Sapin 2 : publication du rapport de la mission parlementaire d'évaluation

15.07.2021

Les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, ont publié un rapport évaluant la loi Sapin 2. Malgré le bilan plutôt positif tiré de cette loi, les co-rapporteurs formulent un certain nombre de recommandations afin d’améliorer la politique de lutte anticorruption en France.

Parmi la cinquantaine de recommandations présentes dans le rapport d'information sur l'évaluation de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique,  sept points attirent particulièrement notre attention.

La nécessité de modifier le statut de l’Agence française anticorruption

L’Agence française anticorruption (AFA), mise en place par la loi Sapin 2 pour remplacer le Service central de prévention de la corruption ( SCPC), a été rapidement opérationnelle. Néanmoins, son statut hybride pose un certain nombre de difficultés dans l’accomplissement de ses différentes missions. En effet, l’AFA est à la fois un service de l’Etat, placé sous double tutelle, à compétence nationale, et une agence semi-indépendante dirigée par un magistrat judiciaire.

Le rapport précise ainsi que « le statut hybride de l’Agence française anticorruption, souhaité par le législateur en 2016, l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique » (R. Gauvain et O. Marleix,, Projet de rapport d’information, Mission d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », p. 84)

Afin de remédier à ces insuffisances, les députés proposent de clarifier la répartition des différentes missions en identifiant :

  • d’une part des missions de coordination administrative menées par le Gouvernement ;

  • d’autre part des missions d’appui et de contrôle gérées par une autorité administrative indépendante (ibid).

En d’autres termes, cela se traduit par un transfert à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) des fonctions de conseil et de contrôle jusqu’alors remplies par l’AFA (ibid). L’objectif est de « créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption » (p. 88).

Le défaut de dispositifs spécifiques visant les acteurs publics

Les rapporteurs constatent que les acteurs publics ne sont pas assez sensibilisés aux risques d’atteintes à la probité. En effet, la loi Sapin 2 a construit « un référentiel insuffisamment adapté au secteur public, ne tenant pas compte des différences de nature et de taille entre collectivités, a nui à la diffusion des mesures de prévention et de détection dans la sphère publique » (p. 91). Face au défaut d’ancrage de la culture anticorruption auprès des différents acteurs publics, le rapport préconise la mise en place d’un dispositif prenant en compte leurs spécificités. Les obligations devraient ainsi être adaptées aux autorités publiques en fonction de leur taille ainsi que des risques auxquels elles sont exposées (proposition n° 12, p. 91). Dans l’optique de renforcer l’effectivité de ce dispositif, la publicité doit jouer un rôle prépondérant.

Remarque : par exemple, ce plan de prévention de la corruption pourrait faire l’objet d’un débat public annuel obligatoire (p. 13). Il est également nécessaire de mettre en place un système de sanctions pour les administrations (p. 92).

L’élargissement des obligations aux filiales françaises des entreprises étrangères

Par ailleurs, la loi Sapin 2 prévoit une obligation de mise en oeuvre de mesures internes de prévention et de détection de la corruption ainsi qu’un contrôle de ladite mise en oeuvre (L., art. 17). Néanmoins, en raison de son champ d’application restreint, cette disposition a suscité certaines critiques dans le domaine de la lutte anticorruption. À titre d’exemple, l’AFA constate que la « condition d’établissement du siège de la société mère en France a pour effet d’exclure du périmètre de l’article 17 bon nombre de groupes étrangers qui ne disposent pas sur le territoire national de filiales atteignant les seuils ou, dans le cas contraire, peuvent être tentés d’en réduire les effectifs pour s’affranchir du respect de l’article 17 » (p. 54).

En réponse au besoin d’étendre les obligations prévues à l’article 17 susvisé à l’ensemble des filiales françaises des entreprises étrangères, les députés rapporteurs Raphaël Gauvain et Olivier Marleix préconisent de « supprimer la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère, afin de soumettre aux obligations prévues par l’article 17 les petites filiales de grands groupes étrangers établies en France, dès lors que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi » (proposition n° 1, p. 54).

Le refus d’élargir la CJIP aux personnes physiques et le développement des CRPC spécifiques

À l’instar de l’affaire Bolloré, l’actualité en matière de lutte anticorruption met en exergue le manque de coordination entre d’une part la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), régissant les situations liées aux personnes morales, et d’autre part la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) concernant les personnes physiques, à savoir les dirigeants desdites entreprises.

Face à ce constat, la solution de facilité pourrait être d’étendre la CJIP aux personnes physiques. Néanmoins, cette option a été écartée par les députés rapporteurs, ces derniers estimant que la CRPC demeure l’instrument adapté aux personnes physiques (Interview de Raphaël Gauvain « Cinq ans après la loi Sapin 2, quels progrès dans la lutte anticorruption ? », député rapporteur (LREM), Dalloz Actualité, 7 juill. 2021). Selon eux, une telle extension risquerait d’entrainer « une dispense de condamnation pour les auteurs de faits de corruption, et ferait ainsi des atteintes à la probité une catégorie d’infractions à part, alors que les infractions concernées sont particulièrement graves » (p. 125).

