Réforme des retraites : "Il n'y a aucune volonté d'impulser une amélioration des conditions de travail"

16.01.2023

Le médecin du travail Jean-Michel Sterdyniak est le secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). Quel regard porte-t-il sur la nouvelle réforme des retraites ? Interview.

Dans un communiqué du 14 janvier, votre syndicat, le SNPST (syndical national des professionnels de la santé au travail) appelle ses adhérents à "rejoindre la journée nationale d'action du 19 janvier" contre la réforme des retraites. Pour quelles raisons ? 

Nous n'appelons pas forcément à la grève, mais à rejoindre le mouvement. Nous sommes très interloqués de voir que pour le gouvernement, la pénibilité au travail est une fatalité. Bien sûr, il est tout à fait légitime que des personnes qui ont eu des carrières pénibles puissent partir à la retraite de façon anticipée, mais nous pensons -et c'est ce que dit la Cour des comptes dans son rapport récent- que le gouvernement prend ici le problème à l'envers.

Il faut améliorer fortement les conditions de travail en France 

 

 

Si l'on veut que des personnes puissent travailler jusqu'à l'âge du départ normal en partant à la retraite en étant en bonne santé, alors il faut améliorer de façon très significative les conditions de travail et supprimer la pénibilité là où elle existe. Des expériences sont menées dans d'autres pays, aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne ou dans les pays scandinaves, qui montrent que cela est possible, et la France pourrait s'inspirer de ces politiques. Avec cette réforme, la France va en quelque sorte trier les personnes usées pour qu'elles partent de façon anticipée mais sans que notre pays ne s'interroge sur les conditions de travail qui ont amené cette usure professionnelle. Pour nous qui sommes des médecins de prévention, c'est choquant ! 

Vous déplorez l'absence de plan d'amélioration des conditions de travail dans cette réforme ?

Le plus concret dans cette réforme, c'est le report de l'âge légal de départ, il n'y a rien de concret sur l'amélioration des conditions de travail. 

Que pensez-vous de la visite médicale obligatoire à 61 ans prévue par la réforme ? Cette visite ouvrirait la voie à un départ anticipé dès 62 ans à taux plein pour ceux qui ne sont pas en mesure de continuer de travailler...

Le rôle de la médecine du travail, c'est de protéger la santé des travailleurs (les salariés, les artisans, etc.) tout au long de la vie. Cette visite à 61 ans est une visite en fin de course professionnelle : on va nous demander de recevoir des personnes usées par leur travail. C'est un détournement de notre mission, qui est d'assurer le suivi des salariés, qui est d'aller dans les entreprises pour donner des conseils afin d'améliorer les conditions de travail.

La loi risque d'encadrer très fortement cette visite de 61 ans 

 

 

Cette visite de 61 ans sera d'autre part réservée à un petit nombre de personnes, identifiées comme ayant eu des carrières pénibles, sur la base de critères qui s'annoncent très restrictifs, car les critères de pénibilité ne seront pas vraiment élargis. C'est une mesure que la Première ministre a annoncé pour atténuer la dureté de sa réforme, mais l'effet ne sera que marginal. Entre médecins du travail, nous sommes tous d'avis de donner un avis favorable pour un départ anticipé à la retraite, mais je vois mal le gouvernement laisser réellement les médecins du travail décider de ces départs anticipés. La loi risque d'encadrer cette possibilité de façon restrictive, et/ou de prévoir des contrôles. Mais comment penser, d'un point de vue médical, qu'une personne de 61 ans peut encore faire des travaux pénibles ?

Sur la pénibilité, le gouvernement modifie certains seuils (comme pour le travail de nuit) et prévoit un déplafonnement du nombre de points qu'un salarié peut acquérir, dans l'idée de favoriser des reconversions. Qu'en pensez-vous ? 

Il y a cet aspect du travail de nuit, en effet, mais pour les autres aspects de la pénibilité, je ne vois pas de changement. Certains métiers très pénibles, comme dans le médico-social (auxiliaires de vie en Ehpad, infirmières à l'hôpital public) vont se retrouver exclus de ce dispositif alors que les syndicats réclamaient pour ces métiers une forme d'automaticité pour le départ anticipé à la retraite, comme cela est le cas pour l'amiante. Or le gouvernement reste sur l'idée d'examiner chaque situation au cas par cas. Cela va aggraver les inégalités entre les femmes et les hommes car ce sont plutôt les métiers masculins qui sont reconnus comme pénibles, alors que certains métiers largement occupés par les femmes sont aussi très pénibles.

