Réforme des retraites : la pénibilité reste le sujet qui fâche

Réforme des retraites : la pénibilité reste le sujet qui fâche

14.02.2020

A l'issue d'une multilatérale réunissant les partenaires sociaux, le Premier ministre a annoncé quelques modifications au projet de loi sur les retraites : une méthode de calcul plus favorable pour les salariés qui seront à cheval sur l'ancien et le nouveau régime, retraite progressive à 60 ans, etc. Mais la réparation de la pénibilité est renvoyée aux discussions des syndicats et du patronat au sein de la conférence de financement, tandis que le gouvernement réfléchit à une mutualisation du coût de l'inaptitude professionnelle.

Voyons d'abord ce qui devrait évoluer dans l'actuel projet de loi instaurant un régime de retraites universel par points : peu de choses, en fait. Le gouvernement promet que seront déposés entre 5 et 10 amendements aujourd'hui en vue de l'examen du texte qui débute ce lundi 17 février à l'Assemblée nationale, sachant que les députés repartent du texte initial, la commission spéciale n'ayant pu terminer ses travaux à temps. Le Premier ministre, qui a envoyé un courrier aux partenaires sociaux hier soir pour formaliser ses engagements (lire en pièce jointe), n'a pourtant pas craint de vanter hier des "avancées sociales exceptionnelles" résultant de la nouvelle phase de concertation menée en janvier et février avec les organisations syndicales et patronales (lire ci-dessous leurs réactions).

La garantie des droits acquis pour les salariés nés après 1975

Parmi les points qui changent, et qui sont présentés comme des concessions importantes aux organisations syndicales, figure la situation des salariés, nés entre 1975 et 2004, qui verront leur pension calculée selon l'ancien et le nouveau régime, en vigueur à compter de 2025. Alors que le rapport Delevoye préconisait de transformer en points, dès la date d'entrée en vigueur du nouveau régime, les anciens droits en trimestres, il est désormais prévu que ce calcul s'effectue en fin de carrière, un système jugé à la fois plus équitable et moins risqué sur le plan constitutionnel au regard de l'égalité de traitement. Autrement dit, les 25 meilleures années pour un salarié du privé resteront calculées sur toute la carrière et non pas sur la seule période durant laquelle cette règle s'imposait. A compter de 2025, ce sont les nouvelles règles qui s'appliqueront. L'UNSA s'est félicitée de cette évolution qui garantit mieux le maintien des droits acquis.

La retraite progressive et un "compte épargne temps tout au long de la vie"

Deuxième changement : la retraite progressive sera possible dès 60 ans, rendue accessible aux salariés en forfait jours et sera étendue à la fonction publique, ces derniers points ayant déjà été annoncés. L'employeur pourra toutefois toujours la refuser mais en argumentant sa décision, un point regretté par François Hommeril, de la CFE-CGC. La ministre du Travail va par ailleurs lancer une réflexion sur un compte gestion du temps sur l'ensemble de la carrière, ce qui permettrait à un salarié d'épargner des jours sur son compte afin de les utiliser pour être plus disponible pour ses enfants, ses parents, etc. Les inspections générales des affaires sociales et des finances vont faire des propositions d'ici l'été à la ministre du Travail, et une concertation devrait s'ouvrir avec les partenaires sociaux, sachant que la CPME est à l'initiative d'une idée longtemps revendiquée par la CFDT sous le nom de "banque des temps" à intégrer dans le compte personnel d'activité (CPA). Objectif : engager une mise en oeuvre de ce compte épargne temps dès l'automne 2020.

Troisième point : les petites pensions. Le gouvernement promet, pour une carrière complète au Smic à temps complet, une pension minimum de 1 000€ dès 2022 et 85% du Smic en 2025, soit 1 147€. Les organisations syndicales restent sur leur faim, notamment pour une meilleure valorisation des temps partiels. A propos des droits familiaux, signalons que le rapport attendu par le gouvernement au sujet des pensions de réversion devait être publié hier soir, le gouvernement promettant de s'inspirer de ses conclusions pour rédiger des amendements modificatifs (*).

