Publication des nouvelles recommandations de l'AFA

14.01.2021

Comme prévu aux termes de la loi Sapin 2, les recommandations de l'AFA doivent être régulièrement mises à jour. Après seulement un mois de consultation, et avec la participation de plus d'une quarantaine de de contributeurs, les nouvelles recommandations ont été publiées le 12 janvier 2021. Elles annulent et remplacent celles publiées en 2017.

Comme prévu par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (ci-après « loi Sapin 2 »), les recommandations de l’Agence française anticorruption (ci-après « AFA ») doivent être « régulièrement mises à jour pour prendre en compte l’évolution des pratiques » (L. Sapin 2, art. 3, 2°). C’est dans cet objectif que l’AFA a soumis à consultation publique un projet d’actualisation de ses recommandations du 16 octobre au 19 novembre 2020. Après seulement un mois de consultation et avec la participation de plus d’une quarantaine de contributeurs, l’AFA a publié ses nouvelles recommandations le 12 janvier 2021, qui viennent annuler et remplacer celles publiées en 2017.   

Force est de constater que l’AFA a totalement repensé la structure de ses recommandations. Celles-ci sont divisées en trois parties :

  1. dispositions générales ;
  2. déclinaison des dispositions générales aux entreprises assujetties à l’article 17 de la loi Sapin 2 ;
  3. déclinaison des dispositions générales aux acteurs publics assujettis au 3° de l’article 3 de la loi Sapin 2.

De plus, alors que les précédentes recommandations exposaient les préconisations de l’AFA par mesures énoncées à l’article 17 de la loi Sapin 2, l’AFA articule ses nouvelles recommandations autour de trois piliers indissociables sur lequel repose, selon elle, un dispositif anticorruption :

- l’engagement de l’instance dirigeante ;

- la cartographie des risques ;

- la gestion des risques.

Le champ d’application et la valeur juridique des nouvelles recommandations

L’AFA précise dans la première partie portant sur les dispositions générales, que "les recommandations définissent les modalités de mise en œuvre des (…) dispositifs anticorruption que peuvent déployer, de manière proportionnée en fonction de leur profil de risque, toutes les personnes morales de droit privé ou de droit public, de droit français ou de droit étranger (…), qui déploient leurs activités en France comme à l’étranger, quels que soient leur taille, leur forme sociale ou leur statut juridique, leur secteur ou domaine d’activité, leur budget ou leur chiffre d’affaires ou l’importance de leurs effectifs" (Rec. AFA, I. 2) § 6 : JO, 12 janv. 2021). Ce faisant, l’AFA démontre sa volonté d’encourager et de sensibiliser toutes les entités à se doter d’un dispositif de lutte contre la corruption, indépendamment des seuils indiqués par la loi Sapin 2. L’AFA prend le soin de préciser que les recommandations doivent être adaptées en fonction du profil de risques de chaque entité et de ses activités (I.4, § 14).

S’agissant des atteintes visées par le dispositif, l’AFA distingue entre les entreprises et les acteurs publics :

- pour les entreprises, l’AFA précise que les mesures énumérées à l’article 17 de la loi Sapin 2 visent uniquement la prévention et la détection de la corruption et du trafic d’influence, même si l’AFA conseille d’appréhender plus largement par ce dispositif d’autres infractions pénales (II, § 87 et § 88) ;

- pour les acteurs privés, l’AFA confirme son interprétation de l’extension du champ d’application du dispositif aux autres types d’atteinte à la probité (favoritisme, concussion, prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics). Cette extension étant justifiée par les obligations déontologiques spécifiques inhérentes à la fonction publique (III, § 347 à § 352)

Par ailleurs, l’AFA rappelle que ces recommandations lui sont opposables dans le cadre de ses activités de contrôle mais qu’elles ne sont pas juridiquement contraignantes (I. 3), § 8 et § 10). L’AFA crée également une présomption simple de conformité pour les organisations assujetties à la loi Sapin 2 qui ont suivi les recommandations. Cette présomption ne pourra être renversée que par la démonstration de l’AFA dans le cadre d’un contrôle d’une « application non effective, incorrecte ou incomplète des recommandations » (I.3), § 11). En outre, dans le cas où l’AFA contesterait lors d’un contrôle les mesures prises par l’organisation ayant décidé de ne pas suivre les recommandations, il reviendra à l’organisation de démontrer que ses choix « permettent de satisfaire aux exigences posées par la loi » (I.3), § 12).

Il convient enfin de noter que l’AFA se réfèrera aux nouvelles recommandations « pour les contrôles ouverts à compter du sixième mois suivant celui de leur entrée en vigueur » (I. 3) § 9), laissant ainsi le temps aux organisations d’intégrer les précisions apportées.

