Loi Pacte, raison d'être, et société à mission : comment passer à la pratique ?

23.01.2020

A l'heure où la loi Pacte invite les entreprises françaises à se poser la question de leur "raison d'être" et de leur "mission", l'Observatoire de la RSE (ORSE) et le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) publient un nouveau guide "Loi Pacte & raison d'être : et si on passait à la pratique ?", visant à les accompagner dans la prise en compte de ces nouvelles notions.

Un nouveau cadre RSE pour le monde des affaires

Publiée au journal officiel le 23 mai 2019, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a modifié le droit commun – en particulier le code civil et le code de commerce (en particulier les articles 169 et 176 de la loi Pacte) – pour y faire entrer le droit de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), notamment par l’intégration des notions, nouvelles, de "raison d’être" et de "société à mission".

L’article 1833 du code civil est ainsi complété désormais par un nouvel alinéa précisant que "la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité".

Remarque : c'est également le cas de l’article L. 111-1, I, al. 1 du code de la mutualité ; article L. 931-1 du code de la sécurité sociale ; article L. 931-2-2, al. 12 du code de la sécurité sociale.

L’article 1835 prévoit quant à lui que "les statuts [de l’entreprise] peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité".

Remarque : également l’article L. 110-1 du code de la mutualité ; article L. 521-7 du code rural et de la pêche maritime ; article L. 322-1-3-1 du code des assurances ; article L. 322-26-1-2 du code des assurances ; article L. 931-1-2 du code de la sécurité sociale ; article L. 931-2-3 du code de la sécurité sociale.

Enfin, l’article L. 210-10 du code de commerce précise désormais qu'  "une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées : 1° Ses statuts précisent une raison d’être (…) ; 2° Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre (…) ; 3° Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission mentionnée au 2°. (…) ; 4° L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés au 2° fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (…)".

Remarque : également l’article L. 322-26-4-1 du code des assurances ; article L. 110-1-1 du code de la mutualité ; article 7 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947.

Ces nouvelles dispositions appellent ainsi les organes dirigeants des entreprises, au premier rang desquels les directoires et conseils d’administration, à prendre en considération, dans les orientations de l’activité de la société qu’ils dirigent et leurs décisions, les enjeux sociaux, environnementaux de l’activité, ainsi que la "raison d’être" de la société.

Précision : l’article L. 225-64 du code de commerce, alinéa 1er, prévoit par exemple désormais que "Le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il les exerce dans la limite de l'objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées d'actionnaires. Il détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en œuvre, conformément à son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Il prend également en considération, s'il y a lieu, la raison d'être de la société définie en application de l'article 1835 du code civil" (v. également l’article L. 225-35, al. 1er du code de commerce et l'article L. 114-17 du code de la mutualité).
L’article 1833 du code civil, une nouvelle obligation de moyens pour l’ensemble des entreprises françaises.

Le guide de l’ORSE et du C3D insiste dans un premier temps sur le fait que le nouvel alinéa de l’article 1833 du code civil impose à toutes les entreprises françaises de prendre désormais en compte les enjeux et conséquences sociales et environnementales de leur activité. Cette tâche, qui constitue une obligation de moyen pour l’entreprise, est déléguée au directoire de la société ou à son conseil d’administration, qu’il convient par conséquent de former à ces enjeux. Afin de  cerner ces enjeux, pour lesquels la loi Pacte ne donne ni définition ni critères fixes pour assurer la conformité de l’entreprise, le guide préconise de se référer aux lois et outils RSE déjà existants, dont par exemple les dispositions relatives à la déclaration de performance extra-financière (DPEF), la loi sur le devoir de vigilance, mais également plus largement les référentiels et guides de bonnes pratiques déjà existants.

Exemple : le guide "Cap vers la RSE pour les TPE/PME : c’est possible !", Medef, 2017 ; l’e-learning "les ODD, c’est pas compliqué ! TPE/PME, osez la RSE pour une croissance durable", BpiFrance ; les études de l’ORSE, les publications de la Plateforme RSE , etc...

Il ne s’agit néanmoins pas seulement ici d’une obligation de reporting pour l’entreprise, mais d’une obligation de prise en compte effective de ces enjeux dans la gestion quotidienne de la vie de la société (CE, 14 juin 2018, n° 394.599 et 395.021).

