« Toastiligne » : la « ligne » sans le contrôle du poids ?

03.02.2023

Droit public

Pour la cour administrative d’appel de Nantes, la marque « Toastiligne » ne peut être qualifiée d’allégation de santé sur le contrôle du poids.

Alors que le régime transitoire dont bénéficiaient les marques suggérant des effets bénéfiques pour la santé a pris fin en janvier 2022, cette décision favorable au développement du marketing minceur est surprenante.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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La SAS Pain Concept a commercialisé une gamme de pain de mie sous la marque « Toastiligne ». Par une décision du 9 mai 2017 de la directrice départementale de la protection des populations de la Vendée, la société s’est vue enjointe de supprimer l’allégation « Toastiligne » ainsi que les mentions valorisantes associées au motif que cette allégation constituait une allégation de santé prohibée. A la suite d’un recours hiérarchique n’ayant pas abouti, la société a saisi le tribunal administratif de Nantes pour faire annuler ces décisions. Le tribunal a accueilli sa demande par un jugement en date du 10 décembre 2021. Contestant ce jugement, le ministre de l’économie et des finances a formé un recours devant la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes. Sa requête a été rejetée dans une décision du 16 décembre 2022.

L’arrêt peut sembler anecdotique mais il constitue l’une des rares décisions rendues en matière d’allégations de santé sur le contrôle du poids dans un contexte économique où les entreprises sont à l’affût des possibilités de diffusion du marketing minceur. Depuis 2006, le règlement n° 1924/2006 encadre strictement l’emploi des assertions relatives aux effets nutritionnels ou physiologiques de la denrée alimentaire. Si les informations sur les bienfaits de certains aliments ou nutriments sur la santé sont de nature à guider les choix des consommateurs pour favoriser une meilleure alimentation, il faut éviter que des promesses trompeuses soient apposées sur les denrées alimentaires. Ainsi une allégation de santé définie comme celle « qui affirme, suggère ou implique l’existence d’une relation entre, d’une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l’un de ses composants et, d’autre part, la santé » est soumise à un régime d’autorisation à l’échelle de l’Union européenne. Depuis 2006, la pertinence de l’allégation doit être prouvée scientifiquement et fait l’objet d’une évaluation du risque par l’EFSA. Une liste générique établie par le règlement (UE) n° 432/2012 du 16 mai 2012 recense les 229 allégations de santé fonctionnelles actuellement autorisées, complétée par des autorisations individuelles pour les allégations de santé relatives à la réduction d’un risque de maladie.

La qualification d’allégation de santé

L’enjeu de la décision était de déterminer si la marque « Toastiligne » constituait ou non une allégation de santé, dès lors que cela déclenche l’application d’un régime d’autorisation.

Notons tout d’abord que les allégations faisant la promotion de la minceur sont prohibées si elles donnent lieu à des présentations anxiogènes. Selon l’article 3 du règlement n° 1924/2006, il est interdit de « mentionner des modifications des fonctions corporelles qui soient susceptibles d’inspirer des craintes au consommateur ou d’exploiter de telles craintes, sous la forme soit de textes, soit d’images, d’éléments graphiques ou de représentations symboliques » (art. 3 e/). Tel n’était pas le cas en l’espèce. Sous réserve de cette prohibition, les allégations « ligne » ne peuvent être utilisées que si elles ont été autorisées. Elles sont en effet inclues dans la catégorie des allégations de santé de l’article 13 du règlement n° 1924/2006 en tant qu’elles décrivent ou mentionnent « l’amaigrissement, le contrôle du poids, une réduction de la sensation de faim, l’accentuation de la sensation de satiété ou la réduction de la valeur énergétique du régime alimentaire ».

De manière assez surprenante, la CAA de Nantes a considéré que la marque Toastiligne ne pouvait pas être qualifiée d’allégation de santé, et plus spécifiquement que la qualification d’allégation de santé « ligne » était exclue. Elle considère ainsi que le nom commercial « toastiligne » « n'implique aucune amélioration de l'état de santé grâce à la consommation de la denrée alimentaire, pas davantage l'absence d'effets négatifs ou nocifs pour la santé qui accompagneraient une telle consommation et ne contient aucune référence, directe ou indirecte à la santé, et notamment à un effet sur le contrôle du poids alors au demeurant que les produits vendus ne sont pas des produits de régime ».  La cour fait mention de l’arrêt « Deutsches Weintor » (CJUE, 3e ch., 6 sept. 2012, aff. C-544/10) qui consacre une interprétation large de la notion d’allégation de santé et reprend les critères retenus par la Cour de justice de l’Union, sans pour autant conclure à l’existence d’un lien entre l’allégation et la santé. Rappelons que la Cour a considéré dans cet arrêt que l’article 2 du règlement Allégations ne précisait pas si la relation alléguée entre la denrée alimentaire et la santé devait être directe ou indirecte et n’apportait pas de précision sur son intensité ou sa durée. Dans ces conditions, il y avait lieu selon elle de comprendre le terme « relation » d’une manière large. Une simple relation à la santé suggérée comme dans le slogan publicitaire « Aussi important que le verre de lait quotidien ! » inscrit sur un fromage blanc a ainsi été considérée comme une allégation de santé (CJUE, 4e ch., 10 avr. 2014, aff. C-609/12, Ehrmann). A la lumière de cette jurisprudence, il eut été logique de souligner la dimension méliorative de l’allégation qui suggère que la consommation du pain de mie « Toastiligne » permet de contrôler son poids et par là même d’éviter les maladies liées à l’excès pondéral. L’emploi des allégations nutritionnelles sur la réduction de la teneur en sucres et en matières grasses corrobore cette analyse.

