Problèmes de recrutement : le projet de "viviers sectoriels" de Pôle emploi

18.09.2022

La direction de Pôle emploi a présenté le 15 septembre aux élus du CSE central son projet de "vivier" de candidats susceptibles de travailler dans des secteurs où les offres d'emploi suscitent peu de candidatures. Dans le cadre de ce projet, qui fera l'objet d'une campagne de communication le 7 octobre, les PME pourraient se voir proposer un conseil RH financé pour partie par les pouvoirs publics. La CGT redoute que les demandeurs subissent une pression forte pour accepter des emplois.

On sait que le gouvernement entend rapidement durcir les conditions d'indemnisation des demandeurs d'emploi en période de conjoncture favorable, le but étant de les amener à accepter les offres de secteurs ayant des difficultés de recrutement (lire notre article). Mais ce n'est pas le seul axe de travail de l'exécutif, qui a récemment publié "sa feuille de route", afin de faire reculer ces tensions sur le marché de l'emploi (1). Le gouvernement a ainsi demandé à Pôle Emploi d'élaborer un plan sur le sujet. Ce projet a été présenté aux élus du comité social et économique central (CSEC) de Pôle emploi le 15 septembre. 

Dans son document de présentation, l'organisme constate tout d'abord que les difficultés de recrutement dont se plaignent les employeurs concernent plus particulièrement trois grands secteurs :

  • les hôtels-cafés-restaurants;
  • la santé et l'action sociale;
  •  le transport routier.

Pôle emploi exclut donc d'autres secteurs d'activité pointés dernièrement par la Dares comme étant en forte tension, comme les métiers de l'industrie.

Dans le classement de Pôle emploi établi par métier (tableau ci-dessous), les difficultés de recrutement les plus fortes touchent les aides à domicile (85% de recrutements sont jugés difficiles), les infirmiers (80%), les conducteurs routiers (73%), des employés de l'hôtellerie (66%), etc. Des métiers où, soit dit en passant, les conditions de travail, les horaires et la charge de travail sont souvent jugés difficiles et la rémunération insuffisante.

Pour les trois secteurs visés, Pôle emploi entend constituer des "viviers sectoriels" de demandeurs d'emploi qui pourraient être intéressés par ces emplois que les entreprises ont du mal à pourvoir. Le but pour l'organisme est d'être en mesure de présenter rapidement des candidatures à ces entreprises. 

Pour être versé dans ces viviers, le demandeur doit être : 

  • disponible immédiatement;
  • avoir les compétences indispensables à l'exercice du métier ou pouvoir les exercer "moyennant une adaptation rapide".

Mais comment définir ces compétences "indispensables" ? Cela fait actuellement l'objet d'échanges avec les fédérations professionnelles de chaque secteur, a répondu Pôle emploi aux élus. Des fiches métiers devraient donc être rédigées.

Un suivi précis avec le demandeur

Le demandeur sera donc orienté vers l'un de ces viviers après un échange avec un conseiller, par exemple à l'occasion de la fin d'une formation du demandeur, lors d'un entretien d'inscription ou de suivi, ou lors d'événements centrés sur la découverte de métiers.  "A l’issue de l’échange avec le demandeur d’emploi, celui-ci peut soit intégrer ce «vivier sectoriel» de candidats, et il est informé de l’ambition que nous partageons qui est de lui proposer rapidement des opportunités d’emploi (moyennant une action rapide d’adaptation le cas échéant), soit être réorienté vers un autre métier ou projet professionnel s’il ne souhaite plus exercer le métier en tension qui était le sien (mobilisation de nos services d’orientation)", explique le document de Pôle emploi. 

Une fois "inscrit" dans un de ces viviers, le demandeur fera l'objet d'un suivi et d'un bilan à 3 mois. Les syndicats de Pôle emploi redoutent que les demandeurs ne soient menacés de sanctions en cas de refus d'une offre ne leur convenant pas, les demandeurs n'étant pas censés rester longtemps au sein du vivier. 

