Les partenaires sociaux ouvrent une négociation sur...la négociation interprofessionnelle et sur le paritarisme

Les partenaires sociaux ouvrent une négociation sur...la négociation interprofessionnelle et sur le paritarisme

04.01.2022

Surprise ! Aujourd'hui 5 janvier, les partenaires sociaux se réunissent au siège parisien du Medef pour ouvrir une nouvelle négociation interprofessionnelle. Syndicats et patronat veulent réviser l'accord de 2012 sur le paritarisme de gestion (à l'oeuvre au sein de l'Apec, de l'Agirc-Arrco par exemple) mais ils entendent aussi réaffirmer l'autonomie des partenaires sociaux en rappelant les principes de la loi Larcher (article L1 et suivants), sans oublier une révision des conditions de la négociation interprofessionnelle.

A trois mois de la présidentielle, les partenaires sociaux, qui s'estiment toujours snobés par l'exécutif, adressent un message politique à l'actuelle majorité et à son gouvernement, et à leurs successeurs, en lançant le chantier de la modernisation du paritarisme et de la négociation interprofessionnelle, l'un de ceux prévus par leur feuille de route commune. Après plusieurs rencontres dont la dernière a eu lieu le 17 décembre, organisations syndicales et patronales ouvrent aujourd'hui une négociation nationale interprofessionnelle, en espérant l'achever en février 2021. Des séances sont programmées les 14 et 28 janvier, et les 2 et 10 février. Deux points sont au menu : le paritarisme de gestion et le paritarisme de négociation. 

Le "paritarisme de gestion"

Les partenaires sociaux veulent revoir l'accord national interprofessionnel du 17 février 2012, signé côté syndical par la CFDT, la CFTC et FO, qui détermine la gestion paritaire de certains organismes par les organisations syndicales et patronales. Celles-ci ont dressé le 17 décembre dernier un premier état des lieux de la gestion paritaire dans 7 organismes (1), état des lieux auquel la CGT n'a pas participé. En affichant leur volontarisme sur le maintien d'une gestion paritaire, c'est-à-dire partagée entre partenaires sociaux, les organisations syndicales et patronales tentent de réaffirmer leur rôle face à un gouvernement qui a repris à sa main la gestion de l'assurance chômage et qui empiète, selon eux, sur leur champ. "Il nous faut affirmer la place de la démocratie sociale", prévient Marylise Léon, négociatrice pour la CFDT. 

Selon Michel Beaugas, négociateur pour FO, l'état des lieux a montré un assez bon respect de l'accord de 2012 dans le fonctionnement des organismes étudiés. La négociation pourrait permettre de renforcer certains aspects de l'accord, comme une meilleure formation des administrateurs nommés par les partenaires sociaux ou comme une exigence plus forte en matière d'équilibre entre femmes et hommes parmi les administrateurs. "J'observe que côté syndical, nous avons respecté la représentation de 30% de femmes et sommes allés au-delà", se félicite Michel Beaugas. Marylise Léon (CFDT) cite pour sa part la composition des délégation et les règles de vote. La question financière liée au paritarisme (prise en charge des absences, indemnisation des frais, etc.) devrait aussi être abordée, l'AGFPN (le fonds pour le financement du dialogue social) ayant vu le jour depuis l'accord de 2012 (lire notre article).

Le rapport entre législatif et conventionnel

Le point "paritarisme de négociation" comprend l'examen des articles L.1, L.2 et L.3 du code du travail. L'article L.1 cristallise les tensions entre les partenaires sociaux et l'exécutif, les premiers estimant que l'exécutif n'a pas respecté l'esprit de cet article en imposant ses choix lors de la réforme des instances représentatives du personnel (ordonnances de 2017) et de la formation professionnelle (réforme de 2018). "Au début du quinquennat Macron, le Medef a pu sabrer le champagne en voyant les ordonnances Travail. Mais ils ont vite déchanté en voyant comment le gouvernement traitait l'ensemble des corps intermédiaires en imposant ses choix", remarque Gilles Lecuelle (CFE-CGC). 

Introduit par la loi Larcher du 31 janvier 2007, l'article L.1 prévoit que tout projet de réforme envisagé par le gouvernement et qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales et patronales représentatives. Selon le même article, le gouvernement doit afficher ses intentions dans un document d'orientation communiqué aux partenaires sociaux, lesquels peuvent alors décider d'ouvrir eux-mêmes une négociation sur le sujet. Ce n'est qu'en l'absence d'une telle négociation, ou pour un cas d'urgence, que le gouvernement peut prendre la main seul.

