Responsabilité du compliance officer : le licenciement pour insuffisance professionnelle (2e partie)

10.03.2020

La non-exécution par un compliance officer des process de contrôles au moment où ces derniers devaient être réalisés, et ce malgré des demandes répétées de son employeur sur ce sujet sensible du fait des risques importants pour la réputation et la situation financière de la banque, caractérise une inaptitude professionnelle justifiant le licenciement du salarié.

Un compliance officer, engagé au sein d’une banque en 1983 et licencié pour insuffisance professionnelle en 2016, contestait le bien-fondé des griefs invoqués à son encontre. Convoqué à un entretien préalable fixé le 22 février 2016, puis licencié par courrier du 9 mars, il avait saisi le conseil de prud’hommes de Paris aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Le conseil de prud’hommes avait alors estimé que les griefs reprochés relatifs à l’insuffisance professionnelle étaient réels et sérieux et justifiaient le licenciement, et avait débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes.

La cour d’appel de Paris vient de confirmer le jugement dans un arrêt du 20 février dernier (voir aussi notre article).

Un manque de rigueur, de conscience professionnelle et de responsabilisation en contradiction avec des responsabilités importantes

Licencié par courrier pour insuffisance professionnelle, le salarié s’était vu reprocher divers manquements dans la réalisation de ses missions, auxquels s’ajoutait un comportement laxiste et non professionnel préjuciable aux intérêts de la banque. Le courrier de licenciement mentionnait ainsi :

  • le non-respect des process de contrôles au moment où ces derniers auraient dû être réalisés, et ce malgré l’ensemble des demandes sur ce sujet sensible pour la banque ;
  • le non-respect des délais dans le cadre de ces contrôles et d’autres tâches incombant au salarié, générant une situation de risque pour la banque, ainsi qu’un manque d’anticipation, d’organisation et de communication avec les autres départements de la banque dans l‘exercice de ses fonctions, malgré des rappels successifs ;
  • un manque d’implication, de responsabilisation, de rigueur et de conscience professionnelle, en contradiction avec les responsabilités importantes.
Les moyens des parties
Les moyens du salarié : l’absence de préjudice subi par la banque et un manque d’intérêt envers les contrôles

Contestant le bien-fondé de chacun des griefs invoqués, le salarié sollicitait la condamnation de la société au paiement de :

  • 140 00 euros au titre d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
  • 46 800 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral ;
  • 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le salarié estimait que les manquements étaient formulés en des termes très généraux, et faisait valoir qu’aucune conséquence ni aucun préjudice subi par la banque du fait de l’insuffisance professionnelle n’étaient invoqués dans la lettre de licenciement.

Il affirmait également que la banque n’avait montré que peu d’intérêt envers les contrôles et leur résultat, que la baisse des contrôles n’avait pas entrainé d’anomalies et qu’il avait été contraint de gérer de nombreuses tâches démontrant par là sa forte implication dans l’entreprise.

Enfin, il avançait ne pas avoir eu le temps de modifier la fréquence des contrôles à la suite du rapport de l’AMF.

Les moyens de la société : des entretiens annuels d’évaluation démontrant de fréquents rappels à l’ordre

De son côté, la société faisait valoir que les entretiens annuels d’évaluation du compliance officer démontraient qu’il n’avait pas été rigoureux et professionnel, que des difficultés avaient été soulevées concernant les contrôles, et qu’il ne s’était pas remis en question alors qu’il en avait été informé.

Elle avançait également que les contrôles de second niveau effectués par le salarié représentaient une part importante de ses fonctions, et contestait qu’il ait réalisé une multitude de tâches sortant de ses attributions.

Une incapacité objective et durable à mettre en place les process de contrôle

Selon la cour, le salarié ne peut faire valoir que la lettre de licenciement était rédigée en des termes généraux alors qu’elle comporte des motifs précis, matériellement vérifiables, et fait état des risques encourus par la banque du fait de l’insuffisance professionnelle alléguée.

