Par un jugement du 14 juin 2024, le tribunal administratif de Paris a accepté de transmettre au Conseil d’État la question de la conformité à la Constitution du VIII de l’article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
Le dispositif transitoire de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique subordonnant l’accès aux données identifiantes et non identifiantes des donneurs de gamètes à l’obtention de leur consentement pour les dons réalisés avant le 1er septembre 2022 n’en finit pas de soulever des interrogations et des contestations. Le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 juin 2024 en est une nouvelle illustration. Le cas est d’autant plus intéressant qu’il met en question un système privant l’enfant conçu par AMP sous l’empire du droit antérieur de tout espoir d’accéder à ses origines dès lors que le donneur de gamètes est décédé et ne peut de ce fait être sollicité de consentir ou non à la communication de ses données personnelles.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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En l’espèce, la requérante, née en 2001 d'une AMP par don de gamètes, saisit en novembre 2022 la commission d'accès des personnes nées d'une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD) d'une demande de transmission des données identifiantes et non identifiantes de son tiers donneur. Par une décision du 5 juin 2023, la CAPADD refuse de faire droit à sa demande en raison du décès du donneur sans que celui-ci ait exprimé au préalable son consentement. La requérante demande l’annulation de cette décision. En appui, elle demande également au tribunal de transmettre au Conseil d'État, à fin de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité au droit au respect à la vie privée et familiale, au principe constitutionnel d'égalité devant la loi et à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, des dispositions du VIII de l'article 5 de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Le tribunal administratif de Paris accueille favorablement cette demande de transmission de QPC au Conseil d’État.
Pour qu’une telle transmission puisse être acceptée, une triple condition doit être satisfaite : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et la question posée doit présenter un caractère sérieux. En l’espèce, le tribunal juge cette triple condition remplie.
L’applicabilité des dispositions contestées au litige
Le tribunal administratif estime que les dispositions contestées du VIII de l'article 5 de la loi du 2 août 2021 sont applicables au litige. En effet, outre que la CAPADD n’a pas mentionné dans sa décision de refus les dispositions dont elle faisait application, le tribunal relève que la requérante, née en 2001 et qui s'est manifestée auprès de la CAPADD en novembre 2022, entre bien dans le champ d'application du D du VIII de l'article 5. Ce texte prévoit que les personnes majeures conçues par AMP avec tiers donneur à partir d’embryons ou de gamètes utilisés jusqu'à la date fixée par le décret prévu au C du VII (date désormais fixée par un décret du 16 août 2023 au 31 mars 2025) peuvent se manifester, si elles le souhaitent, auprès de la CAPADD pour demander l'accès aux données non identifiantes du tiers donneur détenues par les organismes et établissements mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 2142-1 du code de la santé publique et, le cas échéant, à l'identité de ce tiers donneur.
En outre, selon le tribunal, les dispositions du E du VIII de l'article 5, selon lesquelles la CAPADD fait droit aux demandes d'accès présentées en application du D lorsque le tiers donneur a manifesté son accord, ont, s'agissant particulièrement des tiers donneurs décédés qui ne peuvent plus ni se faire connaître spontanément ni être contactés, une portée équivalente à celles du 6° de l'article L. 2143-6 du code de la santé publique. Pour rappel, le 6° de l’article L. 2143-6 charge la CAPADD de contacter les tiers donneurs qui n'étaient pas soumis aux dispositions de la loi du 2 août 2021 au moment de leur don, lorsqu'elle est saisie de demandes au titre de l'article L. 2143-5, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu'à la transmission de ces données à l'Agence de la biomédecine (ABM). Quant à l’article L. 2143-5, il prévoit que la personne qui, à sa majorité, souhaite accéder aux données non identifiantes relatives au tiers donneur ou à l'identité du tiers donneur s'adresse à la commission mentionnée à l'article L. 2143-6 (la CAPADD). Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er septembre 2022, conformément au B du VII de l'article 5 de la loi du 2 août 2021.
L’absence de déclaration préalable de conformité à la Constitution des dispositions contestées
Pour rappel, le Conseil constitutionnel, par une décision QPC n° 2023-1052 du 9 juin 2023, a déjà déclaré conforme à la Constitution la première phrase du 6° de l'article L. 2143-6 du code de la santé publique. Cependant, le tribunal administratif n’y voit pas un obstacle à la transmission demandée d’une nouvelle QPC car il résulte des motifs de la décision du Conseil constitutionnel « que celui-ci n'a examiné que les dispositions permettant à la CAPADD de contacter le tiers donneur en vue de recueillir son consentement à la communication de ses données non identifiantes et de son identité, sans se prononcer sur l'impossibilité, pour cette commission, de faire droit aux demandes d'accès en l'absence d'accord du tiers donneur ». Par suite, selon le tribunal, « les dispositions litigieuses ne peuvent être regardées comme ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ».
Le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité
En l’espèce, la requérante soutient que, en subordonnant la communication des données, notamment non identifiantes, au consentement exprès d'un tiers donneur, même lorsque ce dernier est décédé, le législateur a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect à la vie privée et familiale et au principe constitutionnel d'égalité devant la loi, garantis par les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi qu'à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, garanti par l'alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946. Pour le tribunal, ces moyens soulèvent une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
Observations
Il est permis d’espérer que la demande de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel sera accueillie favorablement par le Conseil d’État car le dispositif transitoire de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique pour les dons de gamètes antérieurs au 1er septembre 2022 apparaît contestable en ce qu’il subordonne le droit de l’enfant à connaître ses origines au consentement de son donneur de gamètes, sans réserver le cas où ce donneur serait décédé avant d’avoir pu être sollicité par la CAPADD à l’effet de consentir ou non à la communication de ses données identifiantes ou non identifiantes. Une telle situation ne peut pas se rencontrer pour les dons postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021 puisque le refus du donneur de consentir à la communication de ses données personnelles fait désormais purement et simplement obstacle au don de gamètes. Cela donne effectivité au droit de l’enfant devenu majeur de demander et d’obtenir de la CAPADD la communication des données personnelles concernant le donneur. Mais pour les dons antérieurs, si l’on peut comprendre l’exigence d’un consentement du donneur lorsqu’il est vivant, par souci de conciliation entre le respect de sa vie privée et familiale et le droit de l’enfant à connaître ses origines, l’on comprend moins en revanche pourquoi le décès du donneur sans avoir exprimé une quelconque volonté serait traité, dans le silence des textes, comme valant refus de sa part. La solution peut sembler sur ce point disproportionnée par rapport à l’objectif de tranquillité recherchée à l’égard du donneur. Certes, le droit antérieur était soumis au dogme d’un anonymat quasi-absolu des dons mais ce dogme était fort discuté et surtout, il n’en va plus ainsi avec la loi du 2 août 2021 qui a permis de lever cet anonymat par faveur au droit de l’enfant à connaître ses origines.
Le dernier mot restera cependant au juge en charge d’interpréter des textes qui ne règlent pas explicitement la question posée. On sait en ce domaine que la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du 7 septembre 2023, ne s’est guère montrée favorable à une interprétation du droit antérieur à la lumière du droit nouveau pour décider que l’État français, s’agissant des dons de gamètes antérieurs au 1er septembre 2022, n’avait pas outrepassé la marge d’appréciation dont il disposait dans le choix qu’il a fait de n’ouvrir l’accès aux origines que sous réserve du consentement du tiers donneur (CEDH, 7 sept. 2023, aff. 21424/16, Gauvin-Fournis et a. c/ France). Dans l’affaire rapportée, que décideront le Conseil d’État et, le cas échéant, le Conseil constitutionnel ?
Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies