Lutte antiblanchiment : l'ACPR met la Caisse d'Épargne à l'amende

27.06.2019

Suite à un contrôle sur place qui a révélé des manquements dans le dispositif antiblanchiment, l'ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) a prononcé un blâme assorti d'une amende de deux millions d'euros à l'encontre de la Caisse d'Épargne Provence Alpes Corse (CEPAC).

Est-ce dû à une plus grande sévérité des régulateurs, à une augmentation de la fréquence des contrôles, ou tout simplement à l'essor du blanchiment d'argent ?
 
La CEPAC vient en tout cas s'ajouter à la liste, déjà longue, des banques européennes sanctionnées par l'ACPR pour des manquements à ses obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Un contrôle sur place réalisé du 18 avril au 6 octobre 2017 à Marseille, et portant sur le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, a mis à jour plusieurs carences.
Une classification des risques insuffisamment adaptée à l'entreprise
La présence de risques dénoncés par Tracfin mais non intégrés à la classification

Les risques liés aux opérations d'investissement et aux clients ayant une activité de jeux de hasard

Le premier grief, qui portait sur une classification des risques insuffisamment adaptée aux risques de l'établissement, a mis en avant l'importance des déclarations et alertes émises par Tracfin, le service de renseignement financier de Bercy.
Il était en effet reproché à la CEPAC d'avoir établi une classification des risques qui n'était pas assez pertinente par rapport aux activités et à la clientèle de l'établissement. Certains dispositifs, par exemple, n'étaient pas pris en compte dans la classification, alors même que Tracfin avait pourtant alerté sur les fraudes potentielles et le risque élevé qu'ils représentaient.
Remarque : la cellule de renseignement financier de Bercy avait alerté sur :
- les fraudes potentielles utilisant les dispositifs d'incitation à l'investissement outre-mer ;
- les risques liés aux opérations réalisées par les clients ayant le profil de "joueurs réguliers".
 

Une mise à jour tardive

Enfin, le grief se fondait également sur une mise à jour trop tardive de la classification des risques : notamment, si Tracfin et le ministre de l'économie avaient mis en évidence, dès 2014,  le risque de financement du terrorisme lié aux crédits à la consommation, ce n'est qu'en 2017 que ce produit avait été intégré à la classification des risques.
Des griefs relativisés ou écartés

Cependant, si le reproche a bien été établi, le manquement a toutefois été apprécié compte tenu du très faible nombre de ces opérations considérées à risque par Tracfin et dont le dossier de procédure faisait état (une, seulement, en 2017). En outre, l'incertitude relative à la catégorie de risque à laquelle ces opérations avaient été intégrées a permis d'écarter le reproche lié à une cotation trop faible.

Quant au risque représenté par l'identification de quelques clients ayant une activité de jeux de hasard, cette partie du grief a également été écartée : sur l'échantillon de 312 clients dont les opérations ont été examinées entre le 1er janvier 2015 et le 31 mars 2017,10 cas seulement sont mentionnés par la poursuite, laquelle ne reproche un défaut de déclaration de soupçon que pour 2 de ces 10 dossiers. Il a aussi été relevé qu'il n'existait que 14 casinos dans le ressort de la CEPAC : cette dernière n’était donc pas particulièrement exposée à des risques liés aux jeux, et n'avait pas à mentionner spécifiquement cette catégorie dans sa classification.

Toutefois, si l'établissement n'avait pas intégré les caractéristiques de cette clientèle de joueurs à sa classification des risques, il n'en demeurait pas moins qu'il aurait dû détecter et déclarer à Tracfin les opérations suspectes de clients, dont les mouvements d'espèces significatifs (C.mon. fin., art. L.561-15).

Enfin, il a été souligné que l'utilisation de crédits à la consommation à des fins de financement du terrorisme est un risque réel, rappelé régulièrement par des autorités publiques : la CEPAC n'ayant intégré de telles opérations à son dispositif d'approche des risques qu'après la fin de la mission de contrôle, le reproche a été établi.

Remarque : le 1er juillet 2015, le directeur de Tracfin avait d'ailleurs déclaré que les opérations de crédit à la consommation paraissaient jusqu'alors " à faible risque ", mais que " l'expérience malheureuse de janvier [avait] montré qu'il fallait remettre en question cette classification ".

Il a néanmoins été tenu compte, dans l'appréciation de la gravité de ce manquement, du caractère récent de l'actualisation des informations publiques sur le risque résultant des crédits à la consommation.