Les trois piliers indissociables

Comme mentionné supra, l’AFA articule ses nouvelles recommandations autour de trois piliers indissociables et sans hiérarchie entre eux.

L’engagement de l’instance dirigeante

Par ce pilier, l’AFA réitère sa volonté d’engager et de responsabiliser l’instance dirigeante. Il convient de soulever que cet élément ne fait pas partie des piliers prévus à l’article 17 de la loi Sapin 2 mais apparaît pourtant dès les premières recommandations de 2017.

Pour l’AFA, l’engagement de l’instance dirigeante constitue un élément fondateur de tout dispositif anticorruption (I. 4) 2. §19). Un tel engagement permet en effet de transmettre une culture de conformité à l’ensemble des salariés en les sensibilisant sur les aspects liés à la lutte contre la corruption. L’instance dirigeante doit donc initier "la démarche de mise en œuvre du dispositif anticorruption", valider sa conception et en assurer "le déploiement ainsi que le contrôle" (I. 4) 2, § 17). Pour ce faire, il lui appartient de mobiliser les moyens adaptés, tant humains que financiers, proportionnés au profil de l’entreprise.

La cartographie des risques

L’AFA reprend la méthodologie indiquée dans ses premières recommandations et précise que la cartographie des risques est la "pierre angulaire" du dispositif puisque les autres mesures de prévention et de détection découlent de ce pilier (I. 4) 2. § 28).

S’agissant de l’archivage de la cartographie, les nouvelles recommandations suggèrent de conserver certains éléments permettant d’apprécier la mise en œuvre effective de la cartographie tels que les comptes rendus des différents comités, les différentes versions des cartographies présentées aux instances dirigeantes, la trace des échanges avec les personnels concernés, les procédures d’identification et de classification des risques, ainsi que la méthode de calcul des risques "bruts" et "nets" (II. 2) 3. § 154). Cet archivage sera possiblement demandé lors d’un éventuel contrôle par l’AFA, pouvant ainsi facilement attester de l’effectivité de la cartographie des risques. L’objectif étant d’avoir une méthodologie très précise et détaillée, expliquant les risques identifiés par l’organisation.

La gestion des risques

La gestion des risques est réalisée à travers la mise en œuvre de mesures et procédures efficaces qui s’articulent autour de trois objectifs :

- la prévention des risques, incluant le code de conduite, la formation et l’évaluation des tiers ;

- la détection d’éventuels comportements ou situations contraires au code de conduite ou susceptibles de constituer des atteintes à la probité, comprenant le dispositif d’alerte interne et les contrôles comptables et internes ;

- la remédiation aux insuffisances constatées nécessitant la définition de mesures correctives et d’un régime disciplinaire.

  • Le code de conduite

Il n’y a pas de changement majeur à relever s’agissant du code de conduite. On notera toutefois que lors de ses contrôles, l’AFA est particulièrement vigilante aux illustrations proposées par le code de conduite qui doivent être "pertinentes sur des cas concrets" (II. 3) A. 1. § 172). L’AFA souhaite en effet que le code de conduite soit le plus adapté au profil de risques de l’entreprise et à ses activités. Ainsi, lorsque l’entreprise exerce des activités variées avec des risques de corruption spécifiques, l’AFA juge opportun de décliner ce code au niveau des différentes entités (II. 3) A. 1. § 160). En outre, l’AFA recommande d’imposer aux tiers en relation avec l’entreprise le respect du code de conduite, notamment par le biais d’une clause contractuelle (II. 3) A. 1. § 162).

  • La sensibilisation et la formation

L’AFA réitère sa recommandation de sensibiliser l’ensemble du personnel de l’organisation afin de "favoriser la prise de conscience des enjeux du phénomène de corruption" (II. 3) A. 2. § 184). Elle précise toutefois que la formation obligatoire est uniquement destinée aux cadres et aux personnels les plus exposés (II. 3) A. 2. § 187). Faisant écho aux illustrations recommandées pour le code de conduite, l’AFA conseille d’appuyer les formations sur des cas pratiques et des scénarios personnalisés par public et adaptés aux risques identifiés dans la cartographie des risques (II. 3) A. 2. § 196).

  • L'évaluation des tiers

Les nouvelles recommandations précisent les tiers concernés par cette évaluation. Ainsi, bien que la loi impose aux entreprises de procéder à l’évaluation des clients, des fournisseurs de premier rang et des intermédiaires, l’AFA recommande d’inclure d’autres catégories telles que les cibles d’acquisition de l’entreprise, ses bénéficiaires d’action de sponsoring ou de mécénat (II. 3) A. 3. § 202 et § 203). L’AFA relève que l’évaluation des tiers rend possible l’appréciation des situations individuelles, ce que ne permet pas la cartographie des risques (II. 3) A. 3. § 210). En outre, l’AFA recommande de mettre en place une procédure formalisée tenant à l’évaluation des tiers (II. 3) A. 3. § 214).  