Pénibilité : reconversion et prévention oui, réparation non

Quatrième point : la pénibilité. Sur ce terrain, l'exécutif, qui a fait une légère avancée sur le travail de nuit et sur la bonification des points, se place sur les seuls volets reconversion et prévention. Pour favoriser la reconversion des salariés ayant effectué des tâches pénibles, le gouvernement promet d'améliorer par amendement le dispositif afin qu'au bout de 20 ans, ces salariés puissent mobiliser des droits majorés sur leur compte personnel de formation (CPF) afin de suivre une formation de 6 mois pouvant coûter jusqu'à 12 500€ afin de "basculer sur un nouveau métier". Pour prévenir la pénibilité et ses conséquences, l'exécutif veut mobiliser, comme il l'avait déjà indiqué aux partenaires sociaux, les reliquats de la branche ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles) à hauteur de 100 millions d'euros par an pour financer des équipements et actions dans les entreprises, et ce dès 2021.

Pour cela, les branches sont invitées à définir des mesures de réduction de la pénibilité, y compris sur les critères supprimés en 2017 (c'est-à-dire manutention des charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques, l'exposition aux agents chimiques dangereux n'étant pas évoquée). La carotte financière devrait inciter les branches à négocier, estime le gouvernement en promettant un cofinancement des actions préventives au moins égal à 50%, ce dont doutent les syndicats (lire notre encadré). "Le gouvernement va inviter les branches professionnelles à ouvrir des discussions dans les 6 mois qui suivront la publication de la loi pour lancer un plan massif de prévention de la pénibilité. Elles devront repérer leurs métiers respectifs exposés aux facteurs de pénibilité, et notamment les trois facteurs ergonomiques : postures, port de charges lourdes, manutention, et proposer ensuite des actions concrètes", a indiqué hier le Premier ministre.

Les partenaires sociaux invités à s'entendre

Quant à la réparation de la pénibilité, c'est toujours le sujet qui fâche. Le seul pas de l'exécutif en direction des syndicats consiste à évoquer une visite médicale systématique à 55 ans pour les salariés exposés "afin de repérer ceux qui pourront faire valoir leurs droits en matière de départ anticipé en raison d'une incapacité permanente". Le gouvernement se retranche derrière l'absence de consensus sur la question du départ anticipé des salariés ayant effectué des métiers pénibles, même si la CPME semblant un peu plus ouverte sur le sujet que le Medef. L'exécutif n'améliorera donc pas son texte sur ce point.

Dans son discours hier, le Premier ministre a renvoyé le sujet aux partenaires sociaux, "les décisions devant être envisagées en cohérence avec les travaux de la conférence sur l'équilibre et le financement de notre système de retraites". Dans son courrier aux syndicats et patronat, Edouard Philippe précise que certaines organisations d'employeurs ne sont pas opposées à ce que l'avantage de départ anticipé de deux ans "soit étendu et que le C2P permette un départ sans décote dès l'âge d'ouverture des droits", mais c'est à condition que "les modalités d'accès à d'autres dispositifs de départ soient réinterrogées". Il s'agit donc pour l'instant d'une fin de non-recevoir adressée à la CFDT, ou plutôt d'un renvoi de balle dans son camp, elle qui réclamait le 29 janvier dernier des "garanties de justice sociale" avant de parler de solutions de financement...

L'indemnité pour inaptitude en partie mutualisée ?

Enfin, au sujet de l'emploi des seniors, le gouvernement évoque l'idée de développer "le mécénat de compétences, notamment en faveur des associations" en l'ouvrant aux entreprises de moins de 5 000 salariés, en étendant son bénéfice aux organismes de formation et aux centres de formation des apprentis (CFA) et enfin en portant la durée de mise à disposition de 2 à 4 ans. La CFTC voit dans cette idée "un levier efficace pour favoriser l'emploi partagé".

