Créées par la loi El Khomri afin de développer une culture partagée de la négociation collective entre représentants de salariés et d'employeurs, les formations communes réunissant ces derniers ont démarré il y a un peu plus d'un an. Peu d'élus en ont bénéficié pour le moment. Les premiers retours sont positifs s'agissant de l'apprentissage des techniques de négociation et du rapprochement entre élus, moins s'agissant de la mise en œuvre opérationnelle des acquis.
Réformer le droit de la négociation collective est une chose, réformer la culture des négociateurs en est une autre. C'est pourtant l'ambition des formations communes aux syndicats et aux employeurs créées par la loi El Khomri de 2016 et déployées par l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (Intefp). L'idée de ces formations, au cours desquelles syndicats et employeurs d'une même structure partagent pendant deux jours la même salle, les mêmes intervenants, les mêmes exercices, est de leur enseigner une « pédagogie commune » (rapport Combrexelle de 2015, lire notre article et ce point de vue) de la négociation collective afin de moderniser en profondeur notre système de relations sociales.
Une dizaine de formations de ce type ont été organisées par l'Intefp depuis novembre 2018 (1). Elles ont été essentiellement assurées auprès d'instances paritaires, notamment des observatoires départementaux du dialogue social (ODDS) créés par l'ordonnance de septembre 2017, et dont le rôle est de soutenir la négociation collective dans les départements, et plus récemment des entreprises (2).
Les élus des observatoires (3) ayant participé à ces formations témoignent que leur contenu était conçu pour favoriser la participation : dispositifs pour « briser la glace » entre les élus (se faire présenter par un autre participant) ; appel à des sentiments personnels (s'inspirer d'une carte postale pour évoquer son approche du dialogue social) ; travail de groupe (s'organiser pour survivre après un accident d'avion) ; mise en pratique de la négociation. « La formation dans son intégralité était rythmée par sept séquences avec une animation différente pour chacune, alliant théorie et pratique : présentation croisée, quiz, travail en sous-groupe, jeu sur l’efficacité de l’intelligence collective, jeu de rôles… », raconte Dominique Varlet, représentant Medef à l’ODDS de l’Ain, formé les 15 et 16 novembre 2018 dans les locaux de l'Intefp, à Marcy l’Étoile près de Lyon. Un contenu adapté aux attentes des participants puisque leur premier objectif était tout simplement de se connaître entre eux.

Tous témoignent que la formation commune leur a effectivement permis d'atteindre cet objectif, nonobstant leurs intérêts divergents. Gilles Sabart, vice-président (Medef) de l'ODDS du Rhône, président d'une société de conseil en stratégie territoriale et relations institutionnelles, formé en même temps que l'ODDS de l'Ain, explique que, dans cette situation de formation, « le caractère humain prend le dessus même si chacun reste dans son rôle ».
Jean-Pierre Galtier, de l'ODDS de l'Ariège, où il siège pour l'Udes (économie sociale), directeur d'une association médico-sociale employant 500 salariés, formé les 19 et 20 novembre 2019 à Foix, raconte de son côté avoir découvert « qu'il n'est pas facile pour un représentant syndical de prendre une décision pour l'entreprise alors qu'il est soumis à une doctrine nationale ».

Le rapprochement a aussi pu se faire entre organisations patronales. « Je n'avais jamais eu l'occasion de rencontrer le Medef, j'ai pu porter auprès de ses représentants le discours de l'économie sociale », témoigne Jean-Pierre Galtier. Mustapha Belkhadim, membre Unsa de l'ODDS de la Mayenne, formé les 21 et 22 novembre 2019 à Nantes, y a même trouvé un intérêt personnel. Conducteur de bus depuis 22 ans, il prépare une reconversion. « Je me destine à devenir cadre, explique-t-il. Avoir participé à cette formation me permet de mieux cerner les acteurs du dialogue social et de mieux me vendre plus tard ».
Bilan positif également pour l'apprentissage de la négociation en tant que technique. Dominique Varlet, qui avait déjà pratiqué empiriquement la négociation collective dans son entreprise, explique ainsi que « les formateurs de l'Intefp, en décortiquant le processus de la négociation, la dédramatise ». Au final, il retient qu'il « existe des techniques de négociation, qu'on n'apprend pas en tant que chef d'entreprise mais qu'on pratique pourtant ». Jean-Pierre Galtier, retire de son côté l'impression que les représentants des TPE « ont pris conscience que la formalisation du dialogue social, même si elle leur paraît lourde, a l'avantage de laisser moins de place à la subjectivité du chef d'entreprise ». Laurence Tardivel, vice-présidente de l'ODDS de Loire-Atlantique au titre d’un mandat Medef et co-gérante d'un cabinet d'avocats, formée en même temps que l'ODDS de la Mayenne, explique avoir retrouvé certains outils de la médiation, à laquelle elle est formée.
Mais certains élus voulaient aussi profiter de l'occasion pour asseoir l'existence des tout jeunes observatoires dans lesquels ils siègent. Créés par les ordonnances de 2017 dans le but de soutenir la négociation des entreprises des départements, ils ne se sont pas encore imposés dans le paysage. « Nous ne sommes pas très actifs car nous en sommes encore au stade où nous ne savons pas bien comment présenter notre projet », admet Mustapha Belkhadim. « Les participants à la formation commune s'étaient notamment fixés comme objectif de promouvoir l'ODDS », explique Laurence Tardivel. Jean-Pierre Galtier explique de son côté que le but était de « créer un guide méthodologique pour le dialogue social dans les TPE ».