  • Le dispositif d’alerte interne

La principale nouveauté relative au dispositif d’alerte interne concerne le traitement des alertes. L’AFA décrit en effet pour la première fois le déroulement de la procédure d’enquête interne et appelle à la formaliser. Cette dernière doit notamment prévoir les critères nécessaires au déclenchement de l’enquête et les modalités de réalisation de celle-ci (II. 3) B. 1. § 270). Eu égard à la place que prennent les enquêtes internes au sein des entreprises et en l’absence d’arsenal législatif en la matière, cette recommandation est particulièrement bienvenue puisque les enquêtes internes font actuellement l’objet de nombreux débats.

  • Les contrôles comptables

La principale recommandation porte sur l’adoption d’une procédure formalisée intégrant les modalités de ces contrôles et notamment leur objet et leur périmètre, les rôles et responsabilités dans leur mise en œuvre, les modalités d’échantillonnage des opérations à contrôler, la définition d’un plan de contrôle, les modalités de gestion des incidents, ainsi que les critères de seuils ou de matérialité devant entraîner un contrôle (II. 3) B. 2. § 300). Cette initiative de formaliser une procédure dans le domaine comptable montre la volonté de l’AFA d’encourager la mise en place de procédures internes dans tous les piliers énoncés par la loi Sapin 2.

  • Le contrôle et l'évaluation du dispositif anticorruption

L’AFA dresse un tableau récapitulatif et pratique listant la typologie des contrôles de premier, deuxième et troisième niveaux à réaliser par pilier de la loi Sapin 2 (II. 3) C. 2. § 326). Ce tableau permet d’illustrer de façon plus concrète comment doivent s’articuler les dispositifs de contrôle et d’évaluation interne. Ce faisant, l’AFA accompagne plus efficacement les organisations dans le suivi du dispositif car le huitième pilier est souvent complexe à appréhender par les entreprises.

  • Le régime disciplinaire

Contrairement aux recommandations de 2017 qui ne faisaient que citer l’élaboration d’un régime disciplinaire au sein du thème traitant de l’engagement de l’instance dirigeante, les nouvelles recommandations précisent de façon plus détaillée ce pilier. Ainsi, l’AFA mentionne le principe de gradation des sanctions et note que la sanction doit être proportionnée à la faute commise (II. 3) D. 2. § 341). En outre, l’AFA recommande de recenser les sanctions disciplinaires prononcées, permettant ainsi de les diffuser en interne « sous un format garantissant la totale anonymisation » dans un objectif de rappeler la politique de tolérance zéro à l’égard de tout comportement contraire à l’intégrité et à la probité (II. 3) D. 2. § 344 et § 345).

L’intérêt porté aux acteurs publics

Le 3° de l’article 3 de la loi Sapin 2 prévoit que l’AFA « (…) contrôle, de sa propre initiative, la qualité et l'efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l'État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d'économie mixte, et des associations et fondations reconnues d'utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Elle contrôle également le respect des mesures mentionnées au II de l'article 17 ».

La loi Sapin 2 ne prévoit donc pas de seuil d’obligation de mise en conformité pour les acteurs publics, contrairement aux établissements privés. La loi Sapin 2 ne fait pas non plus référence aux huit piliers pour les acteurs publics. Cette absence de seuils encourage ainsi l’ensemble des organismes publics visés par l’article 3 à envisager un dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité.

Alors que les recommandations de 2017 n’accordaient que six pages aux acteurs publics, l’actualisation consacre une partie entière à ceux-ci en déclinant les piliers prévus par l’article 17 à destination des acteurs publics. Cette évolution montre l’intérêt croissant de l’AFA pour les acteurs publics et implique que ces derniers ne peuvent ignorer le sujet, malgré l’absence de seuil et de précision légale quant au dispositif anticorruption. Par ailleurs, les nouvelles recommandations intègrent une annexe dressant des exemples de scénarios de risques pour les acteurs publics dans trois processus de gestion publique : le versement de subventions, la gestion des ressources humaines et la commande publique.

Il conviendra ainsi d’être attentifs aux premiers retours sur les futurs contrôles réalisés et d’accompagner les entreprises à actualiser leur démarche de conformité au regard de ces nouvelles recommandations.

Emmanuel Daoud, Avocat au Barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA Laurie Barbezat, juriste, cabinet Vigo

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