Retraites : le contenu des deux motions de censure soumises au vote des députés
19.03.2023

Ce lundi 20 mars, les députés doivent se prononcer sur deux motions de censure. Si elles sont repoussées par une majorité de députés, la réforme des retraites sera considérée comme définitivement adoptée. Si l'une des motions est adoptée, la réforme est mise en échec et le gouvernement est renversé. Explications.
A la suite de l'engagement jeudi 16 mars, par la Première ministre, de la responsabilité du gouvernement sur le projet de réforme des retraites pour le faire adopter sans scrutin grâce à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution (lire notre article), un recours qui a provoqué de nombreuses manifestations et rassemblements hostiles à la réforme partout en France, deux motions de censure vont être ce lundi 20 mars, à 16 heures, soumises à l'Assemblée. Rappelons que Renaissance (majorité présidentielle) et ses alliés centristes disposent d'une majorité relative de députés (243 sur 573 sièges).
Si les motions sont repoussées par l'Assemblée, le projet de réforme des retraites sera considéré comme définitivement adopté. Il ne sera pas tout de suite promulgué. Le texte sera d'abord examiné par le Conseil constitutionnel, car l'opposition a déjà annoncé son intention de le saisir. Une censure de certaines dispositions du projet (comme sur l'emploi des seniors par exemple), si le Conseil considérait qu'elles ne relèvent pas d'un texte budgétaire (on dit alors que ce sont des "cavaliers"), est possible.
L'opposition met aussi en cause la valeur constitutionnelle de l'ensemble du texte au motif d'une non sincérité des débats (utilisation d'un cadre budgétaire, limitation du temps des débats parlementaires, recours au vote bloqué, conditions de déroulement de la commission mixte paritaire, etc.). Le gouvernement plaide pour sa part l'utilisation d'outils constitutionnels, donc légaux et à sa disposition, et la volonté de sortir d'une tentative d'obstruction de la part de l'opposition. Cette éventualité de censure globale est diversement appréciée par les spécialistes (lire notre encadré).
Si l'une de deux motions de censure est adoptée, la réforme des retraites ne sera pas adoptée, le gouvernement sera censuré et le Président de la République devra nommer un nouveau Premier ministre, à moins qu'il ne décide de dissoudre l'Assemblée nationale ce qui provoquerait des élections législatives anticipées.
► La première motion "transpartisane" a été déposée par les députés centriste Bertrand Pancher et Charles de Courson (du groupe LIOT, libertés indépendants Outre-mer territoires) et rassemble 91 députés appartenant en majorité à la Nupes (gauche).
Ce texte critique le fait que le gouvernement a choisi de porter son projet de réforme dans un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS). Pour ces députés, cela "témoigne d’un détournement manifeste et inédit de la procédure parlementaire et de l’article 47-1 de notre Constitution" car ce type de projet de loi "destiné à n’apporter en cours d’exercice budgétaire que des ajustements à la marge à la loi de financement de la sécurité sociale précédemment votée, ne saurait servir à transformer l’une des composantes majeures de notre contrat social". La motion soutient qu'il s'agit "d'un contournement de nos institutions dans le but de faire adopter une réforme injuste qui ne bénéficiait pas du soutien de la population alors que celui du Parlement ne lui était pas acquis".
Le texte fustige aussi la méthode choisie, "une méthode basée sur la précipitation" et qui "a présidé au semblant de concertation préalable avec les partenaires sociaux", une conduite du projet qui a, selon la motion, "bafoué la République sociale telle que définie à l’article premier de notre Constitution".
► La deuxième motion a été déposée par les 88 députés du Rassemblement national (extrême-droite).
Ce texte ne fait que quelques lignes, la motivation de la demande de censure étant résumée ainsi : "Alors que les Français manifestent massivement leur opposition à cette réforme, la représentation nationale n’a, à aucun moment, pu voter sur ce texte ce qui est, malgré la légalité du processus, une atteinte grave aux principes démocratiques".
Le Conseil constitutionnel doit par ailleurs se prononcer sur une proposition de loi déposée vendredi par 250 députés visant à organiser un référendum d'initiative partagée (RIP) dans le but de bloquer la réforme des retraites, cette proposition prévoyant, selon le journal Marianne, que l'âge légal de départ ne peut être fixé au-delà de 62 ans.
Une telle procédure peut-elle, en théorie, mettre en échec une disposition législative ? Outre le feu vert du Conseil constitutionnel qui doit se prononcer dans un délai d'un mois, cette proposition, pour aboutir, devra recueillir 4,7 millions de signatures durant 9 mois. Surtout, elle ne peut pas avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an...ce qui signifie qu'un éventuel référendum ne pourrait intervenir que dans 15 mois.
