Pouvoir d'achat : les leviers d'action des représentants du personnel
25.09.2022

Avec une inflation forte, les représentants du personnel doivent utiliser toutes les cartes en leurs mains pour tenter d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés, plaide l'expert-comptable Maël Ligaudan, du cabinet Metis expertise. Ses explications et conseils. En bonus : focus sur l'accord pouvoir d'achat de Renault.
Maël Ligaudan, de Metis expertise, un cabinet basé à Orléans, intervient souvent pour les CSE. Et cela se sent : propos direct, explications détaillées mais didactiques, avec une pointe d'humour bien sentie tel ce commentaire cash : "La prime Macron s'appelle désormais "prime de la partage de la valeur". Mais moi j'appelle plutôt ça une prime optionnelle de l'employeur !" Au salon SolutionsCSE de Paris, porte de Versailles, l'expert a retenu l'attention des élus présents à sa conférence, mercredi 21 septembre, sur le thème du pouvoir d'achat des salariés, et nous lui avons fait préciser par la suite certains des éléments évoqués, pour les besoins de ce compte-rendu.
Nul besoin de long propos liminaire pour résumer l'enjeu : "De juin 2017 à mars 2022, résume Maël Ligaudan, le salaire mensuel de base n'a progressé que de 8,4%. Au mois d'août 2022, le taux d'inflation annuel s'établissait déjà à 5,8% (..) Dites-vous bien que si vous demandez moins en négociation salariale que 5,8%, cela revient à revendiquer une perte de pouvoir d'achat pour les salariés !" Bien sûr, tous les délégués syndicaux n'arrivent pas fleur au fusil avec une demande d'augmentation supérieure à 6% ou 7% et il n'existe pas de levier magique. Mais vous disposez de quelques outils utiles et pistes intéressantes, a expliqué l'expert en prévenant : vous ne pouvez bien négocier qu'en connaissant précisément la situation de votre entreprise.
Premier conseil aux élus, en forme de rappel : utilisez les outils mis à votre disposition, comme la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). "Exigez une BDESE complète, la loi vous donne ce droit, faites-le respecter. Et apprenez à la lire et à l'exploiter, c'est une mine d'informations, formez-vous", lance l'expert.
Deuxième conseil : utilisez les grandes consultations annuelles du CSE sur les orientations stratégiques, la politique sociale, les comptes. "Vous devez recueillir des informations détaillées, par exemple sur les prévisions de votre entreprise et sur ses comptes. Utilisez votre droit d'expertise pour analyser les comptes".
Troisième conseil : saisissez-vous des trois grandes négociations annuelles :
- les rémunérations, temps de travail, partage de la valeur ajoutée;
- l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes;
- la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP).
A ce propos, tentez d'établir un calendrier annuel de négociations avec l'employeur afin d'avoir un agenda social prévisible que vous pourrez préparer. "Et apprenez à négocier", ajoute Maël Ligaudan. Négocier, c'est d'abord chercher les infos sur le contexte, l'environnement de l'entreprise, la position prévisible de l'employeur et sa réaction attendue, et celle des autres syndicats éventuels. "Si possible, en amont, élaborez entre syndicats une position commune", conseille l'expert.
Bien préparer une négociation, c'est aussi définir un objectif et un plan B, et le moment précis où vous déclencherez ce plan B, car une négo, "c'est aussi de la tactique". N'oubliez pas, avertit encore notre expert, de "préparer la base", autrement dit les salariés, à cette négociation, pour vous assurer que vos demandes sont en phase avec les attentes des salariés, "ce sont eux qui ont voté pour vous".
Enfin, soignez la sortie de négo. Qu'elle se solde ou non par un accord, écrivez dans le procès verbal les raisons de votre position, rappelez vos revendications, vos demandes, votre argumentation, etc. "Si vous dites à l'employeur que vous allez écrire qu'il refuse de limiter la baisse du pouvoir d'achat des salariés, cela peut avoir son petit effet. Par contre, si vous ne dites rien sur les PV de désaccord pendant des années où la négo n'a pas abouti, l'employeur pourra facilement redorer son blason en communiquant auprès des salariés le jour où il lâchera quelque chose", glisse-t-il.
Parallèlement à la négociation, de nombreux outils ne demandent qu'à être exploités par les élus. Certains sont visibles sur la fiche de paie, comme le taux des heures supplémentaires. "S'il y a beaucoup d'heures sup dans votre entreprise, vous pouvez agir sur ce levier en revendiquant une augmentation du taux", conseille Maël Ligaudan.
N'oubliez pas l'accord d'intéressement. "Dites à votre employeur qu'il doit lire le guide du Medef, qui dit le plus grand bien de l'intéressement !" L'expert insiste sur la souplesse des critères que l'entreprise peut choisir : % de variation du chiffre d'affaires, % d'évolution du nombre de commandes, évolution de la marge commerciale, résultat moins les dividendes, etc.
