Trois directeurs donnent leur vision du dialogue social pour 2021

Trois directeurs donnent leur vision du dialogue social pour 2021

10.01.2021

Porter le renouveau du dialogue social pour cette nouvelle année : telle est l’ambition affichée par trois directeurs de relations sociales qui ont participé, jeudi 7 janvier, à un webinaire organisé par Le Groupe IGS Formation Continue. Au cœur de leurs préoccupations : les élus de CSE et les représentants syndicaux, les modalités de négociation et la personnalisation des relations sociales.

L'année 2020 et son cortège d’incertitudes ont bousculé les bases du dialogue social. Directions et syndicats ont souvent dû négocier des accords urgents dans des conditions dantesques. Les deux bords ont dû s’adapter aux réunions numériques, faire face à l’épidémie en limitant la casse sur l’activité tout en essayant de rassurer les salariés. De nouvelles habitudes ont donc été prises, avec "des tops et des flops", et une certaine volonté de conserver les bonnes pratiques ainsi découvertes. Comment faire pour poursuivre la dynamique enclenchée ? Comment transformer les contraintes de 2020 des opportunités pour le dialogue social de 2021 ? Tour d’horizon des débats animés par Jean-François Guillot, président du cabinet Cardinale Sud, avec :

  • Antoine Cristau, directeur des relations sociales de Hermès International,
  • Jean-François Masse, directeur des relations sociales de Décathlon,
  • Jacques Ziouziou, directeur de la politique sociale de Naval Group (1).

Premier constat : les confinements ont entraîné une multiplication des réunions en visioconférence, et le "off" a pris une importance prépondérante dans le dialogue social.

Des moments "off" avec les élus du CSE pour fluidifier le dialogue social

Si les dirigeants présents à ce webinaire ont tous organisé des réunions en visioconférence pour mener les négociations des accords pendant la crise, tous ont aussi découvert l’importance d’un autre dialogue social : le "off", ou dialogue informel, qui consiste à communiquer avec les élus du CSE en dehors des seules réunions obligatoires.

 Quand je distends le lien avec les élus, des démons réapparaissent

 

Antoine Cristau, du groupe Hermès, est le premier à relever qu’autour des négociations devenues particulièrement compliquées en mars du fait de la crise sanitaire, c’est entre les réunions que s'est joué le succès des discussions. "Le "off' est devenu un outil, il en faut avant et après les négociations. Chez nous, c’est devenu constant, et c’est essentiel quand on négocie à distance. D’ailleurs je constate que quand je distends le lien avec les élus faute de temps, des démons réapparaissent pendant les négos".

Le "off" solidifie les relations sociales 

 

Jacques Ziouziou, de Naval Group, a lui aussi noué de nouveaux contacts informels avec les élus : "Nous avons mis en place une structure ad hoc spontanée, grâce à laquelle nous faisions un point avec les élus tous les soirs. Cela solidifie les relations sociales, d’ailleurs nous avons négocié beaucoup d’accords cette année : emplois et compétences, télétravail et les négociations annuelles obligatoires". Le directeur des relations sociales de Naval Group a donc décidé de maintenir ces commissions ad hoc informelles en 2021.

L'empathie fait la réussite de la relation sociale 

 

Cette tendance est confirmée par Jean-François Masse. Pour le directeur des relations sociales de Décathlon, "il faut accorder du temps aux élus, à la fois en collectif et en individuel". Car, dit-il, "c’est l’empathie qui fait la réussite de la relation sociale. Bien sûr, nous n’avons ni les mêmes idées ni le même parcours, mais aller vers l’autre, faire chaque jour un pas, cela change tout".

Au final, les dirigeants ont tous retenu de 2020 que le passage à une relation humaine avec les élus du CSE facilitait les échanges et les relations sociales elles-mêmes. Leurs relations interpersonnelles avec les représentants des salariés ont fluidifié le dialogue social et ils comptent bien maintenir ce cap en 2021. Une nouvelle année marquée aussi par la poursuite des nouvelles habitudes et bonnes pratiques découvertes en 2020.

