, ce référent est notamment chargé de recueillir les signalements des salariés et de les transmettre : "Il veille à ce que son intervention respecte le principe d'impartialité. Il se déporte de sa mission temporairement dans le cas contraire".
L'accord demande à chaque entreprise d'organiser sa procédure de traitement des signalements, en respectant a minima les étapes suivantes :
- accuser réception du signalement ;
- premier échange avec l'auteur du signalement et la victime présumée ;
- première analyse ;
- réalisation d'une enquête interne "pour établir la matérialité des faits" (chaque partie devant être entendue);
- conclure l'enquête et y donner des suites.
D'autres dispositions de l'accord sont plus originales car touchant aux métiers mêmes de la branche.
Ainsi, l'avenant à la convention collective définit des préconisations pour l'organisation des castings : les candidats doivent être informés qu'ils peuvent se faire accompagner, ils doivent savoir rapidement si le scénario impose des scènes d'intimité, de nudité ou à caractère sexuel (et "à aucune étape du casting il ne peut être demandé à un artiste de se dénuder ou de réaliser des scènes d'intimité ou à caractère sexuel"). Les castings doivent se dérouler dans des lieux "adaptés" : "Aucun rendez-vous de casting, qui sont des temps professionnels, ne doit avoir lieu dans une chambre d'hôtel ou un appartement privé d'une personne de l'équipe". Les enfants doivent être accompagnés par un adulte référent.
Pour les scènes d'intimité ou à caractère sexuel, les partenaires sociaux jugent qu'elles nécessitent "une préparation en amont" comme pour une scène à risque (cascades, armes, etc.), et qu'elles doivent recueillir le consentement des acteurs par écrit, au moyen d'une clause type (***). L'accord suggère aussi aux équipes de films :
- d'engager "un coordinateur d'intimité" qui permet de "faciliter le tournage de ces scènes et d'assurer la protection des artistes";
- de limiter les personnes sur le plateau ;
- préserver la confidentialité, etc.
(*) Les organisations d'employeurs sont l'API, le SPI et l'UPC et les organisations syndicales sont le SNTPCT, le SPIAC-CGT et la SFA-CGT.
(**) Exemple de formulations suggérées dans cette clause type : "L'entreprise tient à garantir un environnement sécurisé à ses salariés (..) Aucun comportement inapproprié n'est toléré sur les lieux et pendant le temps de travail (...) Vous trouverez ci-après les coordonnées des interlocuteurs internes ou externes que vous pouvez contacter (..)"
(***) "Je reconnais avoir compris l'ensemble des informations qui m'ont été délivrées (..) Je n'ai pas été contraint (e), ni influencé (e) pour donner mon consentement (..) Je m'estime suffisamment éclairé (e) pour prendre une décision en toute connaissance de cause et j'accepte d'interréter les scènes suivantes (..)"
L'emploi des mineurs sur les tournages
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Le deuxième avenant traite des conditions d'emploi des mineurs de moins de 16 ans. Le texte rappelle les autorisations préalables nécessaires pour leur emploi et les règles spécifiques de leurs conditions de travail. Il prévoit qu'un responsable des enfants soit engagé par la production d'un film, cette personne devant n'avoir fait l'objet d'aucune condamnation judiciaire. D'autres règles et conseils seront définis par la suite, les partenaires sociaux prévoyant de poursuivre leurs travaux dans un groupe de travail spécifique. |