L'idée de TVA sociale ressurgit dans le débat public et fait l'objet de travaux d'approche par le Haut conseil pour le financement de la protection sociale. Si le HCFIPS estime possible de remplacer une partie des cotisations sociales par une hausse de la TVA pour financer la Sécu, il ne pourrait pas s'agir d'une substitution totale. Cette hypothèse soulève d'autre part de multiples questions sur le pouvoir d'achat des salariés et l'avenir du paritarisme. Elle suscite la réserve voire l'opposition des organisations syndicales, comme nous le dit Eric Gautron, en charge de la protection sociale chez FO.
La France vit, comme le reste des États, une période de forte incertitude sur le plan économique. Les tarifs douaniers décidés par Donald Trump font peser un risque sur l'évolution des échanges internationaux et donc sur l'activité économique, au point que le modeste + 0,9 % de croissance prévu par Bercy pour 2025 pourrait s'avérer optimiste. S'ajoute à cette crainte, qui nourrit sinon les restructurations du moins le gel des investissements et des embauches, une préoccupation liée au maintien de la compétitivité de la France et de l'Europe dans la course internationale, ainsi que le souci de maîtriser les déficits et l'endettement publics, le gouvernement envisageant 40 milliards d'euros de dépenses en moins dans le budget 2026.
C'est dans ce contexte qu'Emmanuel Macron a semblé reprendre à son compte, même s'il n'a pas expressément employé le terme, l'idée de TVA sociale remise dans le débat par le Medef, l'organisation patronale voyant dans cette mesure un levier fort pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises, notamment à l'export.
Le 13 mai, le président de la République a évoqué la nécessité d'organiser une conférence sociale pour envisager un financement de la sécurité sociale qui pèse moins sur le travail. Le ministre de l'Économie y voit une piste "a priori séduisante".
Si la perspective de conférence sociale reste pour l'instant théorique, en revanche, les trois Hauts conseils qui planchent sur l'avenir de la Sécu (*) réunissent ce lundi 26 mai leurs membres en visio pour échanger sur des projections de mise en place de cette TVA sociale, en vue d'un rapport qui pourrait être rendu courant juin. Le Premier ministre a en effet saisi ces trois Haut conseils le 5 mars dernier. François Bayrou leur demande "un diagnostic partagé des causes des déséquilibres financiers" de la Sécurité sociale et de lui suggérer des leviers possibles de rétablissement des comptes sociaux" qu'il pourrait intégrer dans le budget 2026.

Dans ses travaux préparatoires, le Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFIPS), qui n'a pas mobilisé d'expertise nouvelle sur le sujet, soutient l'idée d'une hausse de la TVA dont le produit serait affecté à la Sécurité sociale. Avantages selon le HCFIPS : à l'inverse des cotisations sociales ou de la CSG, la mesure ne pèse pas sur le coût du travail (sauf si les salariés obtiennent des augmentations de salaire pour compenser la hausse de la TVA), et elle n'entrave en rien les capacités d'exportation des entreprises française. Mieux même, pour l'expert des finances publiques François Calle, la mesure peut s'apparenter à une dévaluation compétitive.
Pour le Haut conseil, cette mesure a un autre intérêt : le fort rendement de la TVA, deuxième source de revenus fiscaux derrière les cotisations, mais devant la CSG ou l'impôt sur le revenu. Augmenter d'un point le taux de droit commun de TVA rapporterait plus de 8 milliards d'euros. Pour les experts, cela semble jouable dans la mesure où la France a un taux de TVA inférieur aux autres pays européens.
Côté face, le HCFIPS reconnaît qu'une hausse de TVA, fût-elle affectée à la Sécu, comporte un risque inflationniste et qu'elle pourrait être considérée comme "anti-redistributive" : "Trois ans après une hausse de 3 points du taux normal de TVA, le niveau de vie serait inférieur, en moyenne, de 0,6 % en termes réels à ce qu'il aurait été en l'absence de hausse" mais les 10 % de personnes les plus modestes pourraient subir "une perte relative de niveau de vie trois fois plus importante".