En matière de participation, la formule légale (voir notre article) peut aussi faire l'objet d'une adaptation car dans certains cas, la situation de votre entreprise peut empêcher mécaniquement le déclenchement de la participation. C'est le cas, par exemple, si votre entreprise dispose d'un capital très important au regard des résultats dégagés. "Dans la formule légale, il est fait référence au bénéfice fiscal. Or le bénéfice fiscal peut prendre en compte des déficits des années antérieures et donc empêcher toute participation. Vous pouvez négocier son remplacement par le bénéfice comptable", explique l'expert.
Il y a, bien sûr, la prime de partage de la valeur, dite prime Macron, que certains délégués syndicaux essaient depuis la rentrée de négocier sans attendre les négociations annuelles obligatoires, comme chez Renault (lire notre encadré). Mais rappelons qu'il s'agit d'un dispositif optionnel (lire notre article). "Sachez aussi que c'est un dispositif modifiable : contrairement au mécanisme de l'intéressement et de la participation, vous pouvez par exemple jouer sur l'ancienneté, afin de favoriser certains salariés, ceux qui ne bénéficient pas, par exemple, des revalorisations du Smic", conseille l'expert.
Ce dernier cite aussi un mécanisme méconnu : le contrat de partage des plus value. Ce dispositif, créé par la loi Pacte, peut constituer aux yeux de Maël Ligaudon un plan B en cas de refus de forte augmentation. Ce contrat engage l'actionnaire, pour au moins 5 ans, à partager avec l'ensemble des salariés une partie de la plus-value qu'il réalisera à l'occasion de la cession de ses titres, au minimum 3 ans plus tard. Il appartient aux délégués syndicaux (ou aux élus mandatés ou au CSE) de le négocier avec l'actionnaire. "C'est une formule intéressante pour les entreprises qui se font racheter par un fonds d'investissement", souligne l'expert de Métis.
Parmi les outils disponibles cités par l'expert, il y a encore l'éventuel déblocage de l'épargne salariale (lire notre article) mais aussi d'autres paramètres auxquels on ne pense pas de prime abord comme :
- négocier une hausse de votre dotation du budget des activités sociales et culturelles (Ndlr : vous pouvez aussi argumenter, si votre entreprise a du mal à recruter, sur le fait qu'il peut s'agir d'un élément différenciant favorable), et cibler certaines activités utiles type services à la personne (garde d'enfant, par exemple);
- négocier une part financée par l'employeur plus importante pour les titres-restaurant, l'entreprise bénéficiant d'une plus large défiscalisation (Ndlr : La limite d’exonération de la participation des employeurs à l’acquisition de titres-restaurant est revalorisée de 4% au 1er septembre 2022. Cette limite s’élève à 5,92€ pour les titres-restaurant émis du 1er septembre au 31 décembre 2022, au lieu de 5,69€ depuis le début de l’année).
- négocier un abondement supplémentaire de l'employeur au plan d'épargne d'entreprise;
- négocier un abondement de l'employeur sur le compte épargne temps;
- négocier des avantages en nature supplémentaires, "importants notamment pour les commerciaux";
- renégocier les frais liés au télétravail, du fait de la hausse du coût de l'énergie;
- inciter l'employeur à se saisir des nouveautés fiscales et sociales d'août 2022.
Concernant ce dernier point, il s'agit par exemple d'inciter l'employeur à financer jusqu'à 75% de la prise en charge des frais de transports publics (Ndlr : il a l'obligation de le faire mais seulement jusqu'à 50%) mais aussi de cumuler plusieurs dispositifs, comme cette prise en charge transports et le forfait mobilité durable (lire notre article). Explication de Maël Ligaudon : "Il était jusqu'à présent impossible pour un salarié prenant le tram avec son vélo de bénéficier d'une prise en charge à la fois de son abonnement tram et d'une indemnité pour l'utilisation de son vélo. C'est désormais possible".
Nous achevons donc par un tour de vélo et de tram cet aperçu des pistes à utiliser pour négocier du pouvoir d'achat pour les salariés. Il n'est pas impossible que d'autres nouveautés soient créées dans la loi de finances pour 2023. Le gouvernement, qui vient de demander aux partenaires sociaux de négocier sur le thème du partage de la valeur (lire notre article), a annoncé son intention de reprendre rapidement à son compte un éventuel accord national interprofessionnel. Espérons que les entreprises n'attendront pas ces éventualités pour décider de larges augmentations générales !
Renault verse 500€ de prime pouvoir d'achat à ses salariés
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Après des négociations avec les organisations syndicales, Renault (42 000 salariés en France) va soumettre à signature syndicale, jusqu'à vendredi 30 septembre, un accord sur le pouvoir d'achat. Selon Mariette Rih, déléguée syndicale centrale FO jointe vendredi soir par actuEL-CSE, cet accord prévoit :
Le groupe donne aussi aux salariés la possibilité de monétiser 3 jours de RTT, y compris 2 jours à la main de l'employeur, avec un taux de 25%. Au total, le montant moyen de ces primes pourrait représenter 1 000€ par salarié. Cet accord, qui intervient avant les négociations annuelles obligatoires prévues en février, a pour but de compenser les effets de l'inflation. Selon la DSC FO, ces mesures d'urgence exceptionnelle seront sans impact sur les futures NAO. |