Protection du lanceur d’alerte : une nouvelle étape franchie dans la transposition de la directive

29.11.2021

La proposition de loi adoptée mercredi  dernier en première lecture à l’Assemblée nationale, introduit de nouvelles dispositions.

D’ici la fin de l’année, une proposition de loi doit transposer la directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des lanceurs d’alerte. Le texte a pour ambition de créer un cadre commun pour la protection des lanceurs d'alerte à l’échelle de l’UE et innove sur plusieurs points par rapport au régime issu de la loi Sapin 2, notamment :

• la condition d’agir de « manière désintéressée » n’est pas explicitement prévue par le projet ;

  • la procédure de signalement à respecter est assouplie en permettant au lanceur d’alerte de choisir le mode de signalement sans avoir à respecter d’ordre entre (i) le signalement interne et (ii) le signalement externe ;

  • les possibilités de procéder à une divulgation publique sont élargies ;

  • le champ des personnes protégées est élargi puisque sont protégés au-delà des travailleurs d’une part les actionnaires, anciens travailleurs, sous-traitants et fournisseurs et d’autre part les tiers facilitateurs personnes physiques ayant aidé ou étant lié au lanceur d’alerte ;

  • les mesures de rétorsion interdites sont plus larges car elles vont au-delà des questions entourant le contrat de travail et les sanctions disciplinaires.

En France, la protection des lanceurs d’alerte a été introduite par la loi n° 2016-1691 dite « Sapin 2 » du 10 décembre 2016 qui l’a assujetti à des conditions d’application strictes. Cette protection a fait l’objet de beaucoup de critiques depuis la loi Sapin 2, notamment sur les difficultés pour les lanceurs d’alertes de s’en prévaloir en pratique.

Le législateur français a saisi l’opportunité de la transposition de la directive pour répondre aux critiques en allant plus loin que la directive elle-même. La proposition de loi nº 4398 adoptée le mercredi 17 novembre 2021 en première lecture à l’Assemblée nationale, introduit les dispositions suivantes :

  • deux conditions d’application du régime de protection sont supprimées : l’exigence que la violation d’une norme de droit soit « grave et manifeste » et celle que l’intéressé ai eu « personnellement connaissance » des faits ;

  • les dispositions s’appliquent au même champ que celui qui a été instauré par la loi Sapin 2, il excède donc celui de la directive en ce qu’il s’étend aux signalements effectués hors du seul cadre professionnel ;

  • la protection des facilitateurs personnes physiques est étendue aux personnes morales pour protéger les associations et syndicats qui peuvent aider les lanceurs d’alerte ;

  • des mesures de protection renforcées et étendues à l’ensemble des signalements ;

  • possibilité pour un juge d’octroyer au lanceur d’alerte en cours d’instance une provision destinée à couvrir les frais de cette instance, pour faire obstacle aux « procédures baillons » ;

  • un référé-liberté droit d’alerte est créé pour permettre à l’agent public de saisir le juge administratif sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative pour qu’il assure la sauvegarde de son droit d’alerter en bénéficiant d’une présomption d’urgence ;

  • l’amende civile pouvant être prononcée en cas d’action dilatoire ou abusive est généralisée et une sanction pénale réprimant les représailles à l’encontre du lanceur d’alerte est instituée.

Néanmoins, certains amendements ont été rejetés au cours des débats parlementaires, notamment :

  • l’instauration d’une exception au devoir de réserve ;

  • la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte aux personnes morales ;

  • l’extension du bénéfice de la protection du statut de travailleur protégé aux lanceurs d’alerte.

Le Conseil d’État a, de son côté, dans un avis rendu le 18 novembre 2021, également constaté que « la protection et l’accompagnement des auteurs de signalement restent faibles en pratique, exposant parfois ceux-ci à des grandes difficultés. »

Le Conseil d’État a formulé plusieurs recommandations, notamment celle d’écarter la création d’un référé-liberté droit d’alerte qui serait de nature à « complexifier le paysage procédural », alors que les instruments existants sont jugés suffisants pour assurer la sauvegarde du droit d’alerte.

Par ailleurs, l’absence de dispositions dans la proposition de loi d’une possibilité de « sanction en cas de non-respect de l’obligation d’instaurer une procédure de recueil des signalements internes » au sein des sociétés a été relevée.

Nul doute que cette proposition de loi fera l’objet de nouvelles discussions lors de son examen par le Sénat.

Emmanuel Daoud, Avocat au barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA

Paul Marcellin, Juriste

Emmanuel Daoud, Avocat au barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA

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