"Les CSE n’ont pas encore intégré les attributions du CHSCT dans leur action"
14.09.2022

En matière de conditions de travail, de santé et de sécurité, comment les CSE assurent-ils leur prérogatives ? Sur ces sujets, quelles peuvent et doivent être leurs priorités en cette rentrée ? Alexandra Jean, sociologue du travail, et Elisa Oudinot, ingénieur informatique et psychosociologue, qui ont créé le cabinet DTR conseil, nous répondent et vous livrent leurs conseils. Interview.
Le sujet de plus en plus important, c’est bien sûr la charge de travail ! Nous y reviendrons mais en préambule, nous voudrions insister sur un point très important alors que de nombreux CSE vont faire l’objet d’un renouvellement électoral. Nous sommes frappées par le fait que les CSE ont jusqu’à présent peu abordé les questions de santé au travail, si l’on met de côté la crise sanitaire. C’est paradoxal dans la mesure où ils reçoivent de très nombreuses remontées de salariés sur les problèmes liés à la charge de travail accrue et de comportements inappropriés de la part de managers (pressions sur les salariés, par exemple).
Les élus CSE n'ont pas été tous formés à la question de la CSSCT, la commission santé sécurité et des conditions de travail, sur son rôle et son fonctionnement. Ils se sont posés beaucoup de questions sur la coordination entre la CSSCT et le CSE mais en pratique, il y a eu peu de coordination réelle et de travail effectif sur ces sujets. Les élus se sont focalisés sur la répartition des dossiers (le suivi économique par exemple) mais derrière, la question de la coordination, de la stratégie globale collective du CSE, n’a pas été définie ni résolue, et cela vaut d’ailleurs aussi pour les CSE sans CSSCT. Ils ont un peu laissé de côté les questions santé et sécurité au travail.

Et il y a eu parallèlement une stratégie de certaines directions qui ont présenté aux élus la CSSCT comme une instance à part entière, alors qu’elle est loin de disposer des prérogatives du CHSCT (Ndlr : pas de droit d’expertise, par exemple). Comme les élus n’étaient pas formés à cette question, ils n’ont pas toujours réagi. Cela s’est aussi traduit dans les ordres du jour du CSE. Des employeurs ont eu tendance à définir seuls les ordres du jour, certains élus ne savant pas qu’ils doivent participer à la construction de l’ordre du jour. Quand nous commençons à travailler avec les élus sur les questions de conditions de travail, de mal être au travail, de comportements inappropriés au travail (harcèlement par exemple), ils sont souvent démunis pour relier ces points à l’ordre du jour, qu’ils au CSE sont souvent circonscrits au suivi économique.
Nous nous y attendions : au moment de la crise sanitaire, nous pensions que la sortie de crise pourrait donner lieu à une recherche forte de productivité et de performance (1). C’est bien ce qui s’est passé et cela continue. Dans ce contexte de charge de travail croissante, les salariés ont besoin de s’appuyer sur leur hiérarchie pour arbitrer entre plusieurs priorités. Mais ce que nous constatons, dans toutes nos dernières demandes d’expertises, c’est que les sujets de la charge de travail se cumulent avec le problème de comportements déviants de managers. Les salariés se voient confier des objectifs inatteignables au regard des moyens dont ils disposent, et cela détériore leurs relations entre managers et salariés.

Par exemple, des directeurs et des responsables d’équipes humilient parfois en public des collaborateurs, les injurient. Ces situations sont délicates et les élus ne savent pas comment réagir, s’ils doivent faire une enquête. Très souvent, la direction les dissuade de le faire en déplaçant la personne victime, mais pas le harceleur ! On entend aussi souvent les élus expliquer que la direction veut traiter ça de façon discrète. L’informel et le « off » se multiplient entre certains élus et la direction, entre deux couloirs. Au lieu de régler le problème, on le sort de l’ordre du jour officiel.
C’est ça ! Et même les élus qui veulent le faire ne savent pas trop comment s’y prendre.
Rarement ! Nous avons vu un CSE qui a réagi aux remontées des salariés sur les conditions de travail et des comportements de managers. Ils ont fait une enquête au sein de la CSSCT, l’ont remontée au CSE. Mais eux étaient à la fois expérimentés et formés sur le CSE et la CSSCT. Ils avaient bien conscience que la CSSCT n’était pas une instance.