Les organisations patronales pourraient vouloir insister, dans la négociation, sur le fait qu'un accord des partenaires sociaux doit être respecté par le législateur. Une question très politique donc, et qui voit s'affronter la logique d'autonomie d'édiction des normes par les acteurs sociaux et la logique démocratique selon laquelle la loi est votée par le Parlement, sans oublier la notion de qualité d'écriture juridique qui assure la lisibilité et l'application des textes, pas toujours évidente quand les textes résultent de compromis.

"Il est difficile d'exiger des parlementaires qu'ils n'interviennent pas sur un texte, admet en souriant Michel Beaugas pour FO, mais peut-être pourrait-on envisager, au lieu d'une simple audition des partenaires sociaux par les députés et sénateurs à l'issue d'un accord, un véritable groupe de travail associant les partenaires sociaux et les parlementaires". 

L'article L.2 de la loi Larcher traite de la procédure de concertation et de négociation des projets de loi et de décrets auprès de la commission nationale de la négociation collective. Là encore, les partenaires sociaux ont souvent critiqué leur saisine tardive, le manque de temps pour examiner les projets de texte et surtout la non prise en compte de leurs remarques, la consultation devenant à leurs yeux souvent formelle. "L'urgence est parfois utilisée par le gouvernement pour escamoter de véritables discussions avec les partenaires sociaux", déplore Marylise Léon (CFDT).

Enfin, l'article L.3 de la loi Larcher prévoit que le gouvernement présente chaque année les orientations de sa politique concernant les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle, avec le calendrier envisagé. Inversement, les partenaires sociaux doivent présenter au gouvernement l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles en cours. "Un point qui n'a pas été appliqué ces dernières années", déplore Gilles Lecuelle (CFE-CGC). 

Quelles modifications peuvent suggérer les partenaires sociaux sur ces points relevant du pouvoir législatif ? S'agit-il par exemple "d'institutionnaliser" un agenda social autonome des partenaires sociaux ? Ou plus modestement de publier une position commune des partenaires sociaux sur le sujet ? A suivre...

Les conditions de la négociation interprofessionnelle

Enfin, la partie "paritarisme de négociation" traite aussi des contours et des conditions de la négociation interprofessionnelle, qu'il s'agisse de sujets pris à l'initiative des partenaires sociaux, ou de négociations lancées à la demande de l'exécutif. C'est sans doute le point le plus difficile dans ces discussions, tant l'habitude a été prise de faire se dérouler les discussions interprofessionnelles dans les locaux du Medef, lequel a souvent la main pour rédiger les projets d'accords. Ces conditions ont été souvent dénoncées par le passé comme "déloyales", notamment par la CGT, ce syndicat fustigeant des conciliabules et réclamant un lieu neutre et une autre approche.

Les organisations syndicales vont tenter de relancer le sujet qui ne se limite pas au seul lieu de négociation mais aussi à la méthode : "Comment organiser au mieux la préparation de ces négociations ? Ne peut-on pas partager des états des lieux et des études d'impact sur le sujet ?" interroge ainsi Gilles Lecuelle au nom de la CFE-CGC. Ce thème englobe également la question du suivi des accords déjà conclus, un point faible des discussions interprofessionnelles. Pour Marylise Léon (CFDT), le bilan fait sur les accords nationaux interprofessionnels de ces dernières années, y compris avec les négociateurs de l'époque, montre que "le processus de négociation est très important". 

 

(1) Action Logement, Agefiph (pas paritaire mais qui dispose d'un collège associatif), AGFPN, Agirc-Arrco, Apec, Certif Pro, Unedic.

 

Une réunion au ministère sur le CSE et le dialogue social
La ministre du Travail doit recevoir lundi 10 janvier les partenaires sociaux au sujet des CSE et du dialogue social dans les entreprises. Après le récent rapport du comité d'évaluation des ordonnances, qui dresse un constat très critique quant à la mise en place et au fonctionnement des CSE, le gouvernement a annoncé quelques mesures pour accompagner élus et entreprises : diffusion d’un référentiel, formations communes élus-employeurs, animations dans les observatoires départementaux du dialogue social, réseau de référents du dialogue social avec l'appui de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, etc. (lire notre article). Des mesures qui ne touchent pas au fond des ordonnances et qui pourraient être jugées insuffisantes par les organisations syndicales ... 
Bernard Domergue

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