Nouvelle réforme de l'assurance chômage : "Une insécurisation de l'ensemble des salariés"

Nouvelle réforme de l'assurance chômage : "Une insécurisation de l'ensemble des salariés"

01.04.2024

Que penser des annonces de Gabriel Attal concernant l'assurance chômage ? Pour Mathieu Grégoire, sociologue spécialiste de la protection sociale, le soutien populaire à une réduction des droits des demandeurs d'emploi, fondée sur le pari politique de diviser les actifs et les "assistés", paraît très incertain, de même que les effets réels sur la reprise d'emploi. Interview.

Le Premier ministre demande aux partenaires sociaux de réduire de plusieurs mois la durée d'indemnisation des demandeurs mais sans aller "en deçà de 12 mois", alors que cette durée a déjà été ramenée de 24 à 18 mois. Sommes-nous encore dans une gestion paritaire du régime de l'Unedic ? 

Avant, il y avait déjà une forme de tripartisme dans l'assurance chômage, dans la mesure où l'Etat cherchait à influencer la négociation par les partenaires sociaux d'une nouvelle convention, sachant qu'à la fin, le gouvernement agréait ou non ce qu'avaient négocié les organisations syndicales et patronales.

 Depuis 2018, le paritarisme est mis sous tutelle

 

 

Mais depuis 2018 et la loi Avenir professionnel, le paritarisme a littéralement été mis sous tutelle. La loi a établi un dispositif de gouvernance avec un cadrage général donné par le gouvernement aux partenaires sociaux. Le gouvernement impose donc le cadre de ces négociations, avec des marges assez restreintes.

Il est clair qu'il n'y a plus grand chose à négocier 

 

 

Quand le Premier ministre dit en substance "Je respecte le dialogue social mais ça me semblerait bien qu'on passe d'une durée maximale d'indemnisation de 18 mois à une durée de 12 mois", ce qui représenterait quand même une division par deux de la durée d'indemnisation en seulement deux ans, il est clair qu'il n'y a plus grand chose à négocier. Une organisation syndicale peut-elle entrer dans un type de négociation où il n'y a que de la perte à discuter ? Ce qu'on a observé ces dernières années, c'est que les négociateurs ne respectent pas vraiment la lettre de cadrage, ils font un accord et attendent de voir la réaction de l'Etat.

Mes les exigences de l'exécutif vont maintenant plus loin que de "simples" objectifs financiers...

Cela a commencé en fait dès 2015 avec la loi Rebsamen qui a prévu un système équivalent de lettre de cadrage pour la négociation concernant les intermittents, à cette différence près que l'Etat demandait aux négociateurs interprofessionnels de cadrer eux-mêmes la négociation sur le régime particulier des intermittents. Et déjà, il y avait un mélange de cadrage financier et d'orientations qualitatives, plus ou moins restrictives. Aujourd'hui, l'idée du gouvernement est moins de faire des économies que de réduire les droits des chômeurs pour les inciter à retrouver un emploi plus rapidement.  

Pourquoi le gouvernement ne reprend-il pas carrément en main la gestion de l'Unedic ? Pour ne pas devoir imposer un prélèvement fiscal dans le cas où les organisations patronales exigeraient la fin de ces cotisations dont la part salariale a déjà été supprimée fin 2018 ?

En effet, le gouvernement aurait pu dès le départ supprimer le paritarisme, les syndicats auraient hurlé, mais on serait peut-être passé à autre chose. La situation actuelle donne l'impression d'atermoiements : on étatise, mais pas jusqu'au bout, on laisse une possibilité de trouver un terrain d'entente avec la CFDT et le Medef, tout en laissant planer cette menace d'une reprise en main.

 En 2023, la CFDT a signé pour sauver le paritarisme

 

 

C'est d'ailleurs ce qui explique la signature, par la CFDT, de l'accord sur l'assurance chômage l'année dernière : il fallait "sauver le paritarisme". On sortait pourtant d'une intersyndicale forte constituée pendant la réforme des retraites et on aurait pu penser que toutes les organisations syndicales allaient rester unies contre ces évolutions...Du côté du patronat, on espère obtenir une baisse des cotisations, ils en ont d'ailleurs obtenu une, assez modeste, dans l'accord de novembre dernier (**). 

Une réduction de la durée de l'indemnisation serait-elle de nature à accélérer la reprise de l'emploi des demandeurs ? Que dit la recherche sur ce point ? 

Première observation : le chômage baisse en France depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017, mais cette baisse a commencé bien avant les réformes de l'assurance chômage restreignant les droits des demandeurs.