Sont principalement avancés deux arguments en faveur de la dualité entre la CJIP et la CRPC :

  • d’une part, les rapporteurs énoncent que la CJIP apparaît pleinement justifiée pour les personnes morales, en ce qu’« elle permet de sanctionner ces personnes, qui ne peuvent pas faire l’objet de peines restrictives de liberté, par le paiement d’une amende importante, sans toutefois les empêcher de continuer à accéder aux marchés qui sont nécessaires à la poursuite de leur activité » ;

  • d’autre part, ils soulignent que « la CJIP répond également à la nécessité de mettre en oeuvre un règlement concerté avec d’autres autorités de poursuites étrangères, dans les cas de corruption transnationale concernant des sociétés multinationales ».

Les députés rapporteurs proposent qu’une « procédure de CRPC spécifique aux faits de corruption » soit créée. Celle-ci « ne pourrait être proposée qu’en cas de révélation spontanée des faits et de pleine coopération de la personne physique aux investigations, et dont les modalités d’homologation seraient plus encadrées » et « l’appréciation du juge de l’homologation porterait essentiellement sur la qualification juridique des faits, sur le caractère spontané de leur révélation, ainsi que sur la réalité de la coopération de la personne physique aux investigations » (proposition n° 26, p. 127).

L’octroi d’un pouvoir de sanction administrative à la HATVP envers les représentants d’intérêts

Les moyens, aussi bien juridiques qu’humains, accordés à la HATVP sont encore insuffisants pour lui permettre d’accomplir ses différentes missions. À l’inverse d’autres autorités administratives indépendantes, la HATVP ne bénéficie pas de pouvoirs d’enquête étendus. C’est la raison pour laquelle il apparaît primordial de confier un pouvoir de sanction administrative à la HATVP, de manière à ce qu’elle puisse remplir sa mission. En d’autres termes, cela se traduit par « la mise en place de sanctions administratives, par exemple la possibilité d’accompagner les mises en demeure par des astreintes financières, renforcerait l’autorité de la HATVP et le respect des obligations prévues par la loi Sapin 2 » (proposition n° 42, p. 163).

La transposition de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte avant la fin de l’année

La transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union devra avoir lieu avant le 17 décembre 2021, logiquement par une proposition de loi, en co-construction avec le gouvernement.

Remarque : pour les entreprises de 50 à 249 salariés, les obligations de la directive s’appliqueront à compter du 17 décembre 2023.

Cela pourra être l’occasion d’effectuer quelques actualisations pour permettre d’offrir une protection plus effective à ces lanceurs d’alerte. La modification la plus importante concerne les retraits du critère du désintéressement (jugé trop vague) (proposition n° 30, p. 176) et de l’obligation de saisine préalable du canal interne (proposition n° 32, p. 145). Le critère de la bonne foi devra également être éclairci.

Remarque : proposition n° 30. La bonne foi serait définie comme le fait d’ « avoir des motifs raisonnables de croire, à la lumière des circonstances et des informations dont ils disposent au moment du signalement, que les faits qu’ils signalent sont véridiques ». Possibilité de préciser que le signalement ne peut avoir pour motivation de nuire à autrui.

Un débat doit en réalité se tenir dans le cadre de cette transposition pour rendre le régime français du droit d’alerte opérationnel. Il s’agit notamment de soutenir ces personnes dans leurs procédures ou face à une possible perte salariale (proposition n° 38, p. 153). Cette directive encourage les Etats membres à renforcer l’accompagnement, notamment en certifiant les statuts des lanceurs d’alerte afin qu’ils puissent s’en prévaloir lors de leurs différentes démarches (proposition n° 36, p. 151).

Ces diverses améliorations devraient favoriser les alertes, ce qui explique qu’il devient urgent de perfectionner le recueil et le traitement de celles-ci. Au regard de la marge d’appréciation qui est la sienne, la France ne saurait se contenter du statu quo. Il est donc nécessaire de se montrer plus exigeant envers les acteurs qui traitent en interne ainsi que ceux qui s’occupent d’accompagner et de protéger les lanceurs d’alerte.

Le développement du recours aux enquêtes internes

Les députés rapporteurs rappellent que la loi Sapin 2 a grandement encouragé le recours aux enquêtes internes, notamment à travers le renforcement de la protection du lanceur d’alerte, et la mise en place de la CJIP. Or, aucun texte législatif n’encadre cette procédure en droit français, la pratique des enquêtes internes étant en l’état uniquement encadrée par des recommandations non contraignantes publiées par le Conseil de l’ordre des avocats de Paris (Conseil de l’ordre des avocats de Paris, Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne, 13 sept. 2016, mod. le 10 déc. 2019, annexé au Règlement intérieur du Barreau de Paris) et le Conseil national des Barreaux (Guide du Conseil national des Barreaux, « L’avocat français et les enquêtes internes », 12 juin 2020).

Les députés appellent ainsi à un meilleur encadrement légal des procédures d’enquête interne, « afin d’offrir plus de garanties aux personnes physiques, et ainsi d’en favoriser l’usage » (proposition n° 27, p. 127).

Cabinet Vigo, Cabinet d'avocats au Barreau de Paris

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