Bonnes pratiques : les astuces de dialogue social des dirigeants

La crise épidémique a aussi créé un renouveau des pratiques de négociation. Antoine Cristau a engagé une démarche de refonte des relations sociales : "Je compte avoir des représentants du personnel légitimes, connus, reconnus et compétents. Il faut parfois les faire sortir de postures caricaturales, mais nous en avons aussi en tant que dirigeants, donc nous avons recherché des bonnes pratiques pour faire évoluer tout ça".

Il s’agit désormais, pour le directeur des relations sociales d’Hermès, de commencer à négocier les annexes, et non le corps principal de l’accord, notamment un code de bonne conduite des relations sociales, et des modèles d’entretiens de prise de mandats, des éléments sur l’articulation entrer le mandat et la vie professionnelle. En résumé, des documents qui sont structurants pour la poursuite du dialogue social. "A partir de là, on a avancé avec les élus, cela nous a permis de reprendre la négociation de l’accord à distance plus sereinement", assure le dirigeant.

 900 partenaires sociaux, ça nous a permis de tenir la route

 

Jean-François Masse (Décathlon) se réjouit quant à lui de ne pas avoir taillé dans les effectifs des élus après les ordonnances Macron : "Nous avons maintenu 900 partenaires sociaux. C’est fondamental pour nous d’avoir ces partenaires sociaux sur le terrain, et des représentants de proximité dans les magasins. Cela nous a permis de tenir la route, le CSE central et les CSE régionaux se sont investis et ont bien fait leur travail".

 Les négociateurs syndicaux n'ont pas à porter le poids des décisions finales

 

L’accent a également été mis sur l’importance de négocier avant tout un accord de méthode. Selon Jacques Ziouziou, "le temps social n’est pas le temps du business. Il faut se donner le temps de négocier un accord de méthode". Mais le directeur de la politique sociale de Naval Group se fixe aussi des limites : "Parfois, le jeu syndical fait que les négociateurs veulent modifier l’accord les uns derrière les autres. A un moment, il faut dire stop. Cela permet de tenir bon sur le poids de la signature de l’accord, c’est important pour les syndicats de dire ce qui sera appliqué si l’accord n’est pas signé". Le directeur relève également que les négociateurs syndicaux n’ont pas à porter le poids des décisions finales prises par la direction : "On avance, on discute, on les consulte mais on ne peut pas leur faire porter cette responsabilité de gouvernance".

Jacques Guillot, président du cabinet Cardinale Sud, complète ce propos : "Il ne faut pas donner l’impression aux syndicats que tout est écrit et que la négociation n’est qu’une chambre d’enregistrement de ce qu’a décidé la direction". Il note également l’importance de prendre en compte la fatigue des élus et représentants syndicaux : "Eux aussi peuvent être touchés par le syndrome lassitude-épuisement-solitude".

En conclusion, ces dirigeants sont prêts à changer leurs habitudes et à renouveler les pratiques de dialogue social. Ils ont retenu de la crise que le climat social dépend en grande partie de leurs capacités relationnelles, de l’aptitude à s’entendre malgré les désaccords.

(1) La société Hermès exerce son activité dans les métiers du luxe et employait 14 751 personnes au 1er semestre 2019. Naval Group est leader européen du naval de défense et employait 11 653 salariés en 2019. Décathlon est une enseigne majeure de distribution d'articles de sport. Son effectif moyen est de 15 255 salariés.

 

► A propos des relations sociales, des CSE et du droit du travail en ces temps de crise sanitaire, vous pouvez écouter ci-dessous le podcast Micro Social réalisé par les journalistes d'actuEL-CSE et d'actuEL-RH sur ce qu'il faut retenir de l'année 2020.

 

 

Marie-Aude Grimont

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