L’employeur doit informer le CSE sur les conséquences environnementales d’un projet de déménagement
20.03.2023
L’information tardive des élus sur les conséquences environnementales d’un projet de déménagement de l’entreprise permet au CSE d’obtenir du juge une prolongation du délai de consultation.
Voilà probablement l’une des toutes premières décisions de justice concernant les nouvelles attributions du CSE en matière d’environnement. Rien que pour cette raison, même si la solution retenue par les juges n’apporte pas grand-chose sur un plan juridique, ce jugement rendu par le tribunal judiciaire Nantes le 22 décembre 2022 est en soi intéressant et mérite d’être porté à la connaissance des représentants du personnel. Il nous montre à quel point le CSE a désormais toute légitimité pour s’emparer pleinement des questions d’environnement lorsqu’il est consulté sur un projet d’entreprise.
En effet, depuis une loi du 22 août 2021, dite "loi climat et résilience", le CSE doit être informé et consulté sur les conséquences environnementales des différents projets que l’entreprise est susceptible de mettre en place. Par exemple, en cas d’introduction de nouvelles technologies ou d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, l’information/consultation du CSE doit également porter sur les conséquences environnementales (article L. 2312-8 du code du travail). Cela signifie que l’employeur doit lui fournir des informations suffisantes sur la question et que l’avis consultatif du comité social et économique portera aussi sur ces conséquences environnementales.
► Remarque : de même, au cours des grandes consultations récurrentes du CSE, à savoir celle sur les orientations stratégiques l’entreprise, celle sur sa situation économique et financière et enfin celle sur sa politique sociale et les conditions de travail, l’employeur doit informer le CSE sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise (article L. 2312-17). Autant d’occasions pour les élus du personnel de débattre avec la direction, d’être force de proposition et de veiller à prise en compte par l’entreprise des questions d’environnement. |
Tout commence, dans cette affaire, par un projet de déménagement de l’entreprise.
Le 23 septembre 2022, le projet est présenté au CSE réuni en séance extraordinaire. Pas un mot de l’employeur sur l’impact environnemental du déménagement, alors qu'il s'agit d'une société qu'on peut penser particulièrement sensibilisée à ces enjeux (*). Le 29 septembre, à l’occasion de leur réunion ordinaire, les élus alertent la direction sur plusieurs thématiques et lui font savoir qu’ils attendent des informations précises portant notamment sur le "bilan carbone et l’impact environnemental du projet". Ils votent le recours à une expertise.
Estimant que l’information environnementale présentée à l’occasion d’une nouvelle réunion du 15 novembre 2022 ne permettait toujours pas au CSE de disposer "d’une information complète et suffisante sur le projet de déménagement et les conséquences environnementales", les élus décident d’agir en justice. Il est demandé au tribunal judiciaire de Nantes, saisi le 21 novembre, d’ordonner à l’entreprise de fournir au CSE toute une série d’informations environnementales et de proroger le délai de consultation du comité.
Rappelons que lorsque le CSE est consulté, les élus qui estiment ne pas disposer d'éléments d’information suffisants peuvent saisir le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants (article L. 2312-15).
Le CSE veut connaître, notamment :
- "l'impact environnemental des déchets et des émissions de CO2 que le transport des collaborateurs, le renouvellement des outils et les changements de locaux pourraient engendrer";
- "l’évaluation de l'impact du projet sur la saturation des transports publics de voyageurs";
- "les caractéristiques des nouveaux mobiliers et équipements (matière, consommation d'énergie, etc.);
- "le traitement des anciens mobiliers et équipements (recyclage, réutilisation, valorisation des déchets, etc.)", etc.
Le comité est également preneur des engagements environnementaux du prestataire chargé du déménagement et des émissions de gaz à effet de serre générées par le déménagement.
Pour le juge, même si la présentation initiale du projet ne comportait effectivement aucun élément d’étude d’impact environnemental, les informations dont le CSE estimait avoir besoin lui ont bel et bien été fournies au plus tard le 12 décembre 2022, au fur et à mesure des réunions plénières de l’instance. Notamment, le document présenté lors de la réunion du 15 novembre 2022 constituait "une réponse détaillée technique et normée à la question des impacts environnementaux du projet pour les salariés". Ce document, réalisé par un organisme indépendant et répondant à la norme ISO 14064-1, mesurait le coût carbone par rapport aux périmètres organisationnel/opérationnel des postes et détaille les émissions indirectes liées à la consommation d'électricité et les émissions indirectes liées aux moyens de transport individuels.
D’où le rejet de la demande tendant à constater l’irrégularité de la procédure de consultation et à l’obtention de documents ou informations complémentaires.
► Remarque : dans son jugement, le tribunal judiciaire reprend une par une les demandes d’information du CSE et y répond très précisément en s’appuyant sur les informations transmises et précisions données par l’employeur. Par exemple, s’agissant de "l'impact environnemental des déchets et des émissions de CO2 que le transport des collaborateurs, le renouvellement des outils et les changements de locaux pourraient engendrer", il a été relevé que l’employeur avait répondu que "les émissions de CO2 avaient déjà été analysés le 15/11". Il avait également "précisé les conditions de recyclage du mobilier, la réutilisation des phone box sur un autre site par le fournisseur, l'absence de renouvellement d'outils informatiques à l'occasion du déménagement". |
En revanche, sur la question du délai de consultation, le comité social et économique obtient gain de cause.
Rappelons en effet qu'à défaut d’accord, le CSE est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l'expiration d'un délai d'1 mois (article R. 2312-6). Ce délai est porté à 2 mois en cas d'intervention d'un expert. En cas de difficultés particulières d'accès aux informations nécessaires à la formulation de l'avis motivé du comité, le juge peut décider la prolongation de ce délai (article L. 2312-15).
D’après le tribunal judiciaire, ce n’est que le 15 novembre 2022 que la direction avait présenté au CSE "une étude technique d'impact répondant aux exigences en la matière". En conséquence, "le délai d'information consultation n'a pu courir qu'à compter de cette date, sauf à priver la procédure de tout contenu concret".
D’où la décision du juge de reporter au 15 janvier 2023 la date de l'avis à donner.
(*) Il s'agit d'une filiale de General Electric, la SASU GE WIND FRANCE SAS, dont l'activité principale est la fabrication, la commercialisation, l'installation, la conception ainsi que la maintenance de solutions d'énergie éolienne offshore.