Mais la mesure qui pourrait être plus importante à terme concerne l'inaptitude pour raison professionnelle. Le gouvernement fait sien le constat du patronat, et singulièrement celui de la CPME, qu'une entreprise peut hésiter à recruter un senior dans la mesure où, selon les mots de François Asselin, le président de la confédération des petites et moyennes entreprises, "quand l'entreprise embauche un senior, elle hérite de tous ses antécédents en matière de santé au travail alors que c'est elle-seule qui devra payer éventuellement une indemnité en cas d'inaptitude".

Une réflexion est en cours pour parvenir à une forme de mutualisation du coût de cette indemnité pour les entreprises de moins de 250 salariés. "Des travaux seront engagés à bref délai pour déterminer comment lever un frein à l'embauche des travailleurs expérimentés, en prévoyant, au moins pour les petites entreprises, qu'une éventuelle indemnité de licenciement pour inaptitude ne reste pas seulement à la charge de son dernier employeur", précise le Premier ministre dans le courrier envoyé hier soir aux partenaires sociaux, une lettre qui évoque également la négociation sur la santé au travail qui doit s'ouvrir en mars. Cette piste de travail sur la mutualisation du coût de l'inaptitude professionnelle avait déjà été évoquée dans le passé, mais sans être concrétisée...

Que va-t-il se passer maintenant ? Il va falloir regarder la réalité des amendements rédigés par le gouvernement et/ou les rapporteurs, et suivre le débat parlementaire qui s'ouvre ce lundi dans une ambiance politique tendue. Mais pour François Asselin, sur tous les sujets évoqués hier lors de la multilatérale, "la conférence de financement sera le juge de paix".

(*) Le rapport est rédigé par Bertrand Fragonard, du Haut conseil de la famille, et Anne-Marie Leroyer, professeur spécialisée du droit de la famille.

 

Les réactions des partenaires sociaux

actuEL-CSE.fr

Laurent Escure (UNSA) comme Laurent Berger (CFDT) ont reconnu des progrès en matière de retraite progressive, de maintien des droits pour les assurés à cheval sur les deux régimes, et de pensions minimales. Mais le secrétaire général de la CFDT maintient sa revendication d'un système de réparation de la pénibilité subie par les salariés : "Cette question n'est pas abordée. Nous demandons toujours que soient définis par les branches les métiers ouvrant droit pour les personnes exposées à une réparation, avec un filet de sécurité, c'est-à-dire un mécanisme supplétif s'appliquant à défaut d'accord de branche". "Seulement deux ans pour le départ anticipé en cas de pénibilité, ce n'est pas juste pour les salariés concernés. Nous souhaitons la réintégration des facteurs supprimés en 2017", plaide Pascale Coton (CFTC) quand Angeline Barth (CGT) et François Hommeril (CFE-CGC) déplorent l'absence de prise en compte des risques psychosociaux. Sur la pénibilité, "on n'a pas avancé", résume Yves Veyrier (FO) dont l'organisation reste totalement hostile à la réforme en observant qu'on "continue de charger la conférence de financement".

Sur ce point, Patrick Martin (Medef) tire la sonnette d'alarme en évoquant "l'inquiétude dans nos rangs quant au financement de toutes ces mesures" et pose comme préalable à la discussion des propositions syndicales que celles-ci fassent l'objet d'une étude chiffrée. Pour la CPME, François Asselin, tout en assurant qu'un consensus se dessine sur la nécessité de travailler plus longtemps (sic), se montre plus ouvert à une meilleure reconnaissance de la pénibilité en vue de sa réparation, "à condition que ça ne mette pas le bazar dans les entreprises ni dans les branches" et à condition "qu'on se demande ce que cela coûterait et si on peut se l'offrir". Et le président de la CPME de décrire un mécanisme qui semble assez proche de celui souhaité par la CFDT. Sauf que, pour l'instant, ni le Medef ni le gouvernement n'en veulent...

 

Bernard Domergue

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