Comment va évoluer dans les prochains jours le climat social qui paraît de plus en plus tendu (rassemblement place de la Concorde devant l'Assemblée à Paris, arrestations place d'Italie, feux de poubelles, incidents à Rennes, etc.) ? Les derniers événements semblent donner raison à l'intersyndicale qui avait averti l'exécutif d'un risque de violences et de dérapages en cas de recours au 49.3. L'intersyndicale a appelé à une nouvelle journée de mobilisation jeudi 23 mars. Ce week-end, dans une tribune au Monde, plusieurs responsables de syndicats (CFDT) et d'associations (ATD-Quart Monde, France Terre d'Asile, Fondation Abbé Pierre, Territoires zéro chômeuer, etc.) réunis au sein du "Pacte de pouvoir de vivre", ont demandé au président de la République "de ne pas promulguer" la réforme des retraites, même si celle-ci était adoptée grâce au 49.3 :
"Cette décision serait la seule à même de ne pas laisser la violence des actes et des mots gagner la société. Elle est indispensable pour apaiser les esprits, pour redonner corps à notre démocratie. Indispensable aussi pour pouvoir relever collectivement les défis qui nous attendent. Les chantiers à venir – transition écologique, lutte contre la pauvreté, réduction des inégalités, réindustrialisation – nécessiteront de la volonté politique, du travail, de l’ambition mais aussi de la confiance, de la cohérence et un engagement de chacune et de chacun. Or ces ingrédients ne sont pas réunis dans le contexte actuel".
Distorsion constitutionnelle ou inconstitutionnalité ?
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Le professeur de droit constitutionnel Jean-Pierre Camby, que nous avions interviewé le 6 février dernier pour le Micro Social (1), estimait qu'il n'y avait pas de risque d'inconstitutionnalité au regard du choix du gouvernement de porter sa réforme via un véhicule législatif budgétaire : "Pour porter sa réforme, le gouvernement a choisi la voie d'une loi rectificative de financement de la Sécurité sociale. Cela présente l'avantage de délais restreints avec des couperets temporels mais aussi d'un cadrage des débats (..) Cet avantage risque de se retourner contre le gouvernement puisqu'il ne peut y avoir dans une loi de finances des dispositions étrangères au financement, qui seraient considérés comme des cavaliers sociaux. Le gouvernement prend aussi un risque politique, celui d'apparaître comme celui qui a écourté un débat essentiel. L'avantage est constitutionnel, le risque est politique (..)". Au sujet d'un risque d'inconstitutionnalité au regard d'une insincérité des débats, voilà ce que nous disait disait Jean-Pierre Camby : "Le risque global d'inconstitutionnalité du projet pourrait venir d'une atteinte à la sincérité des débats. Mais cela n'a jamais été reconnu par le Conseil constitutionnel, sauf en 1997 pour une loi de finances sur une question de technique budgétaire. Et même dans ce cas où le Conseil reconnaissait l'insincérité, il a simplement donné une injonction au gouvernement de revoir sa copie pour l'année suivante. Je ne vois donc pas de risque global constitutionnel, le risque est plutôt, là encore, politique. Il n'était pas indispensable d'en passer par une loi de financement rectificatif d'autant qu'elle ne modifie qu'à la marge l'exercice 2023. C'est une distorsion constitutionnelle plutôt qu'une inconstitutionnalité. D'autres constitutionnalistes ne partagent pas ce point de vue et évoquent un déni démocratique, certains insistant, comme Jean-Philippe Derosier, sur la volonté manifeste du gouvernement "de museler le gouvernement" par le recours aux instruments de la procédure budgétaire. Dominique Rousseau, cité par Public Sénat, est de cet avis : "D’un strict point de vue juridique il y a des éléments sérieux pour penser qu’il a eu une atteinte à la sincérité du débat parlementaire et un détournement de procédure de l’article 47-3 de la Constitution. Sans porter un jugement sur le fond, le Conseil constitutionnel pourrait jouer un rôle d’aiguilleur en indiquant au gouvernement que le véhicule législatif n’est pas le bon". Aurélie Dort, qui le 14 mars jugeait probable le recours au 49.3, se montre prudente sur la question constitutionnelle : "On n'a pas de précédents car la situation est inédite. Dans tous les cas, la décision du Conseil constitutionnel sera intéressante, qu'elle censure des dispositions du projet de loi ou non, car elle va trancher des points nouveaux". On peut aussi envisager l'hypothèse d'une décision du Conseil constitutionnel faisant injonction au gouvernement de ne pas reproduire à l'avenir une telle stratégie parlementaire pour un texte dont les dispositions ne modifient qu'à la marge l'exécution du budget 2023 de la sécurité sociale.
(1) A ce sujet, écoutez l'épisode de notre podcast Le Micro Social consacré aux retraites, et notamment l'interview (à partir de 11 minutes) du constitutionnaliste Jean-Pierre Camby. |