Alors que de très nombreux élus CSE, que nous avons vu en accompagnement, en formation ou en expertise, découvraient ça, ils étaient persuadés que la CSSCT avait davantage de pouvoir, qu’elle pouvait lancer des alertes voire des expertises. Et quand on lit les PV des 4 réunions de l’année du CSE consacrées aux conditions de travail, on ne voit que quelques indicateurs très limités sur l’absentéisme, par exemple.
Déjà, les élus doivent se former, et ils disposent avec la loi santé au travail de 5 jours de formation sur la thématique de la santé, sécurité et conditions de travail. Il est important qu’ils se forment en début de mandat, et qu’ils se forment si possible tous ensemble, pas seulement les membres de la CSSCT, afin qu’ils apprennent à trouver des fonctionnements communs, à aborder et à surmonter leurs désaccords. Ensuite, nous les faisons travailler sur l’ordre du jour. Nous les sensibilisons sur le fait que de passer des sujets sur les conditions de travail un peu vrac dans les questions diverses n’est pas une bonne chose.

Ces sujets, il faut les faire apparaître en tant que tels. Ils doivent aussi analyser les sujets, prévoir de se répartir la parole en réunion, pour que tout le monde s’approprie ce thème. Enfin, il y a le lien avec les salariés qu’il faut cultiver. Quand des élus sont interpellés par les salariés sur les conditions de travail, ils doivent apprendre comment inscrire ces problèmes dans l’organisation du travail, et ne pas hésiter à interpeller la direction sur un service qui dysfonctionne, voire envisager de réaliser une inspection eux-mêmes, une pratique qui s’est un peu perdue.
Oui, et c’est un problème. Quand nous abordons le sujet avec eux en formation, les élus ont souvent peur du mot inspection, ils craignent la réaction de la direction mais aussi des salariés. Nous essayons de les sensibiliser et de les former là-dessus. Et quand des inspections sont réalisées, nous voyons qu’elles sont parfois canalisées par l’employeur qui prépare une grille d’évaluation où ne figurent comme par hasard que très peu d’éléments sur les risques psychosociaux.
Il faut bien voir que le CSE est une instance récente, et que les élus, face à la diversité des sujets à traiter, ont été comme absorbés par la répartition des tâches entre eux, par les problèmes d’organisation de l’instance. La direction y a contribué aussi en leur demandant : « Alors, votre commission fonctionne comment ? » Pour briser cette approche « un sujet par élu », il faut que les élus se sentent collectivement autorisés à travailler sur tous les types de sujet, et qu’ils travaillent sur le fond des sujets. Le CSE est bien une instance collégiale.
Nous avons aidé récemment deux CSE en vue de leurs élections. Un tiers des membres avait démissionné pendant le mandat, et un autre tiers ne voulait pas se représenter. Nous avons beaucoup travaillé avec eux sur le lien avec les autres salariés. Pour trouver des candidats, à la fois en respectant la parité F/H et la représentativité des différents sites et métiers, il faut préparer les choses longtemps à l’avance. Ils ont organisé des réunions pour parler aux salariés des difficultés du CSE, de la difficulté à se coordonner, des problèmes qu’ils ont pu résoudre, de leurs projets, etc.

Une dynamique a pu s’instaurer, dans le sens d’une nouvelle cohésion sociale, et ils ont trouvé des candidats, dont certains avaient justement envie de s’investir sur la question des conditions de travail. Les élus ont souvent peur qu’il n’y a pas assez de candidats. Nous leur conseillons de préparer l’échéance six mois avant l’élection. C’est un gros travail à mener. Mais cela permet aussi d’aborder par exemple la question des crédits d’heures, du rôle des suppléants, de la règle d’ancienneté pour intégrer le CSE, etc. Il faut aussi que le CSE tienne à nouveau un discours sur son rôle…
Un service mal organisé et en surcharge de travail, c’est un sujet à aborder par les élus dont le rôle est d’interpeller la direction. Mais nous avons parfois perçu chez certains élus comme une peur des représailles de la part de l’employeur ou de leur manager.
Bien sûr, d’où parfois des discussions longues sur le choix du terme figurant dans le point à l’ordre du jour : « Risque psychosocial, ça ne passera pas, mettons alors mal être ou tensions …
C’est une très bonne chose, les élus n’avaient souvent pas connaissance du fait qu’ils pouvaient être informés et consultés sur le DUERP. Et par ailleurs souvent les documents ne sont pas actualisés. A ce sujet, il ne faut pas non plus renverser l’ordre des responsabilités, comme on le voit parfois dans les petites structures : ce n’est pas au CSE de faire le travail d’évaluation et d’actualisation du DUERP, mais à l’employeur !
Dans les entreprises, et notamment dans le secteur financier, nous ressentons des inquiétudes très fortes sur l’emploi et l’évolution des métiers, avec une réorganisation continue, des services qui ferment, etc. Certains employeurs dramatisent la situation sur le thème : « Après deux ans de crise sanitaire, il nous faut préparer l’avenir… » Beaucoup de salariés, même en CDI dans de grandes entreprises, craignent pour l’évolution de leur carrière et le maintien de leur emploi.
(1) Voir l'épisode de notre podcast Le Micro Social de mai 2020 réalisé avec A. Jean et E. Oudinot du cabinet DTR conseil.