Michel Debout, spécialiste du suicide et de la santé au travail, est décédé

Michel Debout, spécialiste du suicide et de la santé au travail, est décédé

09.12.2024

De nombreux spécialistes de la santé au travail ont rendu hommage à l'action du psychiatre Michel Debout, décédé le 18 novembre dernier. Ce dernier, qui plaidait pour une véritable politique en matière de santé mentale au travail, avait notamment travaillé sur les suicides.

Nous avons appris le décès de Michel Debout, survenu le 18 novembre dernier à la suite d'une longue maladie, à l'occasion d'un hommage rendu sur Linkedin par Jean-Claude Delgènes. Sur ce réseau social, le fondateur du cabinet Technologia a rappelé le rôle de Michel Debout dans la mise en place au plan national d'un observatoire des suicides (lire son témoignage en encadré).

Ce psychiatre et médecin légiste était en effet devenu un spécialiste de la question du suicide. Il était l'un des cofondateurs de l'union nationale de la prévention du suicide, et il avait notamment travaillé sur le suicide au travail. Au sein du CHU de Saint-Etienne dont il fut le chef de service de médecine légale de 1980 à 2010, il avait créé dès 1979 un service d'urgence psychiatrique. 

Engagé au Parti socialiste, membre et trésorier de la fondation Jean Jaurès, qui salue sur son site cet "humaniste", Michel Debout avait fait partie du Conseil économique, social. Il avait rédigé des rapports sur le harcèlement moral au travail et les maltraitances à l'égard des personnes âgées.

Un refus de la fatalité

Dans l'interview qu'il nous avait accordée en 2021 après son intervention au salon Preventica, Michel Debout soulignait que le suicide, en tant que passage à l'acte, n'avait rien d'inéluctuable :

  • "On a longtemps pensé que celui qui voulait mourir avait fait un choix définitif et qu'il ne continuait à vivre, d'une certaine façon, que par accident, pour des raisons qui lui échappaient. Aujourd'hui, on pense presque le contraire ! Celui qui veut se suicider peut jusqu'au bout, jusqu'au moment du passage à l'acte, décider de ne pas passer à l'acte, ou bien de passer à l'acte de façon à avoir une chance de survivre. Le suicide n'est donc pas fatal".

Il livrait aussi à nos lecteurs quelques indices sur les éléments qui doivent inquiéter dans un environnement de travail  : 

  • "Les pensées suicidaires et les risques de passage à l'acte sont aggravés dans des situations de travail dégradées. Par exemple, lorsque des salariés subissent du harcèlement moral ou sexuel, lorsqu'il y a épuisement professionnel, burn out. Ce peut être aussi le "sur-stress" qu'on perçoit chez un salarié qui devient irritable rapidement, comme s'il était dans la crainte que tout va mal se passer. On sait que toutes ces situations augmentent le risque de passage à l'acte suicidaire, car c'est lorsque les pensées suicidaires envahissent l'esprit, deviennent obsédantes, que le risque est fort. Mais je pense aussi aux salariés qui vont changer de poste, qui doivent s'adapter, modifier des habitudes et relations de travail qui sont aussi protectrices. Ces changements qui peuvent nous déborder sont susceptibles de constituer un risque. En milieu professionnel, tous les salariés, tous ceux qui ont un poste d'encadrement ou une responsabilité particulière et tous ceux qui ont une délégation syndicale dans l'entreprise doivent être informés de ces situations de travail dégradées..."
La revendication d'une reconnaissance comme maladie professionnelle des symptômes anxio-dépressifs

Insistant, dans une note pour la Fondation Jean Jaurès, sur le caractère essentiel, pour la santé publique, d'une politique de prévention de la santé mentale au travail, il défendait l'idée "d'un Grenelle de la santé mentale au travail" qui réunirait "l’ensemble des entreprises privées, à caractère social ou associatif, et publiques, rassemblant l’ensemble des acteurs : représentants des employeurs comme des travailleurs, des services de santé au travail, de l’inspection du travail, associations d’aide et de soutien, et tous les professionnels concernés", et ce bien avant que Michel Barnier, devenu Premier ministre, fasse de la santé mentale un grand enjeu national pour 2025 (sera-ce d'ailleurs toujours le cas avec son successeur, à suivre).

Dans notre interview de 2021, Michel Debout plaidait pour que les signes suicidaires soient reconnus comme une maladie professionnelle car cela favoriserait une meilleure prévention : 

  • "Je ne comprends pas pourquoi, alors que nous connaissons bien depuis 20 ans ces situations de risques psychosociaux, on ne reconnaisse toujours pas en maladie professionnelle ces symptômes anxio-dépressifs qui peuvent générer des suicides mais aussi avoir des conséquences graves sur la santé.  Les salariés seraient pris en compte au titre de l'assurance du risque des maladies professionnelles, et non plus de l'assurance médicale globale, et cela provoquerait des mesures de prévention, alors que de très nombreuses situations échappent aujourd'hui à la connaissance de la Carsat (caisse d'assurance retraite et de santé au travail) et des entreprises elles-mêmes".

 

Jean-Claude Delgènes : "Une très grande qualité d'écoute"

Nous avons joint Jean-Claude Delgènes. Le fondateur de Technologia, qui était un proche de Michel Debout, regrette le peu d'échos dans la presse de cette disparition. Voici son témoignage : 

"C'était un ami, nous nous appelions toutes les semaines. Nous avions écrit deux livres ensemble (Ndlr : "Le suicide, ce cri silencieux" et "Idées reçues sur le suicide") et nous avions surtout travaillé à la créaton de l'observatoire national du suicide. Il avait également mené des missions pour Technologia (..) Récemment, il appuyait nos efforts pour faire évoluer la loi sur le harcèlement moral. C'était quelqu'un d'extraordinaire, un médecin très à l'écoute, très disponible aux autres, avec une très grande vision sur de multiples sujets". 

 

Bernard Domergue

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