80% de la baisse du chômage depuis qu'Emmanuel Macron est président a été faite avant les réformes de l'assurance chômage 

 

 

 

 

J'estime que 80% de cette baisse s'est opérée avant ces réformes. Juste avant la crise sanitaire, juste avant la mise en oeuvre de la première réforme, la France connaît déjà un taux de chômage limité à 7,9%, contre 7,5% aujourd'hui. Ces réformes n'ont donc pas eu, a priori, beaucoup d'effets sur le taux de chômage. Deuxième observation : je ne suis pas économiste, mais je lis leurs travaux. D'un côté, vous avez des positions très affirmées, je dirai politico-médiatiques, de la part d'économistes qui ont de l'autorité dans le débat public : les uns soutiennent l'idée qu'il faut, pour parvenir au plein emploi, baisser le Smic et baisser les droits des chômeurs, quand d'autres, de gauche, contestent cette approche.

Votre opinion ?

Tout cela n'est pas très documenté, voire parfois biaisé. Prenez l'affirmation très souvent répétée selon laquelle des chômeurs gagnaient plus en chômant qu'en travaillant. Dès qu'on a eu enfin des exemples, on a pu constater qu'ils étaient biaisés, voire malhonnêtes. Par exemple, une personne au chômage 20 jours et qui travaille 10 jours : bien sûr qu'elle gagne plus en chômant qu'en travaillant ! Il y a quelques travaux économétriques plus sérieux, notamment à l'étranger sur les effets de la baisse de la durée d'indemnisation sur la reprise d'emploi, et il y a les travaux de la Dares sur la réforme française de la durée d'affiliation, sur les effets de l'augmentation de 4 à 6 mois de la durée travaillée pour prétendre à une indemnisation.

 La réduction considérable des droits n'a pas d'effet ou des effets très faibles sur la reprise d'activité

 

 

Ces derniers travaux montrent que la dernière réforme a eu pour effet d'augmenter de 3 points la probabilité de trouver un emploi dans les deux mois qui suivent la fin du contrat de travail. Il y a donc un effet positif, mais très faible voire insignifiant. Même chose pour la durée d'indemnisation. Ce que j'observe, c'est que la réduction considérable des droits des chômeurs n'apporte au mieux que des effets très faibles sur la reprise d'activité. Il y a une disproportion entre les moyens utilisés et les résultats : faut-il supprimer 6 mois d'indemnisation pour qu'au final des personnes retrouvent un emploi 15 jours plus vite ?

Il n'existe donc pas de déclic "psychologique" poussant un demandeur proche du terme de son indemnisation à être plus actif dans sa recherche d'emploi ?

Je ne crois pas, du moins les situations me paraissent très hétérogènes. De toutes façons, ce type de politique "du chiffre" ne crée pas d'emploi. Il s'agit d'accélérer le rythme de reprise de l'emploi, et donc de faire baisser le nombre de demandeurs et le taux de chômage. Au risque d'imposer aux demandeurs d'accepter un emploi correspondant moins à leurs qualifications et à leurs aspirations.

L'employeur a aussi besoin de gens motivés, qui ont envie d'occuper leur emploi 

 

 

A terme, la conséquence peut être négative pour le salarié s'il n'est pas satisfait de son travail. Cela vaut aussi pour l'employeur. L'entreprise a besoin de gens motivés, qui ont envie d'occuper les postes qu'on leur propose, plutôt que d'une main d'œuvre qui a besoin de travailler à tout prix et qui est prête à prendre n'importe quoi. Le raisonnement de cette politique me semble relever d'une fuite en avant destinée à faire baisser les chiffres du chômage sans que la réalité ne soit sensiblement améliorée.  

L'exécutif insiste sur la nécessaire maîtrise des déficits publics et donc des dépenses sociales... 

C'est un choix politique. Que l'Etat considère que l'assurance chômage soit un pactole dans lequel il peut piocher pour réduire ses propres déficits, cela peut paraître pour le moins un peu cavalier. D'autres moments de notre vie professionnelle que le chômage seraient davantage propices pour dégager des ressources pour l'Etat, non ? 

Et il y a la perspective de la suppression de l'allocation spécifique de solidarité (ASS) versée aux demandeurs en fin de droits...

Comment tout cela va-t-il s'enchaîner ? Le gouvernement exige une nouvelle réforme alors que l'accord de novembre 2023 sur l'assurance chômage n'a pas été agréé et que les partenaires sociaux doivent, dans le cadre de la négociation en cours sur le pacte de vie au travail qui a été prolongée jusqu'au 8 avril, compléter cet accord sur les seniors, pour tenir compte de la réforme des retraites. Qu'est-ce qui sera retenu au final par l'Etat ?

Tout cela est pour l'instant très flou 

 

 

L'accord de 2023 s'appliquera-t-il avant que la prochaine réforme demandée par Gabriel Attal ne soit négociée ? On peut penser que les règles actuelles s'appliqueront jusqu'en juillet, puis que seront instaurées de nouvelles règles découlant de l'accord de novembre et d'un avenant sur les seniors, avant enfin l'entrée en vigueur de nouvelles règles, cet automne ou au début 2025, après une nouvelle négociations. Mais tout cela est très incertain, on est dans un grand flou.

