Recours contre les refus de visa : le juge administratif se saisit de l'expertise à fin d'examen comparatif d'empreintes génétiques

25.02.2022

Tranchant avec une jurisprudence antérieure, la cour administrative d'appel de Nantes, estimant ne pas être en mesure de se prononcer au vu du dossier qui lui était présenté, ordonne, avant dire droit, une expertise à fin d'examen comparatif d'empreintes génétiques, sous réserve de l'accord des intéressés.

Dans un arrêt du 18 janvier 2022, la cour administrative d’appel de Nantes, estime que la filiation alléguée de deux enfants avec l’épouse d’un réfugié, bénéficiaire de la réunification familiale n’était pas établie de manière certaine par les documents produits mais qu’un doute subsistait.

Elle invoque par conséquent l’article R. 621-1 du code de justice administrative pour ordonner, avant dire droit, une expertise à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques devant lui permettre de former sa conviction, l’expert étant chargé de recueillir le consentement des intéressés.

Absence de preuve sur la filiation, mais persistance de doutes

Dans son arrêt, la cour relève en premier lieu :

  • que les documents d’état civil présentés pour justifier de la filiation entre deux enfants et l’épouse d’un réfugié (elle-même bénéficiaire de la réunification familiale) étaient dépourvus de force probante en raison de plusieurs irrégularités ;

  • que les éléments apportés ne permettaient pas d’établir, de manière continue, la filiation par possession d’état.

Toutefois, la cour estime que l’argumentation des requérants et l’ensemble des pièces du dossier laissait subsister un doute.

Expertise à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques

Devant ce doute quant à la filiation, la cour invoque l’article R. 621-1 du code de justice administrative qui autorise le juge « lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile » à ordonner soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, avant dire droit, « qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ».

Par conséquent, la cour ordonne une telle expertise à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques entre, d'une part, le réfugié et son épouse et, d'autre part, les enfants allégués.

L’arrêt précise que l’expert aura pour mission :

  • de recueillir le consentement des parents ;

  • de faire procéder à tous prélèvements utiles sur les quatre personnes intéressées ;

  • d'analyser ces prélèvements et de procéder à une comparaison des profils génétiques de ces personnes ;

  • de dire si la paternité est exclue ou au contraire si elle est probable, en évaluant le pourcentage de probabilité ;

  • de dire si la maternité est exclue ou au contraire si elle est probable, en évaluant le pourcentage de probabilité ;

  • de faire toutes observations utiles à la solution du litige.

Une expertise en forme de revirement de jurisprudence ?

Il est à noter que la jurisprudence du Conseil d’État prévoit en principe qu’« il n'appartient au juge administratif ni de se prononcer, en cas de doute sérieux, sur l'état des personnes, ni, par suite, d'ordonner des mesures d'instruction propres à établir, le cas échéant, un lien de filiation, telles que celles prévues notamment à l'article 16-11 du code civil » (CE, 5 juill. 2004, no 251773 ; CE, 11 mars 2010, n° 336326).

Alors que la cour administrative d’appel de Nantes suivait cette jurisprudence jusqu’à récemment (CAA Nantes, 5e ch., 26 févr. 2018, n° 17NT03558), une succession d’arrêts ordonnant une telle expertise semble constituer un revirement de jurisprudence (CAA Nantes, 2e ch., 23 mars 2021, n° 20NT01058 ; CAA Nantes, 2e ch., 24 sept. 2021, n° 21NT00257 ; CAA Nantes, 2e ch., 18 janv. 2022, n° 21NT00723).

Remarque : plusieurs arrêts mentionnent également la possibilité d’ordonner une telle expertise, sans toutefois y donner suite (CAA Nantes, 5e ch., 1er févr. 2022, n° 20NT02836 ; CAA Nantes, 5e ch., 15 févr. 2022, n° 20NT02841).

Michel Dejaegher, Consultant Visas, Ancien sous-directeur des Visas, Ancien consul général de France à Alger, Abidjan, Vancouver et Tokyo

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