Comment le projet d'élargissement du passe sanitaire, qui soulève de nombreuses critiques sur le plan juridique, sera-t-il apprécié par la CNIL et par le Conseil d'Etat, qui avaient donné leur feu vert à un usage restreint du passe sanitaire ? L'éclairage du juriste Nicolas Hervieu.
Parallèlement à l'obligation vaccinale des personnels soignants qui fera l'objet d'un projet de loi présenté la semaine prochaine en conseil des ministres (1), Emmanuel Macron a annoncé le 12 juillet un élargissement rapide (mardi, le Premier ministre a parlé du 23 juillet) de l'utilisation du passe sanitaire (certification de vaccination ou attestation de non positivité à la Covid-19 que doit présenter une personne dans certains cas, lire notre article).

"La volonté du gouvernement d'élargir dès maintenant, donc par décret sur la base de la loi déjà existante, le dispositif du passe sanitaire pose problème dans la mesure où la loi actuelle sur la sortie de l'état d'urgence sanitaire, même si elle est un peu floue, ne vise, pour l'usage du passe sanitaire, que les rassemblements importants. On peut toujours imaginer le gouvernement passer à la hussarde par décret, comme il a pu le faire par le passé, et régulariser ensuite le dispositif, mais les risques de recours sont réels", commente le juriste Nicolas Hervieu, professeur de droit à Sciences Po et à l'université d'Evry.
Pour éviter ces risques, une "tolérance" -un mot évoqué par plusieurs membres du gouvernement depuis mardi- devrait être de mise. A moins que le calendrier annoncé par Emmanuel Macron ne soit pas tenu et que le gouvernement prenne un peu plus de temps, soit pour écrire ses décrets, soit pour présenter d'abord, la semaine prochaine, un nouveau projet de loi en conseil des ministres, de façon à tenir compte des critiques juridiques sur son projet. C'est ce qu'a semblé indiquer, du moins pour l'élargissement du périmètre du passe sanitaire prévu en août, le Premier ministre aux députés mardi 13 juillet.
Si l'on s'en tient aux propos du Président, ce passe sanitaire pourrait être exigé non seulement de personnes souhaitant accéder à des lieux culturels et de loisirs rassemblant au moins 50 personnes (soit un seuil bien plus faible que les 1 000 salariés prévus initialement), mais aussi, à compter du mois d'août, à d'autres lieux comme les centres commerciaux, les établissements de santé, les cafés restaurants y compris en terrasse, a précisé le 13 juillet le ministre de la Santé sur RMC. En outre, à partir du mois d'août, "les salariés des restaurants, cinémas ou encore des musées devront eux aussi être munis du passe sanitaire", a déclaré le 13 juillet sur LCI la ministre du Travail, Elisabeth Borne, qui a ajouté : "L’objectif est clair : ne pas avoir à refermer ces établissements" (2).
Sur le réseau social twitter, le député LR de la Manche, Philippe Gosselin, a résumé l'état d'esprit de nombreuses voix critiquant ces annonces :
La prise de conscience, ces derniers jours, du danger de reprise épidémique que représente la diffusion en France de nouveaux variants de la Covid-19, comme le dénommé Delta, a modifié la donne et donc la politique sanitaire de l'exécutif. Cette menace modifiera-telle également l'appréciation donnée par les juridictions (à commencer par le Conseil d'Etat mais aussi le Conseil constitutionnel) et les instances (comme la CNIL, la Commission nationale informatique et libertés) qui conseillent et contrôlent le gouvernement et ses textes ?
Il y a une semaine tout juste, le Conseil d'Etat avait rendu une décision favorable au recours au passe sanitaire. Dans sa décision du 6 juillet 2021, la plus haute juridiction administrative avait refusé de suspendre le passe sanitaire au motif que son usage présentait un intérêt public, "de nature à permettre, par la limitation des flux et croisements de personne qu'il implique, de réduire la circulation du virus de la Covid-19 dans le pays", et, par ailleurs, que cet usage était restreint "aux déplacements avec l'étranger, la Corse et l'outre-mer" d'une part, et d'autre part, "à l'accès à des lieux de loisirs (...) sans que soient concernées les activités quotidiennes ou l'exercice des libertés de culte, de réunion ou de manifestation". Le Conseil d'Etat soulignait aussi que l'usage de l'application TousAntiCovid demeurait facultatif, "les justificatifs pouvant être produits par voie papier ou sur tout autre support numérique, au choix de la personne concernée".
Exiger un passe sanitaire pour accéder à une terrasse de café ou dans un centre commercial ne change-t-il pas radicalement la donne ? On peut s'interroger. Dans sa décision du 31 mai 2021, le Conseil constitutionnel lui-même avait, pour "valider" le projet de sortie de crise sanitaire et déclarer "conforme" le projet de passe sanitaire, souligné que le gouvernement visait une application pour les lieux rassemblant "un nombre important de personnes".
La même question se pose au sujet de l'avis rendu par la CNIL le 12 mai 2021. La Commission nationale informatique et libertés donnait en effet un avis positif au projet du gouvernement. Mais elle avait souligné "le caractère sensible et inédit du dispositif envisagé, qui vise à conditionner l’accès à certains lieux, établissements ou événements à la présentation de la preuve de l’état de santé des personnes". Ainsi écrivait-elle : "La possibilité d’accéder aux lieux de sociabilité sans avoir à prouver son état de santé fait partie des garanties apportées à l’exercice des libertés et participe à dessiner une frontière raisonnable entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et du contrôle social. La commission alerte sur le risque de créer un phénomène d’accoutumance préjudiciable qui pourrait conduire à justifier, par exemple, que l’accès à un cinéma soit conditionné à la preuve que la personne n’est pas porteuse de certaines pathologies, autres que la COVID".
En outre, la CNIL s'était félicitée du choix du gouvernement de "restreindre l’usage du passe sanitaire aux seuls lieux, établissements et événements de loisirs (salles de spectacles, festivals, etc.) ainsi qu’aux foires et salons professionnels permettant la présence simultanée d’un nombre important de personnes, selon un seuil qui pourrait être envisagé à 1000 personnes".
La Commission considérait que "le fait de limiter l’usage du passe sanitaire aux seuls événements les plus à risques de diffusion épidémique en raison du grand nombre de personnes présentes, d’exclure les lieux qui ont trait aux activités quotidiennes (restaurants, lieux de travail, commerces, etc.) où il est difficile de ne pas se rendre, et d’exclure enfin les lieux qui sont liés à certaines manifestations habituelles de libertés fondamentales (notamment la liberté de manifester, de réunions politiques ou syndicales et la liberté de religion) sont des garanties de nature à minimiser l’impact du dispositif sur les droits et libertés des personnes". Rappelons à ce sujet que le Conseil constitutionnel avait jugé suffisant l'emploi, par le gouvernement dans son projet de loi de gestion de sortie de l'état d'urgence sanitaire, de la notion d'activités de loisirs, notion "qui exclut notamment une activité politique, syndicale ou culturelle".
Que penser enfin des propos d'Elisabeth Borne concernant l'exigence à laquelle pourrait être soumis des salariés de restaurants, musées, ou cinémas, de justifier d'un passe sanitaire auprès de leur employeur, sachant que le délai restant à ces salariés pour procéder à leur double vaccination paraît très juste pour qu'ils soient protégés avant début août ? N'y-a-t-il pas d'autre part à une atteinte au secret médical ? Exiger d'un salarié le respect des gestes barrières (port du masque, emploi du gel, etc.) ne serait-il plus suffisant pour limiter, avec les variants, la diffusion de la Covid-19 ?