De plus, l’incapacité objective et durable du salarié à mettre en place les process de contrôles au moment où ces derniers doivent être réalisés, ce qui constitue une des ses activités principales, en dépit des demandes de son employeur et du soutien de ce dernier pour l’aider à s’améliorer, est établie.

Des difficultés dans la mise en place des contrôles établies aux entretiens annuels d’évaluation

La cour, qui se base sur la fiche de poste du salarié qui était en charge des contrôles de second niveau, retient les éléments suivants :

  • les entretiens annuels d’évaluation de 2010 à 2012 ont établi des difficultés quant à ces contrôles, relevées chaque année par l’employeur sans que le salarié ne progresse sur cet aspect principal de ses attributions en dépit de la supervision de la banque pour l’aider à assurer l’exécution de ces contrôles ;
  • il avait été demandé au salarié, lors de l’entretien annuel de 2013, d’être plus proactif concernant les contrôles ;
  • que lors de l’entretien annuel de 2014, l’employeur avait fait part de son insatisfaction et insisté sur la nécessité d’améliorations concernant sa fonction de contrôleur permanent.
Une baisse de la fréquence des contrôles démontrée par le rapport d’audit sur la conformité

La cour constate également les éléments suivants :

  • le plan de contrôle de second niveau mis en place début 2015 en concertation avec le salarié et validé par ses soins n’avait pas été respecté, puisque seulement 10% de celui-ci avait été effectué, soit six contrôles, sur les soixante contrôles annuels prévus ;
  • le salarié avait modifié la fréquence des contrôles de second niveau sans approbation de son directeur général, ce qui générait des risques importants à la fois pour la réputation et la perte financière de la banque ;
  • la situation n’avait pas évolué lors de l’entretien annuel d’évaluation en 2015, aucun contrôle complémentaire n’ayant été effectué par le salarié entre la fin du mois d’août et la fin du mois de décembre, et qu’une pièce jointe à l’entretien indiquait que, lors de réunions mensuelles d’audit durant lesquelles il était régulièrement mentionné qu’un nombre significatifs de contrôles de second niveau manquaient, le salarié avait toujours répondu que ces contrôles seraient tous faits avant la fin de l’année ; que l’auto-évaluation de ce dernier avait donc été rétrogradée en considération des risques élevés, opérationnels et réglementaires auxquels la banque avait dû faire face en raison de son manque d’implication ;
  • le salarié ne pouvait sérieusement soutenir que des fiches de contrôles permanents de second niveau étaient communiquées au directeur général puisque les seuls emails produits par ce dernier étaient datés des 5 et 12 février 2016 ;
  • le salarié ne peut pas non plus soutenir que la diminution des contrôles n’était pas aussi importante que ce qu’avançait l’employeur dans la lettre de licenciement, le rapport confidentiel d’audit sur la conformité, le contrôle permanent et la lutte antiblanchiment démontrant le contraire ;
  • il importe peu que les contrôles réalisés n’aient pas démontré d’anomalie, ce fait au demeurant non établi, ne l’exonérant pas de l’obligation d’exécuter correctement les taches qui lui étaient confiées ;
  • le salarié ne pouvait pas non plus soutenir que la diminution des contrôles était due à la multiplication de ses taches, puisque la question de l’insuffisance des contrôles n’était pas nouvelle, et qu’enfin, il ne ressortait pas des éléments de la cause que ses taches avaient été multipliées : sa charge de travail n’avait pas été abordée lors des entretiens d’évaluation 2014 et 2015 ;
  • au regard des entretiens d’évaluation précités, le salarié ne peut soutenir que la banque a montré peu d’intérêt envers les contrôles et leur résultat.

La non exécution, par le salarié, des process de contrôles au moment où ces derniers devaient être réalisés, malgré des demandes répétées de son employeur sur ce sujet sensible du fait des risques importants pour la réputation et la situation financière de la banque, caractérise une inaptitude professionnelle justifiant le licenciement.

Le salarié est débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle est sérieuse et ne justifie pas d’une faute de l’employeur dans la mise en œuvre du licenciement.

CA Paris, pôle 6, Ch. 7, n° 18/00140, 20 févr. 2020

Elise Le Berre

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