Plus de trois quarts des exportations mondiales sont touchées par la corruption

20.10.2020

Transparency International publie un rapport évaluant les performances des 47 plus grands pays exportateurs mondiaux dans la mise en oeuvre de la convention OCDE sur la lutte contre la corruption internationale. La plupart des pays ne sont pas en conformité avec leurs engagements.

De nombreuses lacunes dans la mise en œuvre de la lutte anticorruption 
La lutte active contre la corruption internationale en perte de vitesse

Insuffisance de la coopération internationale, faiblesse des moyens de autorités de poursuite, lacunes dans la protection des lanceurs d’alertes… Le rapport de l’association anticorruption Transparency International, Exporting Corruption, évalue les performances de mise en œuvre de 47 grands exportateurs mondiaux, dont 43 sont signataires de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Il révèle que 83% des exportations mondiales sont affectées par la corruption, et que les pays mettant en œuvre de façon active la convention anti-corruption de l’OCDE ne représentent que 16,5% des échanges globaux (alors que ce taux était de 27% en 2018).

Remarque : Exporting Corruption est une évaluation indépendante de l’application de cette convention dans 43 de ses 44 pays signataires. Le rapport évalue également la réalité de la lutte anticorruption internationale en Chine, à Hong-Kong, en Inde et à Singapour.

Il ressort également de l’étude que seuls cinq pays luttent activement contre la corruption transnationale ; leur part dans les exportations mondiales est d’environ 17%, un chiffre en baisse de plus d’un tiers depuis 2018. Le nombre de pays luttant modérément contre la corruption transnationale a quant à lui doublé depuis 2018, et ils sont dorénavant huit, pour une exportation mondiale qui représente 20% (alors qu’elle n’était que de 3,8% en 2018).

Enfin, près de la moitié des exportations mondiales proviennent de pays qui ne répriment pas la corruption internationale : la Chine, par exemple, ne criminalise pas la corruption d’agent étranger, alors qu’elle représente à elle seule 11% des exportations mondiales.

Un manque de transparence

Transparency International rappelle qu’encore trop peu de pays publient des informations sur l’application de loi et les statistiques nationales sur la lutte contre la corruption : le manque d’informations publiques sur la propriété effective des sociétés et des trusts est une autre entrave à l’application de la loi, et l’association recommande d’assurer la transparence de ces informations :

  • en publiant des statistiques nationales sur la lutte contre la corruption transnationale ainsi que les jugements des tribunaux et les résolutions hors-procès ;
  • et en créant des registres centraux publics des informations sur les bénéficiaires effectifs.

Le rapport préconise d’élargir le rapport annuel du groupe de travail de l’OCDE sur la corruption et de créer une base de données publiques d’informations sur la lutte contre la corruption, afin de soutenir les efforts de répression dans d’autres pays, les plaintes des victimes et le travail d’enquête des journalistes et des militants de la société civile.

La France affiche ainsi un certain retard en matière d’accès du public à l’information, concernant le registre des bénéficiaires effectifs non accessible en données ouvertes ou la publication des décisions de justice, qui pourrait pourtant permettre à la société civile, selon le rapport, de s’assurer de l’effectivité des sanctions prononcées ainsi que de leur effet dissuasif.

L’insuffisance de la coopération internationale

Si elle progresse, la coopération internationale doit encore faire face à d’importants obstacles : le cadre juridique insuffisant, des ressources et une expertise limitées, tout comme le manque de coordination entravent les progrès en la matière. Le rapport préconise de renforcer l’entraide judiciaire, de fournir davantage de ressources et de former les autorités chargées de l’application de la loi pour faire des demandes d’entraide judiciaire. Des équipes communes d’enquête pour les enquêtes transfrontalières pourraient aussi être instaurées.

Enfin, le groupe de travail anticorruption de l’OCDE devrait mener une évaluation horizontale des performances d’entraide judiciaires parmi les signataires de la Convention, en collaboration avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

La faiblesse des moyens des autorités de poursuite

Enfin, faisant écho à un rapport du conseil de l’Europe datant d’octobre 2018, l’étude pointe l’insuffisance des moyens alloués aux institutions et aux autorités dans la lutte qu’elles mènent contre la corruption. La France ne fait pas exception et le manque de ressources consacrées à la lutte contre la criminalité économique et financière est criant, plus particulièrement concernant le manque de personnel au PNF. C’est donc à l’ensemble de la justice que davantage de moyens doivent être alloués, avec un renforcement des ressources humaines et des moyens financiers.

Des avancées pour la France, mais d’importantes marges de progression persistent
Les progrès de la loi Sapin 2

Concernant l’évaluation de la France, qui représente 3,5% des exportations mondiales, celle-ci passe de la catégorie "mise en œuvre limitée" à "mise en œuvre modérée" grâce notamment à l’arsenal législatif de la loi Sapin 2, qui a permis la création de l’AFA  et l’instauration de la Convention Judiciaire d’Intérêt public (CJIP), donnant de fait un élan à la coopération internationale, laquelle figure d’ailleurs parmi les priorités du plan pluriannuel de lutte contre la corruption de l’agence.

Remarque : les pays sont classés en quatre catégories d’application : active, modérée, limitée et enfin peu ou pas d’application. Ils sont notés en fonction des performances d’application à différents niveaux, selon le nombre d’enquêtes ouvertes, d’affaires ouvertes et d’affaires clôturées par des sanctions sur une période de quatre ans (2016-2019). Des pondérations sont attribuées en fonction des étapes de l’exécution et de l’importance des affaires, et enfi,n la part du pays dans les exportations mondiales et aussi prise en compte.

Le rapport met ainsi en avant la conclusion de CJIP, qui a su renforcer la répression de la corruption et s’est avérée être un moyen efficace de sanctionner les personnes morales impliquées dans la corruption nationale et étrangère. Cet outil a également permis de renforcer la coopération internationale, comme en témoigne l’affaire Airbus et celle de la Société Générale, avec la mise sur pied d’une équipe d’enquête conjointe. Enfin, la CJIP permet aussi une publicité plus que bienvenue, puisqu’elle est publiée via des communiqués de presse et que l’ordonnance d’approbation est accessible sur le site de l’AFA.

La loi Sapin 2 impose également à l’AFA de publier un rapport d’activité annuel, comprenant notamment une analyse statistique des manquements à la probité des acteurs des secteurs public et privé : néanmoins, les faits relatifs à la corruption d’agents publics étrangers ne font pas l’objet de statistiques spécifiques.

Autre progrès : la France fournit à l’OCDE des données sur les affaires conclues. Le rapport annuel du Parquet national financier (PNF) indique ainsi que 103 demandes d’entraide judiciaire ont été émises, et 40 ont été reçues. Mais le PNF ne précise pas quelles réponses ont été apportées par les autorités françaises et étrangères à ces demandes.

La CJIP, un outil de gestion de risques plus qu’une sanction ?

Enfin, le rapport met en exergue les carences dans la mise en œuvre de la CJIP et regrette le manque d’auto-déclarations par les entreprises, puisque aucune des trois CJIP conclue dans des affaires de corruption transnationale n’était le résultat d’une divulgation volontaire aux autorités françaises. Le rapport s’inquiète que cet outil soit davantage utilisé par les entreprises dans la manière de gérer les risques une fois que l’enquête est ouverte, que comme véritable sanction. Il est proposé d’adopter de nouvelles lignes directrices sur les CJIP afin d’encourager la divulgation volontaire par les entreprises et promouvoir la transparence des négociations et des accords financiers.

Elise Le Berre

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