Pourquoi attendre que les gens soient usés ? 

 

 

Quant à cette histoire de reconversion, je suis sceptique. On nous avait beaucoup parlé des formations pour se reconvertir, mais très peu sont réalisées. Et, encore une fois, qu'est-ce que c'est que cette idée consistant à attendre que des personnes soient usées pour envisager une reconversion ? Ne serait-ce pas plus pertinent de s'attaquer aux métiers pénibles ? Au Canada, dans les Ehpad, les conditions de travail sont bien meilleures qu'en France, c'est le jour et la nuit ! Donc c'est possible de changer les choses, mais il n'y a aucune volonté de la part des pouvoirs publics d'impulser une véritable politique de prévention primaire en matière de conditions de travail.

Obligeons les entreprises à réduire la pénibilité ! 

 

 

Si on obligeait les entreprises à supprimer la péniblité grâce à des aides financières, nous n'aurions pas besoin de parler d'une visite à 61 ans. Les métiers pénibles sont occupés par des personnes ayant suivi peu d'études, par des personnes d'origine étrangère qui cumulent les ennuis de santé avec l'analphabétisme. Et on va nous parler de reconversion pour ces personnes, alors qu'en France c'est très dur d'obtenir une formation après 50 ans ?! Dans cette réforme, d'un côté on nous annonce le recul très concret de l'âge de départ et une durée de cotisation plus importante, et de l'autre, pour l'amélioration des conditions de travail et la reconversion, on n'a rien de concret ! 

Quelles seraient les mesures de nature à améliorer le taux d'emploi des seniors dans l'entreprise ? 

Voyez ce que dit la Cour des comptes dans son rapport. La Cour dresse le constat d'échec de nos politiques en matière de conditions de travail et en appelle à une politique volontariste des pouvoirs publics avec d'un côté des incitations financières pour les entreprises afin que celles-ci améliorent les conditions de travail et d'un autre côté une politique de contrôle et de sanction. C'est bien ce qui a été fait pour les accidents de la route, avec le permis à points et le contrôle technique des véhicules. Le gouvernement, et cela peut d'ailleurs se comprendre, semble ne pas vouloir fâcher les entreprises ni leur imposer de coûts supplémentaires. Une véritable politique d'amélioration des conditions de travail améliorerait les comptes publics, avec une baisse du nombre de personnes malades et davantage de gens en état de travailler, et de travailler plus longtemps. En France, au moment de partir à la retraite, vous avez déjà plus de 30% des personnes qui ne sont déjà plus en activité. Au niveau médical, on va vers un système que nous n'arrivons pas à maîtriser.

Qu'observez-vous actuellement dans les entreprises pour le maintien en activité des plus de 55 ans ?

Là où je travaille, en Seine-Saint-Denis, c'est une préoccupation quotidienne que celles des travailleurs manuels de plus de 55 ans. Très souvent, on ne peut pas les maintenir en emploi, nous avons beaucoup de mal à obtenir des aménagements de poste, et on aboutit à des arrêts maladie, des inaptitudes ou des invalidités. On fait un traitement social de ces problèmes, ce n'est pas satisfaisant ni d'un point de vue médical ni d'un point de vue économique. Après 55 ans, quand vous êtes déclaré inapte, les chances de retrouver un travail sont quasiment nulles. 

La cotisation sur les accidents du travail et maladies professionnelles pourrait légérement baisser pour compenser la légère hausse des cotisations vieillesse. Qu'en pensez-vous ? 

En France, il y a une sous-déclaration des maladies professionnelles, et l'on peut donc dire que la cotisation que paient les employeurs est insuffisante au regard du coût qu'ils devraient assumer. Et là, on va encore diminuer cette cotisation ! Pourtant, l'usure professionnelle est bien liée aux conditions de travail, des conditions de travail sur lesquels nous, médecins du travail, n'avons pas la maîtrise : nous ne sommes que conseillers, la décision appartient aux employeurs. Une meilleure politique consisterait à aider financièrement les entreprises à améliorer les conditions de travail.  

 

► Le SNPST (syndical national des professionnels de la santé au travail) est un syndicat professionnel de la branche santé au travail dont la représentativité est reconnue, comme celles de la CFDT, la CGT, la CFE-CGC et FO. "Nous nous préoccupons des intérêts moraux et matériels des professionnels de la santé au travail", résume Jean-Michel Sterdyniak. 

Bernard Domergue

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