Pour réindustrialiser, confiez davantage de poids aux représentants des salariés !

Pour réindustrialiser, confiez davantage de poids aux représentants des salariés !

03.11.2020

La présence importante d'administrateurs salariés dans les centres de décision des entreprises, associée à une proximité entre centres de décision et sites de production, contribue à privilégier le maintien d'activités de production sur le territoire national, observe un économiste alors que le débat sur les délocalisations est ravivé par la crise de la Covid-19.

Ces vingt dernières années, le déclin de l'appareil manufacturier en France n'a pas empêché les multinationales françaises de réaliser de bons résultats. Comment interpréter ce phénomène alors qu'en Allemagne, le tissu industriel a été maintenu ? Pour Vincent Vicard, économiste au CEPII (1), le déclin de l'appareil industriel français est à relier à des différences notables qui nous séparent de l'Allemagne sur deux points clés : 

  • la composition des conseils d'administration et de surveillance;
  • l'éloignement entre les centres de décision et de production.
Les administrateurs salariés moins enclins aux délocalisations

Sur le premier point, l'économiste constate qu'en Allemagne, les représentants des salariés représentent la moitié des administrateurs des entreprises de plus de 2 000 salariés, alors que cette proportion n'atteint que 15% en moyenne dans les entreprises françaises. Or la présence de nombreux administrateurs salariés, et donc le pouvoir accru de ceux-ci dans la prise de décision des sociétés (la "codétermination" à l'allemande), pèse sur la stratégie de l'entreprise.

"La moindre externalisation d'activités (dans les entreprises ayant de nombreux administrateurs salariés) suggère que la présence des représentants du personnel dans les conseils d'administration affecte le périmètre de l'entreprise et ses choix de localisation d'activité dans la mesure où ces activités externalisées peuvent l'être sur le sol allemand ou à l'étranger", estime l'auteur. Autrement dit, les administrateurs salariés contribuent à privilégier le maintien d'activités de production sur le territoire national. Encore faut-il que ces administrateurs soient assez nombreux pour peser, ce qui n'est pas le cas lorsque la loi française impose seulement 2 représentants de salariés dans les conseils composés de plus de 8 membres non salariés pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. 

La revendication syndicale autour d'une plus grande représentation des salariés dans les conseils d'administration est souvent perçue comme idéologique, or cette étude tend à montrer d'une part l'absence d'effet sur la profitabilité des entreprises des représentants salariés, mais aussi un effet positif sur la localisation de l'emploi et l'investissement sur le territoire, insiste Vincent Vicard.

Siège éloigné des sites de production, danger de délocalisation !

Sur l'éloignement entre centres de décision et centres de production, l'économiste établit une différence cruciale, d'ordre sociologique, de part et d'autre du Rhin. En Allemagne, les sièges sociaux des multinationales sont relativement répartis sur tout le territoire alors qu'en France, ils sont concentrés en Ile-de-France. Cet éloignement des centres de décision à l'égard des sites de production affecte les décisions sur l'emploi et la pérennité des sites productifs, soutient Vincent Vicard. Une proximité entre centres de décisions et de production entraîne une meilleure circulation de l'information, des interactions sociales plus proches favorisant la prise en compte des intérêts des sites locaux "plutôt que ceux des seuls actionnaires", les managers prenant davantage en compte l'effet de leurs décisions sur le tissu local et donc aussi sur leur propre statut social. "Être responsable d'un plan social au niveau d'un territoire rejaillit sur l'image personnelle du dirigeant", souligne Vincent Vicard.

Selon cette analyse, la concentration des sièges sociaux des grands groupes en Île-de-France serait donc défavorable à la localisation de la production sur le territoire national.  

Des dirigeants au profil proche

On pensait les dirigeants davantage issus du terrain et de la promotion interne en Allemagne qu'en France. Mais l'économiste est lui-même surpris par ce résultat, le profil des dirigeants des grands groupes est assez similaire côté allemand et côté français et ne semble guère expliquer des approches stratégiques différentes. La seule différence marquante entre les deux pays réside dans la concentration des écoles dont sont issus, côté français, les directeurs généraux puisque plus de la moitié d'entre eux sont diplômés de l'Ena (23%), d'HEC (20%), de Polytechnique (20%). Cela ne doit pas être neutre en matière managériale mais ici les résultats tangibles restent à démontrer. "On peut imaginer que l'omniprésence des sièges sociaux en Île-de-France s'explique aussi par le besoin de proximité avec les grandes écoles, mais cela doit être vérifié", nous glisse l'économiste.

En conclusion, l'auteur estime que l'approfondissement de la codétermination en France apparaît comme un instrument à utiliser "dans la perspective d'une politique de réindustrialisation".

 

(1) Le CEPII, centre d'études prospectives et d'informations internationales, est un centre indépendant rattaché à France Stratégie, l'organisme de réflexion du Premier ministre. Le CEPII couvre le champ de recherche lié à l'insertion de la France dans l'économie mondiale.

Bernard Domergue

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