« Bébé gaz » : les dérives du marketing santé ciblant les nourrissons

27.03.2025

Droit public

La cour administrative d'appel de Marseille confirme le rejet de la mise sur le marché des produits "bébé gaz" destinés à réduire les gaz et les risques de coliques infantiles. Aucune allégation de santé faisant référence au développement et à la santé infantile ne peut être apposée sur une denrée alimentaire sans autorisation individuelle au niveau européen. Cette décision souligne l'importance de protéger un public vulnérable contre de telles pratiques commerciales.

Le marché des compléments alimentaires est florissant. Selon une étude Inca 3 menée par l’ANSES en 2014-2015, 22 % des adultes en consomme et cela concerne également 14 % des enfants. Cette consommation a doublé depuis la précédente étude, Inca 2 (2006-2007), aussi bien chez les enfants de 3 à 17 ans que chez les adultes. Une telle évolution conduit à s’interroger sur l’encadrement juridique de la supplémentation en vitamines et minéraux de la population infantile.

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Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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L’affaire « Bébé gaz » et l’arrêt commenté illustrent les tendances et dérives actuelles du marketing ciblé sur les nourrissons. En l’espèce, la société Laboratoires Ineldea a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions du 6 novembre 2019 et du 26 décembre 2019 par lesquelles le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a refusé d'enregistrer la déclaration qu'elle avait déposée en vue de la mise sur le marché des produits "Bébé Gaz/ poudre » et « Bébé Gaz/ Bâton/Bâtonnet/Stick ». Par un jugement du 20 février 2024, le tribunal a rejeté ses demandes au motif que la dénomination du produit et les messages associés sur les coliques infantiles constituaient des allégations de santé prohibées. Contestant ce jugement, la société a formé un recours devant la Cour administrative d’appel (CAA) de Marseille. Sa requête a été rejetée par une décision du 3 mars 2025.

L’arrêt rendu se fonde sur un raisonnement classique au regard du régime applicable aux allégations infantiles. Mais, au-delà de la question de l’encadrement des messages promotionnels apposés sur les compléments alimentaires, cette décision donne l’occasion de réfléchir à la pertinence d’interdire la consommation de ces produits pour les nourrissons.

L’interdiction des allégations de santé ciblant les nourrissons sans autorisation individuelle au niveau européen

L’enjeu de l’arrêt était de déterminer si la dénomination « Bébé gaz » constituait ou non une allégation de santé prohibée, sachant que la mise sur le marché d’un complément alimentaire est conditionnée par le respect des dispositions nationales et européennes applicables au produit.

Rappelons que les compléments alimentaires correspondent à une catégorie particulière de denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal. Ils constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seul ou combinés, et se présentent sous une forme similaire aux médicaments (gélules, sachets de poudre…). Ils sont régis par la directive 2002/46/CE du 10 juin 2002 transposée en droit interne par le décret n° 2006-352 du 20 mars 2006. Ces textes encadrent la composition, l’étiquetage et les modalités de mise sur le marché de ces substances. Ainsi la France a prévu un régime de déclaration préalable en vertu de l’article 15 du décret de 2006 qui s’accompagne de la transmission de l’étiquetage définitif du produit. Comme ces produits comportent généralement des allégations nutritionnelles et de santé, il convient aussi de veiller au respect des règles applicables à ce marketing santé qui sont harmonisées au niveau européen par le règlement n° 1924/2006. S’agissant des allégations dites « de santé », elles sont soumises à un strict régime d’autorisation conditionné par leur justification scientifique. Entre dans cette catégorie l’allégation « qui affirme, suggère ou implique l’existence d’une relation entre, d’une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l’un de ses composants et, d’autre part, la santé » selon la définition de l’article 2 du règlement.

Il apparaît clairement que le produit litigieux « Bébé gaz » fait référence à la santé et relève de cette catégorie. La Cour administrative d’appel a considéré les décisions de la DGCCRF comme suffisamment motivées à cet égard. La Cour confirme ainsi l’argumentation retenue par le tribunal administratif de Nice en soulignant qu’il « ressort de la dénomination même du produit, " Bébé Gaz ", ainsi que de son étiquetage, que celui-ci, composé d'extraits de fenouil et de plantes, est présenté comme destiné à améliorer le confort digestif en réduisant les gaz et la gêne intestinale qu'ils produisent ». Ces mentions affirment bien l’existence d’une relation entre le complément alimentaire litigieux et la santé, et constituent des allégations de santé. Cette analyse est conforme à l’interprétation retenue par la Cour de justice de l’Union qui comprend le terme « relation » de manière large. Cette relation peut n’être que suggérée comme dans le slogan publicitaire « Aussi important que le verre de lait quotidien ! » inscrit sur un fromage blanc qui a été considérée comme une allégation de santé (CJUE, 4e ch., 10 avr. 2014, aff. C-609/12, Ehrmann). Dans cette lignée, la Cour administrative d’appel retient que même si les laboratoires Ineldea ont entendu soumettre un nouvel étiquetage qui ne contenait explicitement aucune allégation de santé, le seul nom commercial du produit qui suggère une relation avec les coliques infantiles suffit pour retenir une telle qualification.