Une indemnisation plus longue quand ça va mal, plus courte quand ça va mieux : que reste-t-il du concept de "contracyclicité" avec une indemnisation ramenée à 12 mois ?

Je n'en ai aucune idée ! Comme nous sommes très loin d'un taux de chômage de 9%, ils peuvent toujours conserver l'idée d'une majoration de l'indemnisation sur les règles actuelles : lorsque le taux d'emploi dépasse 9%, on augmente de 25% la durée d'indemnisation (soit un retour à 24 mois d'indemnisation au lieu de 18). Mais l'idée de départ de la contracyclicité, il me semble, c'était qu'on ne baisse la durée d'indemnisation que si la conjoncture et l'emploi sont au beau fixe. Aujourd'hui, le gouvernement veut réduire la durée d'indemnisation alors que la conjoncture se retourne, et parce qu'il a besoin d'argent. Comment dire ?!

Quelle est l'acceptabilité sociale d'une telle réforme ? 

Je suis surpris par le raisonnement qui fonde cette réforme, et surtout par la représentation qui est donnée de l'assurance chômage. Le discours qu'on nous tient est le suivant : les classes moyennes, (qu'on serait bien en peine de définir, d'ailleurs) travaillent dur, n'arrivent pas à s'en sortir, et ne sont que des contributeurs nets sans rien toucher comme aides ou allocations, alors qu'on redistribue beaucoup vers les chômeurs, vers la France des allocations, vers la France "parasitaire".
 Il n'y a pas d'un côté des actifs et de l'autre des assistés. Beaucoup de gens connaissent le chômage à un moment donné de leur vie professionnelle

 

C'est une représentation totalement populiste, et surtout dénuée de toute réalité. Il suffit pour s'en convaincre de se référer à l'énorme piratage subi il y a quelques semaines par France Travail et Pôle emploi. A cette occasion, on a appris que 43 millions de personnes avaient vu leurs données piratées (****) . 43 millions ! Qu'est-ce que cela signifie ? Que la France qui travaille et que la France des allocs, ce sont les mêmes ! Beaucoup de monde connaît, à un moment ou un autre de sa vie, cette expérience de demandeur d'emploi, c'est un état passager, plus ou moins durable, et au final assez banal, ce n'est pas un état en soi, qui caractériserait un groupe ou qui fonderait une identité. Tous les salariés sont donc concernés, même avec des probabilités différentes, par l'assurance chômage. Si hier vous aviez l'assurance, en cas de coup dur ou de problème professionnel, d'avoir une indemnisation durant 24 mois, demain vous pourriez n'avoir qu'une garantie de 12 mois d'indemnisation avant de basculer vers le RSA.
Ce pari politique me paraît assez incertain 

 

 

C'est une insécurisation de l'ensemble des salariés. Le pari politique, avec une nouvelle réduction des droits des demandeurs, d'aller chercher le soutien de classes moyennes qui en auraient ras le bol de payer pour des "assistés" me paraît assez incertain. Il suffit que les salariés se convainquent qu'ils peuvent être concernés par cette réduction de droits pour changer la donne. Douze mois pour retrouver un emploi, ça peut bien se passer pour certains, mais ça peut aussi, en cas de difficultés familiales ou médicales ou d'accès à l'emploi, faire basculer des gens dans des situations très précaires. 

Les syndicats pourraient-ils mobiliser sur ce thème ?

Cela dépend des approches confédérales, et de la sensibilité des dirigeants syndicaux. Dans la séquence précédente, il m'a semblé que la CFDT était très mobilisée sur le sujet de l'assurance chômage, Laurent Berger était très présent, alors que la CGT et Philippe Martinez me semblaient en retrait, moins actifs. Ce n'est plus le cas avec Sophie Binet qui a déjà négocié sur ce thème et qui travaille avec Denis Gravouil qui connaît très bien le sujet. Même sans envisager de grandes mobilisations type retraites, ce sujet peut donc devenir important. La réforme de 2019 pointait d'abord l'intermittence, et on peut comprendre que les autres salariés ne se sont pas sentis concernés. Ce n'est qu'à partir de 2022 que les changements ont touché les salariés de façon globale. L'opininon me semble donc pouvoir se retourner rapidement.  

 

(*) Professeur de sociologie à l'université de Paris-Nanterre, au sein de l'IDHES (Institutions et dynamiques historiques de l'économie et de la société),  Mathieu Grégoire s'est spécialisé dans l'emploi, le travail et la protection sociale. 

(**) Voir notre article sur l'accord, qui n'a toujours pas été agréé par l'Etat. L'accord a été signé par la CFDT, la CFTC et FO, la CFE-CGC et la CGT refusant de le ratifier.

(***) Lire notre article sur les effets d'une réduction à 14 mois de la durée de l'indemnisation.

(****) Ndlr : comme la France compte environ 31 millions d'actifs, ce chiffre doit donc aussi comprendre des données non actualisées, comme des retraités, des personnes décédées, etc. 

Bernard Domergue

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