« La ligne » sans le contrôle du poids ?

La définition spécifiquement dédiée aux allégations de santé « ligne » dans l’article 13 du règlement n° 1924/2006 renforce cette thèse et milite en faveur d’une inclusion de « Toastiligne » dans cette catégorie. Les communications commerciales visées ne se cantonnent pas aux produits de régime et englobent de manière large toutes les allégations qui décrivent ou mentionnent « l’amaigrissement, le contrôle du poids, une réduction de la sensation de faim, l’accentuation de la sensation de satiété ou la réduction de la valeur énergétique du régime alimentaire ». La référence de la « ligne » et l’évocation de la réduction des matières grasses et du sucre qui sont considérés comme des nutriments dont il faut réduire la consommation dans les recommandations nutritionnelles du PNNS, suggèrent bien le contrôle du poids. L’analyse que fait la CAA de la perception de cette allégation et de son environnement est à cet égard contestable. Pour déterminer si une relation entre la denrée alimentaire et la santé est « suggérée ou impliquée » conformément à la définition de la notion d’allégation de santé, la Cour de justice de l’Union se réfère au modèle du consommateur moyen (CJUE, 18 juill. 2013, aff. C-299/12, Swan Pharmaceuticals CR). Les juges nantais ont retenu que « cette dénomination ne peut produire chez le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé l'impression que la consommation de la denrée alimentaire est bénéfique pour la santé en favorisant le contrôle de son poids ». Pourtant, le terme « ligne » fait référence à l’expression « garder la ligne » qui laisse entendre un contrôle du poids. La définition de « ligne » dans le Larousse est « Corps mince, svelte de quelqu'un » et ne correspond à une représentation corporelle particulière. Par ailleurs, la CAA considère que « La circonstance que le site internet de la société ait indiqué que " la Boulangère aussi sait garder la ligne et prendre soin d'elle ! Maintenant tout est permis avec les pains Equilibre La Boulangère et ne culpabilisez plus en mangeant vos tartines " est sans incidence à cet égard ». Cette référence explicite à l’expression « garder la ligne » est pourtant de nature à renforcer l’impression produite chez le consommateur par l’emploi de la marque « Toastiligne ». Au-delà de l’équilibre alimentaire, c’est bien l’image d’un corps svelte que l’on souhaite véhiculer.

Le sort des marques sur « la ligne »

Au-delà de la question du périmètre des allégations de santé, la décision permet d’évoquer le statut particulier des marques de fabrique, noms commerciaux ou dénominations de fantaisie qui apparaissent dans l’étiquetage ou la présentation d’une denrée alimentaire ou la publicité faite à son égard, et qui peuvent être considérés comme une allégation de santé. On songe ainsi à des marques comme « Taillefine » ou « Sveltesse » qui relèvent du régime des allégations de santé « ligne ». Lorsque ces marques existaient avant le 1er janvier 2005, elles ont bénéficié jusqu’au 19 janvier 2022 de mesures transitoires leur permettant de poursuivre la commercialisation de leurs produits en vertu de l’article 28§2 du règlement n° 1924/2006. Depuis le 19 janvier 2022, ces marques ne sont pas interdites en soi mais doivent être associées à des allégations de santé spécifiques autorisées apposées sur l’étiquetage, la présentation ou la publicité dans laquelle apparaît la marque. Toutefois, il faut noter que parmi les 229 allégations de santé autorisées au titre de l’article 13, ne figure aucune allégation de santé dite « ligne ». Il en résulte que certaines marques sont vouées à disparaître ou à renaître sous d’autres formes pour se conformer à la législation européenne sur les allégations. Ainsi, la mue de la marque « Taillefine » a été récemment annoncée en devenant « Light&Free ». Weight watchers s’est transformée en WW. Dans ce contexte, l’interprétation favorable au développement du marketing minceur retenue par la décision de la CAA de Nantes fait figure d’exception. A suivre donc…

Marine Friant-Perrot, Maître de conférences à l'université de Nantes
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