Au final, le Haut conseil écarte l'idée d'une substitution complète des cotisations par une hausse de la TVA. Une évolution défendue, au nom de la nécessité d'améliorer le salaire net des travailleurs, par Antoine Foucher, l'ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud et ancien directeur du Medef. "Une substitution pleine et entière n'apporte pas de rendement à court terme, ce qui dans le contexte financier ne correspond pas à l'objectif du nécessaire rééquilibrage des finances sociales", tranche le Haut conseil.
Le HCFIPS, qui étudie aussi les hypothèses d'une augmentation de la CSG et de l'impôt sur le patrimoine sans oublier une rationalisation des exonérations de cotisations (**), semble donc préconiser une solution intermédiaire, à mener en deux temps, afin de donner la priorité au redressement des comptes sociaux : "Une mesure d’accroissement de TVA de 0,6 point de PIB accompagnée d’une mesure de réduction des cotisations patronales de 0,4 point de PIB, conduirait à court terme à un redressement de 0,2 à 0,3 point de PIB des finances publiques, l’effet à long terme subsistant, après une atténuation entre 2 et 5 ans".
Que penser de ces enjeux et de ces propositions ? Comme le souligne le cabinet d'expertise 3E dans une note récente de 32 pages, la TVA sociale existe déjà pour partie : sur 205 milliards d'euros de recettes TVA en 2023, 57 milliards sont affectés à la sécurité sociale, "pour beaucoup du fait d'allègements précédents de cotisations patronales". Faut-il aller plus loin en supprimant une partie des cotisations sociales et en les remplaçant par une augmentation de la TVA ? Une telle évolution suscite de multiples questions et critiques.
Cela revient, note Linda Rua, l'autrice de la note du groupe 3E, "à faire passer le poids du financement de la sécurité sociale des entreprises aux consommateurs", "même sur ceux aux plus faibles revenus puisque la TVA s'applique indistinctement à tout le monde". On pourrait ajouter la même observation que la critique formulée lors de la création du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) : n'y aurait-il pas alors une sorte d'effet d'aubaine ? Autrement dit, faut-il soulager du poids du financement de la protection sociale la totalité des entreprises, y compris celles qui se portent très bien et celles qui ne sont guère exposées à la concurrence internationale ?

Joint vendredi 23 mai, Eric Gautron, secrétaire confédéral FO en charge de la protection sociale, exprime son hostilité : "La TVA sociale, qu'on devrait plutôt appeler la TVA anti-sociale, c'est une vieille lune qui remonte aux années Sarkozy et qu'on nous ressort chaque fois qu'il faut combler des déficits. Nous y sommes totalement opposés. La TVA est un impôt injuste qui pèse plus fortement sur les plus faibles. Et là, pour épargner les entreprises, alors que nous avons un président et un gouvernement qui n'ont de cesse de dire qu'ils n'augmenteraient pas les impôts, on veut nous vendre une hausse d'impôts pour toute la population, ce qui signifie du pouvoir d'achat en moins. Ce serait une double-peine pour les salariés qui doivent déjà subir la baisse de l'indemnisation des arrêts de travail (baisse du plafond des indemnités journalières) et le doublement des franchises médicales" (***).
D'autre part, aux yeux du secrétaire FO, une "TVA sociale" signifierait une étatisation encore plus grande de la Sécurité sociale" et donc la fin du paritarisme : "Depuis le plus grand tournant de 1995 et le plan Juppé, c'est vrai que la Sécu n'est plus gérée tout à fait paritairement. Mais il reste qu'il y a encore des lieux de pouvoir et d'échanges comme le conseil d'administration de la branche familles ou le conseil de la branche maladie". Là, l'État serait seul maître à bord pour décider des recettes et de l'affectation des dépenses.
FO critique "un capitalisme sous perfusion"
Sur le fond, le syndicaliste juge qu'il faut plus que jamais s'interroger sur la politique suivie ces dernières années pour financer notre modèle social. Car elle aboutit à ce que les exonérations de cotisations sociales des entreprises représentant de "80 à 90 milliards d'euros par an, sans même parler du coût colossal du crédit d'impôt recherche" : "C'est un capitalisme sous perfusion !" cingle-t-il.
C'est là que se trouve selon lui les raisons du manque de recettes de la Sécu, et donc du déficit de la Sécurité sociale, de l'ordre de 15 milliards en 2024. "Nous avons un problème de recettes pour la Sécu. Nous demandons que les entreprises paient davantage leurs cotisations", ajoute Eric Gautron en observant que le budget 2025 a d'ailleurs un peu infléchi la donne en demandant un effort supplémentaire (1,6 Mds€) aux entreprises et aux ménages aisés.