Un document très récent de la Direction générale du travail (DGT), tout en recommandant aux employeurs de faciliter la vaccination des salariés en autorisant ceux-ci à s'absenter, rappelait que l'employeur n'a pas à connaître le statut vaccinal des salariés. Même avec le passe sanitaire, nuance Nicolas Hervieu, l'employeur ne connaîtra pas le statut vaccinal des salariés avec le passe sanitaire, puisque ce passe peut résulter d'un test négatif. Pour autant, ce dernier ne cache pas ses réserves sur une telle évolution : "Je comprends la logique politique consistant à créer un électrochoc pour inciter à la vaccination, et cela semble d'ailleurs fonctionner. Mais juridiquement, ce n'est pas du tout la même chose d'être contraint de présenter un passe sanitaire (test négatif ou certificat de vaccination) en tant que citoyen pour accéder à un lieu que de devoir le faire pour travailler. Je suis donc dubitatif quant à un élargissement rapide à certains salariés de l'exigence de ce passe.

Cela posera en tout cas de nombreuses questions quant aux garanties légales prévues. Par exemple, les salariés en contact avec le public seront-ils seuls visés ? Il n'est pas impossible que les annonces très musclées formulées par le Président de la République soient adoucies à la faveur de l'avis du Conseil d'Etat, du débat parlementaire (3) et de l'intervention du Conseil constitutionnel, pour qu'au final, ce ne soit pas un monstre juridique qui soit créé".
(1) "La loi prévoira une suspension du contrat du travail et donc du salaire en cas de refus" de vaccination, a dit Elisabeth Borne le 13 juillet sur LCI en visant les personnels travaillant "dans des établissements recevant des personnes vulnérables". Voir notre article sur cet avant-projet de loi dans cette même édition.
(2) Sur les réseaux sociaux, dès mardi 13 juillet, le ministère de l'Economie communiquait déjà sur l'abaissement, le 21 juillet, de 1 000 à 50 personnes du seuil d'obligation de passe sanitaire dans les endroits où ce dispositif était déjà en vigueur (lieux de spectacles, stades, salons et foires, festivals, grands casinos) et sur son extension à tous les lieux de loisirs et de culture rassemblant plus de 50 personnes (parc à thèmes, zoos, établissements sportifs clos et couverts, bowlings, salles de jeux, cinémas, théâtres, musées et monuments) dès le 21 juillet également. Selon Bercy, le passe sanitaire sera étendu début août "aux cafés, restaurants, centres commerciaux, hôpitaux, maisons de retraite, établissements médico-sociaux, voyages en avions, trains et cars pour les trajets de longue distance".
(3) Yael Braun-Pivet, la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, a dit mardi 13 juillet avoir toujours des "réserves" sur l'extension du passe sanitaire sur "certains lieux comme les cafés" mais aussi à certains publics comme les jeunes, "car seuls 3% des moins de 18 ans étant vaccinés aujourd'hui"
Passe sanitaire : les 12-17 ans et les salariés finalement pas concernés jusque fin août !
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Mardi soir sur France 2, Olivier Véran, le ministre de la Santé, a finalement indiqué que le passe sanitaire "s’appliquera aux adolescents de 12 à 17 ans et aux salariés des établissements où il est exigé seulement à compter du 30 août". Les salariés des établissements recevant du public "devront donc recevoir leur première dose au plus tard le 1er août", a expliqué le ministre."S'ils ne sont pas complètement vaccinés après le 30 août, ils se feront tester "tous les deux jours" s'ils veulent "continuer de travailler", a-t-il ajouté. Enfin, le ministre a assuré, contrairement au discours tenu jusqu'à présent sur la durée nécessaire pour obtenir une immunité, que le passe sanitaire pourra être délivré seulement 7 jours après la seconde injection. |