La question de la preuve et des processus décisionnels à mettre en place dans l’entreprise pour démontrer qu’elle prend effectivement en compte ces enjeux fera certainement, en l’absence de toute précision dans la loi, l’objet d’une jurisprudence abondante qu’il sera indispensable d’analyser. Il appartiendra aux entreprises (direction juridique, direction de la RSE, direction de la compliance) et à leurs conseils habituels de procéder à une veille juridique et judiciaire rigoureuse, étant précisé qu’il est vraisemblable que les juridictions s’attacheront à préciser les contours de cette obligation de moyens en fonction des secteurs d’activité.

Comment se lancer dans la démarche de définition d’une "raison d’être" ?

La définition d’une raison d’être par la société est, au contraire de l’obligation nouvelle précitée, facultative. Il s’agit cette fois d’une véritable ligne de conduite que la société se donne à elle-même, insérée dans ses statuts. Elle nécessite donc d’être présentée au vote de l’assemblée générale. En l’absence de définition dans la loi Pacte, le guide en propose la définition suivante : "la raison d’être est une expression de l’utilité sociétale de l’entreprise qui sera pour elle à la fois une boussole et un garde-fou quant aux décisions du conseil d’administration et du directoire", et donne 10 recommandations méthodologiques pour aider les entreprises à la définir. La raison d’être doit être :

  • pertinente : l’utilité sociétale de l’entreprise est définie en corrélation directe avec l’activité de cette dernière, par rapport à ses enjeux sociaux et environnementaux les plus significatifs ;
  • ambitieuse : elle doit être positive à tout point de vue pour la société ;
  • structurante : elle donne un « cap » à l’entreprise permettant de définir ce qu’elle peut ou ne peut pas faire ;
  • impactante : dans toutes les étapes de l’activité et de la vie de l’entreprise.

A cette fin, le guide préconise notamment aux entreprises de s’assurer de la conviction du dirigeant vis-à-vis de la démarche RSE (recommandation n° 3), de mobiliser le conseil d’administration, le comité exécutif et l’assemblée générale afin qu’ils soient acteurs et associés à cette démarche (rec. n° 4), de même que les salariés, leurs représentants et les parties prenantes (rec. n° 6). A cette fin, il appartiendra à ces entreprises de diffuser en interne les bonnes pratiques par le biais de formations adaptées.

Enfin, il rappelle l’importance de prendre le temps et les moyens de penser la raison d’être (rec. n°9), puis de la faire vivre au travers des projets de l’entreprise, y compris en se transformant pour être en cohérence avec la raison d’être définie (rec. n° 10). Plusieurs entreprises de grande taille ont déjà défini ou sont en train de définir leur raison d’être : Carrefour, EDF, la Maif, la SNCF… Le guide propose, pour chacune de ces sociétés, un récapitulatif de la raison d’être qui a été définie, les étapes de mises en place de cette définition, et le dispositif de suivi qui est prévu. Ces étapes reprennent, pour la plupart, les recommandations susmentionnées.

Précision : voir pages 54 et suivantes du guide. Les entreprises concernées sont : Arkéa, Camif, Carrefour, Crédit Agricole, EDF, InVivo, Maif, Michelin, Malakoff Mederic Humanis, SNCF et Véolia.

L’impact de la "raison d’être" en termes de responsabilité des dirigeants, ou en termes réputationnel pour la société, n’est pas encore définitivement tranchée, mais à l’aune du développement du droit de la RSE et des attentes de la part des consommateurs et parties prenantes en la matière, les risques juridique et réputationnel sont importants. C’est pourquoi les entreprises doivent se saisir des à présent de ces thématiques afin d’opérer les changements nécessaires au regard de ces nouvelles prescriptions législatives.

Devenir une société à mission.

Enfin, la loi Pacte propose aux entreprises de devenir des "sociétés à mission", en jouant la logique de la "raison d’être" jusqu’au bout. Il s’agit pour ces sociétés, de quelque forme juridique que ce soit, de mettre en place un procédé plus complet pour la mise en œuvre et le contrôle de la mission qu’elles se sont données, dans les conditions de l’article L. 210-10 du code de commerce précitées. La société à mission implique ainsi, comme pour la raison d’être, de définir la mission de l’entreprise, avec l’adhésion des équipes et du management, et de la rendre concrète à travers toutes les strates et toutes les activités de l’entreprise. Enfin, elle pourra impliquer une transformation de la gouvernance, notamment actionnariale. Un processus d’évaluation devra enfin être mis en place.

Remarque : sur la question plus précise de l’entreprise à mission, v. également le guide « Entreprise à mission, de la théorie à la pratique » publié par Citizen Capital et Deloitte.
Emmanuel Daoud, Avocat au barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA Marine DOISY, Avocate au barreau de Paris, collaboratrice du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA

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