Face à ceux qui jugent, tel Antoine Foucher, qu'il faut moins de cotisations pour améliorer le salaire net des travailleurs, le spécialiste FO de la protection sociale défend encore la notion de "salaire différé" : "Ce qu'on nous donne d'une main avec moins de cotisations, on va nous le reprendre ailleurs avec davantage de TVA ou même de CSE. Je crois qu'il faut regarder non pas simplement le salaire net mais le salaire brut, c'est pourquoi nous sommes d'ailleurs comme la simplification à outrance des bulletins de paie. Pourquoi ? Parce que le brut permet de voir que nous bénéficions d'un morceau de salaire que nous ne percevrons qu'au moment où nous en aurons besoin, à l'occasion d'une maladie, d'une période de chômage, à la retraite".
Quid de la compétitivité ?
Que penser de l'argument sur la compétitivité retrouvée des entreprises du fait de moindres cotisations ? "La TVA sociale pourrait certes améliorer la compétitivité des entreprises en allégeant le coût du travail et en augmentant le prix des importations sans modifier celui des exportations (..) Mais ces gains de compétitivité ne seront possibles que si la hausse des prix à la consommation n'est pas totalement répercutée sur les salaires et donc seulement au prix d'une nouvelle baisse du pouvoir d'achat des salariés", avertit le groupe 3E.
Le cabinet, qui cite un rapport de 2015 du Conseil des prélèvements obligatoires, estime que la réduction d'un milliard d'euros de cotisations sociales patronales, financée par une augmentation d'un milliard d'euros de recettes TVA, entraînerait "une création de seulement 3 000 à 6 000 emplois au bout de 5 ans", "notamment parce que les salaires augmenteraient pour compenser la hausse des prix induite par la mesure". En l'absence d'augmentation de salaires, et toujours dans l'hypothèse d'une hausse d'un point de PIB de la TVA, en revanche, 200 000 emplois seraient créés au bout de 5 ans du fait des gains de compétitivité. Mais cela serait au prix d'une hausse des prix de 0,2 % et d'une baisse de 1,4 % des salaires réels.
Dans un point de vue publié par Les Echos, l'économiste Pierre Cahuc juge que la TVA sociale est une arme "déjà émoussée" : elle n'apporterait que des gains de compétitivité minimes et ne jouerait pas en faveur de l'emploi peu qualifié. Son raisonnement : les employeurs bénéficient déjà d'exonérations pour les bas salaires, qui concernent les jeunes et les peu qualifiés, or "le taux de chômage des moins de 25 ans dépasse les 19 % et celui des travailleurs peu qualifiés 14%", donc " la TVA sociale ne les aidera guère".
"Une nouvelle baisse généralisée des charges profiterait surtout aux emplois qualifiés , mieux rémunérés, peu exposés au chômage", analyse-t-il. Et l'économiste de plaider une nouvelle fois pour une réforme du Smic et pour "permettre davantage de souplesse dans la négociation au niveau de l'entreprise , aujourd'hui verrouillée par les branches". Voilà qui serait de nature à rouvrir le débat, assez explosif, du salaire minimum et celui de l'articulation entre la négociation de branche et celle de l'entreprise, déjà revue en 2017.
(*) Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFIPS), Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAMM), Haut conseil de la famille, de l'enfance et l'âge ()
(**) Parmi les hyptohèses étudiées figure la limitation des exemptions d'assiettes pour les indemnités ruptures conventionnelles, ces exonérations représentant un coût de 300 M€ par an pour la sécurité sociale sur un montant total d'indemnités de 1,2 Mds€. Sont aussi envisagées une hausse du forfait social sur l'épargne salariale et la fin de l'extension de l'usage des titres-restaurants.
(***) Cette hostilité semble être générale chez les organisations syndicales, sauf peut-être à la CFTC. Cité par Le Monde, Cyril Chabanier, le président de la confédération chrétienne, estime que l'idée de remplacer une petite part des cotisations sociales payées par les salariés au profit d'une majoration de taux de TVA peut constituer une option, à condition que cela ne renchérisse pas les produits de première nécessité.