Un dispositif de suivi et d'analyse des relations d'affaires insatisfaisant

Le deuxième grief mettait en cause le dispositif de suivi et d'analyse des relations d'affaires.

Remarque : les entreprises assujetties se dotent de dispositifs de suivi et d'analyse de leurs relations d'affaires, fondés sur la connaissance de leur clientèle, permettant notamment de détecter les opérations qui constituent des anomalies au regard du profil des relations d'affaires et qui pourraient faire l'objet d'un examen renforcé ou d'une déclaration de soupçon (Arr. 3 nov. 2014, art. 46, NOR : FCPT1423259A : JO, 5 nov.).

Le dispositif de suivi et d'analyse des relations d'affaires de l'établissement était insuffisant pour plusieurs raisons :

- les délais de traitement des alertes étaient trop longs ;
- certaines opérations détectées par l'outil ne faisaient pas l'objet d'une analyse suffisante ;
- certaines alertes avaient même été clôturées sans suite au motif que le client était injoignable, ce qui ne peut justifier la clôture du signalement.

Ce reproche ne portant que sur 0.19% des alertes générées sur la période contrôlée, le grief a été relativisé. De même pour le défaut d'analyse de certaines alertes par un audit interne, dont les dossiers évoqués ne représentaient que 0.28% des alertes clôturées sans suite.

Les deux premiers griefs portant sur les insuffisances de la classification des risques et le dispositif de suivi et d'analyse de la relation d'affaires ont donc vu leur périmètre réduit ou relativisé.

Un dispositif de contrôle permanent incomplet

Le troisième grief portait sur l'insuffisance du dispositif de contrôle permanent, estimé en outre incomplet. Les actions correctrices de l'établissement, bien qu'elles aient permis de porter le taux de contrôle des alertes à 90%, étaient postérieures au rapport de contrôle.

Remarque : l'ACPR a considéré que le dispositif de contrôle ne pouvait valablement couvrir seulement 62% des scénarios d'alerte.
Des carences massives en matière de collecte et d'actualisation des informations concernant les clients
Une connaissance de la clientèle incomplète et insuffisamment actualisée

Le quatrième grief était fondé sur l'obligation de recueillir les informations relatives à l'objet et à la nature d'une future relation d'affaires, ainsi qu'aux informations pertinentes sur le client (C. mon. fin., art. L. 561-5-1).

Or, la CEPAC recueillait des informations sur sa clientèle incomplètes et insuffisamment actualisées : lors du contrôle, il manquait ainsi les informations concernant :

- l'information sur les revenus ;
- ou la catégorie socio-professionnelle, laquelle, lorsqu'elle était renseignée, pouvait être erronée en raison de l'absence de mise à jour.

En somme, la démarche d'actualisation de la CEPAC a été jugée insuffisamment structurée et régulière.

Remarque : pour retenir que le dispositif d'actualisation de la connaissance clientèle n'était pas efficace, l'ACPR a par exemple souligné que l'alerte se déclenchait sur la base de la date de scan d'un document, et non sur le document lui-même ; qu'elle était peu visible ; non bloquante ; et non contraignante.
Des défauts de déclaration de soupçon
Lors du contrôle sur place, ce sont 25 défauts de déclaration de soupçon qui ont été constatés.

Les personnes assujetties aux obligations LAB-FT doivent déclarer les sommes ou opérations dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent de fraude fiscale : l'article D561-32-1 du code monétaire et financier mentionne ainsi une liste de critères dont la présence d'un seul suffit à effectuer une déclaration.

Exemple : la présence d'opérations financières internationales sans cause juridique ou économique apparente se limitant le plus souvent à de simples transits de fonds en provenance ou à destination de l'étranger, notamment lorsqu'elles sont réalisées avec des États ou des territoires n'ayant pas conclu avec la France de convention fiscale permettant l'accès aux informations bancaires, ou encore le dépôt, par un particulier, de fonds sans rapport avec son activité ou sa situation patrimoniale connues.

Ce sont donc les opérations de 25 clients qui auraient dû faire l'objet d’un envoi de déclaration de soupçon à Tracfin.

Remarque : la CEPAC faisait valoir que les opérations en cause concernaient des montants faibles, mais l'obligation d'adresser une déclaration à Tracfin ne dépend pas du montant des opérations.

Il a été tenu compte des actions correctrices présentées par l'établissement ayant pour objet de compléter et d'actualiser les dossiers de ses clients. La Commission a prononcé une sanction pécuniaire de deux millions d'euros au regard de l'assise financière de la CEPAC, ainsi qu'un blâme.

Élise Le Berre, Solution Compliance et éthique des affaires

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