Cette mise en œuvre opérationnelle de la formation obtient un bilan plus mitigé. Gilles Sabart déclare ainsi avoir produit avec les autres élus de l'ODDS du Rhône « un document sur les indicateurs » du dialogue social du département à partir de ceux de la Direccte. « Au cours de la formation, nous avons défini ensemble l'esprit de l'ODDS », témoigne-t-il. Mais Dominique Varlet, de l'ODDS de l'Ain, explique pour sa part être « toujours en phase d'observation » sans avoir pu vraiment avancer dans un projet pour son observatoire. Un constat que ne partage pas son homologue Didier Mayer, représentant CFDT à la chambre départementale de la métallurgie : « Nous avons appris à mieux situer le rôle de l’ODDS, déclare-t-il. A titre d’exemple, par la suite, nous avons organisé, quelques mois plus tard, un séminaire sur le CSE comme outil de négociation. » A l'issue de la formation, Jean-Pierre Galtier n'avait toujours pas créé de guide méthodologique pour le dialogue social dans les TPE.
(1) Les organismes dispensant les formations communes sont référencés par l'Intefp. Une équipe d'une dizaine de personnes, baptisée « Format dialogue », se charge de ce travail. Aujourd’hui, près de 30 organismes sont référencés et une dizaine sont en cours d’instruction. Les formateurs doivent respecter un cahier des charges imposant notamment la neutralité, l'équidistance et l'empathie. Voir le site de l'Intefp
(2) Les Observatoires départementaux du dialogue social, qui doivent établir un bilan annuel du dialogue social dans leur département, ont pour vocation de s'intéresser aux entreprises de moins de 50 salariés, mais en pratique, certains observatoires traitent aussi de la situation des entreprises de 50 salariés et plus.
(3) Ont notamment participé aux formations : Mustapha Belkhadim, membre Unsa de l'ODDS (observatoire départemental du dialogue social) de la Mayenne et trésorier de l'Unsa transports urbains, conducteur de bus ; Didier Mayer, de l'ODDS de l'Ain, représentant CFDT à la chambre départementale de la métallurgie ; Dominique Varlet, membre (Medef) de l'ODDS de l'Ain, gérant d'une société de maintien à domicile ;Gilles Sabart, vice-président (Medef) de l'ODDS du Rhône, président d'une société de conseil en stratégie territoriale et relations institutionnelles ; Jean-Pierre Galtier, de l'ODDS de l'Ariège où il siège pour l'Udes (économie sociale), directeur d'une association médico-sociale employant 500 salariés ; Laurence Tardivel, vice-présidente de l'ODDS de Loire-Atlantique au titre d’un mandat Medef et co-gérante d'un cabinet d'avocats.
Quel statut pour les apprenants ?
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Le bulletin officiel du ministère du Travail du 30 juillet 2018 dispose que « pour les salariés, le suivi d’une formation commune peut s’effectuer soit dans le cadre du plan de formation de l’entreprise, soit dans le cadre du congé de formation économique, sociale et syndicale ». Dans ce dernier cas, les formations sont dispensées par les organismes de formation des syndicats. S'agissant des employeurs, la formation « peut être prise en charge par les fonds d’assurance formation de non-salariés ou par les OPCA compétents ». La situation est donc claire pour les élus d'un CSE ou pour un dirigeant d'entreprise, sauf que les membres d'un observatoire du dialogue social n'entrent pas dans ces cases. Du coup, chacun a pratiqué le système D. Ainsi, Gilles Sabart, dirigeant d'entreprise, explique être venu sur son « temps personnel ». Laurence Tardivel, co-gérante d'un cabinet d'avocats, déclare qu'elle était là « en qualité de membre de l’ODDS ; ainsi en dehors de [ses] tâches professionnelles habituelles ». Jean-Pierre Galtier, directeur d'une association, explique avoir pris sur son « temps de salarié » et avoir été défrayé par son employeur. Mustapha Belkhadim, salarié avec un détachement syndical de 80% déclare être venu sur son « temps personnel et syndical, car j'ai une liberté en tant que détaché ». Il a payé de sa poche ses deux nuits d'hôtel et ses deux dîners. Les déjeuners ont été offerts par la Direccte -qui accueillait la formation- mais « après négociation », témoigne-t-il. ► A noter que se développent aussi des diplômes universitaires sur le dialogue social, ces formations mêlant souvent DRH et représentants syndicaux : voir par exemple notre article. Par ailleurs, la validation des acquis liés à l'exercice des mandats progresse : lire notre dossier. |