Les 5 enjeux capitaux du télétravail

Les 5 enjeux capitaux du télétravail

05.04.2021

Placé en tête de l'actualité par le gouvernement qui veut le maximiser, le télétravail correspondait au quotidien de 45 % des actifs en 2020. Mais quels sont ses effets à longue échéance ? Et surtout, quelles conséquences sur la société implique-t-il à long terme ? Les participants à la visioconférence des délégations du Sénat à la prospective et aux entreprises ont dégagé cinq enjeux sociétaux qui ébauchent le télétravail de demain.

Trois semaines de fermeture des écoles et voici le télétravail de nouveau sous le feu des projecteurs. Plébiscité par les salariés avant la crise du Covid, il montre aussi ses limites et effets pervers. Les juristes s'interrogent : modalité ordinaire d'exécution du contrat de travail ou solution ponctuelle ? Les employeurs réfléchissent : s'agit-il d'une opportunité pour réorganiser l'entreprise ? Les sociologues du travail restent songeurs : risque-t-il de casser le collectif et d'isoler les salariés ? Selon les spécialistes invités lors de la visioconférence du Sénat, jeudi 1er avril, le télétravail dissimule cinq enjeux sociétaux. Temps de travail, inégalités, flexibilité, relations humaines, écologie : de la gestion de ces enjeux découlera le modèle de télétravail qui prédominera dans quelques années.

Premier enjeu : la notion de temps de travail effectif

L'article L.3121-1 du code du travail définit le temps de travail effectif comme "le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles". Une définition amenée à évoluer dans la mesure où le télétravailleur peut vaquer à ses occupations sans l'œil soupçonneux de sa hiérarchie et où le télétravail se conjugue aussi avec la garde des enfants. C'est pourquoi l'économiste du travail Gilbert Cette propose de "reconcevoir le travail effectif sous le prisme de la charge de travail".

Pour André-Yves Portnoff, conseiller scientifique de Futuribles International, il existe en réalité trois temps de travail : la présence sur site, la disponibilité du salarié qui peut agir à distance et le temps où viennent les idées, ce dernier ne se mesurant pas en heures, "car c'est un temps qui vient lorsqu'on n'est pas sur site, quand on est enfin libéré de la pression de la production".

Deuxième enjeu : les inégalités

Ni tout noir ni tout blanc : le télétravail présente ses avantages et ses inconvénients. On l'a vu lors du confinement de mars 2020 : le télétravail féminin ne laisse pas autant de libertés qu'aux hommes lorsque le partage des tâches reste lui-même inégalitaire. Le télétravail risque aussi de créer des inégalités envers ceux qui continuent de travailler sur site. C'est pourquoi il doit être accompagné selon Gilbert Cette, en privilégiant la négociation collective. "Eviter les normes, laisser les acteurs décider, à eux de trouver le juste équilibre car les réalités diffèrent d'un salarié à l'autre". Une exhortation au dialogue social partagée par Pierre-Yves Portnoff. Rappelons que le dialogue en entreprise dépend aussi du climat social infusé par les directions, et plus largement de la place laissée en général aux corps intermédiaires, et en particulier aux syndicats dans la vie publique.

Troisième enjeu : la flexibilité

La flexibilité, "une vieille attente universelle", selon Pierre-Yves Portnoff qui a compilé diverses études au niveau mondial d'où ressort le même constat : Espagnols, Japonais, Français ou Scandinaves, les salariés apprécient la souplesse du télétravail. "Au point que 85 % des travailleurs français considèrent aujourd'hui comme négative une offre de travail sans télétravail, et qu'un tiers des Italiens sont prêts à gagner moins pour télétravailler". Seulement voilà, les employeurs restent méfiants et les supérieurs hiérarchiques parfois engoncés dans une vision verticale et présentielle du travail. Pierre-Yves Portnoff appelle donc à une révolution managériale : "Manager par le haut sera contre-productif car non motivant".

Quatrième enjeu : la qualité des relations humaines

Selon une étude américaine, 80 % des travailleurs insatisfaits des relations humaines dans l'entreprise déclarent que leur productivité est réduite. A l'inverse, les deux tiers de ceux qui sont satisfaits font part d'une productivité améliorée. "Le climat dans l'entreprise incite à travailler ou pas, c'est un facteur majeur qui met en cause le style de management". Pierre-Yves Protnoff insiste ainsi sur l'importance du droit à l'erreur qui permet la créativité et la prise d'initiative. De l'oxygène nécessaire à tout salarié, qu'il télétravaille ou pas.

Cinquième enjeu : l'écologie

Erwan Tison est directeur des études de l'institut Sapiens et vient de publier une étude sur l'avenir du télétravail. Il a constaté que les salariés qui télétravaillent approuvent aussi le gain écologique lié l'absence de déplacement. Un point de vue partagé par Daniel Salmon, sénateur de Bretagne et membre de la délégation aux entreprises : "Il faudra établir le bilan carbone du télétravail, examiner ses vertus sur l'utilisation des modes de transport, mais aussi la question du chauffage et de la qualité de l'air dans le domicile du salarié qui a été complètement escamotée jusqu'à présent".

En conclusion, deux visions opposées du télétravail vont s'affronter dans les prochaines années. D'un côté une posture court-termiste, orientée vers la recherche d'économies financières liées au télétravail, avec un management hiérarchique, un télétravail inégalitaire car réservé aux cadres, agrémenté de logiciels de contrôle à distance des salariés. Cette vision engendrera de la démotivation, et les entreprises se verront incapables de mobiliser l'intelligence collective. Le télétravail sera utilisé pour réduire les salaires des travailleurs dans les pays développés. Pierre-Yves Portnoff devine un sombre scénario : "Si cette posture prédomine, l'économie européenne s'effondrera". De l'autre côté tentera de percer une vision de long terme, un "capitalisme patient", caractérisé par un management par l'écoute et la confiance, une motivation au résultat et non au temps de travail, des entreprises résilientes et plus agiles. Les territoires seront mieux occupés, les délocalisations d'emploi limitées. Dans le premier cas, un télétravail subi, dans le second un télétravail choisi. Son avenir dépendra de l'équilibre entre ces deux modèles.

 

Marie-Aude Grimont

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