Nous craignons des pressions voire des radiations en cas de refus d'un emploi 

 

 

 

"Nous craignons que les demandeurs qui ne seront pas sortis du vivier au bout de 3 mois, et qui ne seraient pas jugés suffisamment actifs dans leur recherche, soient orientés vers la plateforme de recherche de contrôle d'emploi, qui peut décider de radiations",  critique Sylvie Espagnolle, déléguée syndicale centrale CGT (lire notre encadré). Cette dernière regrette au passage que ce plan n'ait fait l'objet que d'une simple information devant le CSE central ("et encore, c'est parce que des articles sont parus dans la presse pour évoquer ce sujet", nous dit-elle), la CGT demandant une information-consultation sur un projet qui "modifie 'l'organisation du travail de Pôle emploi". 

Des conseils RH pour les PME

Pour son projet, Pôle emploi entend mobiliser différents outils comme les immersions professionnelles, la méthode de recrutement par simulation, voire des prestations de conseil RH auprès des entreprises de moins de 250 salariés financées "tout ou partie par les pouvoirs publics". Ces prestations, qui existent déjà mais qui sont peu utilisées, pourraient traiter de la fidélisation et de l’intégration des nouveaux salariés, le développement de la marque employeur, l’organisation du travail et l’élaboration d’un plan de développement des compétences. Sera-ce suffisant pour inverser la courbe ascendante de ces métiers en tension, comme on le voit sur ce schéma de la Dares ci-dessous ? 

 

Dares

En tout cas, le plan de Pôle emploi s'explique sans doute par l'accentuation du phénomène. Vendredi, une étude de la Dares estimait à 362 800 le nombre d'emplois vacants au 2e trimestre 2022. Un chiffre stable dans l'ensemble par rapport au trimestre précédent mais en hausse sur l'année. Le taux d'emploi vacants (de 2,4% en moyenne) progresse dans tous les secteurs : +0,8 point dans le tertiaire non marchand, +0,7 point dans l’industrie, +0,6 point dans le tertiaire marchand, +0,3 point dans la construction.
D'autres facteurs à traiter

Plusieurs études, comme celle de la Dares du 8 septembre dernier, ont pointé, parmi les raisons expliquant le manque de candidats dans certains secteurs, le problème de la précarité des emplois et des conditions de travail ainsi que la faiblesse des rémunérations, des points que l'on retrouve aussi dans les métiers exposés en "deuxième ligne" lors de la crise sanitaire. En janvier, le Cese (conseil économique, social et environnemental) avait rendu un avis recommandant de mutualiser au niveau des branches professionnelles des avantages collectifs (attribution de titres-restaurant, chèques mobilité, logement et garde d'enfants).

 

(1) Jean Castex, le prédécesseur d'Elisabeth Borne, avait lancé en 2021 un plan de formation des demandeurs d'emploi (lire notre article).

 

Pour la CGT, les mauvaises conditions de travail expliquent les difficultés de recrutement

La CGT, qui mobilise pour sa journée d'action nationale du 29 septembre, a vivement réagi aux annonces de Pôle emploi. Le syndicat déplore l'absence de réflexion du gouvernement sur les raisons des pénuries d'emploi.

Dans la santé, dit le syndicat, "la politique de destruction du service public de la santé est à l'origine des difficultés" des recrutements. Et comment ne pas voir que l’hôtellerie, la restauration et les transports "se caractérisent principalement par une large amplitude des horaires de travail, par des temps partiels contraints, … mais aussi par une non reconnaissance salariale depuis des décennies !" Pour la CGT, la crise sanitaire a aggravé la donne : "Ces secteurs ont été fortement impactés durant la crise sanitaire, des aides importantes ont été fournies aux entreprises, mais les conditions du chômage partiel ont renforcé la précarité des salariés… Et oui, ils ont préféré aller voir ailleurs !" 

La CGT, qui a récemment pointé l'existence d'offres d'emploi mensongères paraissant sur le site de Pôle emploi, ajoute que certains secteurs en pénurie, comme l'aide à domicile, ne respectent pas toujours les conventions collectives. 

 

Bernard Domergue

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