Aux termes des articles 13 et 14 du règlement n° 1924/2006, les allégations de santé ne peuvent être utilisées que si elles ont été autorisées. Deux régimes distincts sont mis en place selon que les allégations soient ou non relatives à la réduction d’un risque de maladie. Pour les allégations de santé fonctionnelles, le régime d’autorisation prévu à l’article 13 est simplifié et donne lieu à l’établissement d’une liste communautaire d’allégations recensées par le règlement (UE) n° 432/2012. Les allégations relatives à la réduction d’un risque de maladie sont quant à elles soumises à un régime plus strict d’autorisation individuelle prévu à l’article 14, reposant sur une évaluation très complète et rigoureuse proche de celle régissant les médicaments. Dans l’affaire « Bébé gaz », la promesse de réduction des gaz et la réduction des risques de coliques infantiles permet de conclure au rattachement à la deuxième catégorie d’allégations. Cela avait ainsi amené le tribunal administratif à considérer l’allégation comme thérapeutique en raison de la référence à une maladie. Mais surtout, peu importe en réalité que l’allégation de santé fasse référence ou non à la réduction du risque de maladie, car les allégations qui prennent pour cible les enfants en bas âge sont toutes soumises au strict régime de l’autorisation individuelle prévu par l’article 14 du règlement n° 1924/2006. La Cour précise ce point en rappelant que la décision administrative qui refuse d’enregistrer la déclaration de mise sur le marché du complément alimentaire suit ce raisonnement. Aucune allégation de santé faisant référence au développement et à la santé infantile ne peut être apposée sur une denrée alimentaire, et au cas particulier sur un complément alimentaire, sans solliciter l’autorisation accordée par la Commission européenne après évaluation scientifique de l’EFSA, conformément à l’article 14 du règlement. Cela traduit la volonté de préserver la santé des jeunes enfants qui constituent un public vulnérable. Sur ce point encore, les allégations litigieuses sont indubitablement en lien avec le développement et la santé infantile et cela n’est pas contesté par la société Ineldea. La dénomination du produit « Bébé gaz » mentionne les nourrissons et la marque ombrelle « Pediakid » est sans ambiguïté sur le public ciblé.

Ainsi tout est dans le nom du produit : mentionner le terme « Bébé » en lien avec la santé sur un complément alimentaire est interdit à défaut d’autorisation communautaire, a fortiori suivi de « gaz » ce qui se réfère à un risque de maladie. Dans un arrêt similaire de la Cour de cassation en date du 20 mars 2018 (n° 17-80.290), une allégation « recommandé chez le jeune enfant pour lutter en douceur contre les gaz » fût sanctionnée pénalement comme constitutive de pratique commerciale trompeuse. Il est donc étonnant qu’un tel avertissement n’ait pas été entendu par les laboratoires Ineldea.

La pertinence des compléments alimentaires pour les nourrissons : à quand l’interdiction ?

Cet arrêt illustre le décalage existant entre le strict encadrement des aliments spécifiquement destinés aux nourrissons et enfants en bas âges et les pratiques commerciales qui se déploient au sein du marché des compléments alimentaires. Distinctes des aliments courants, les denrées alimentaires destinées à la population infantiles sont régies par le règlement (UE) n° 609/2013 du 12 juin 2013 concernant les denrées alimentaires destinées aux nourrissons et aux enfants en bas âge, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales (DADFMS) et les substituts de la ration journalière totale pour contrôle du poids. Toutefois, s’agissant des allégations nutritionnelles et de santé, il n’existe pas de dispositions spéciales et c’est le régime commun instauré par le règlement n° 1924/2006 qui s’applique. Cela ne signifie pas pour autant que la vulnérabilité particulière des enfants n’est pas prise en compte, dès lors que les allégations infantiles sont soumises à un régime systématique d’autorisation individuelle pour toutes les allégations de santé, comme nous l’avons évoqué précédemment. Mais la lecture du règlement n° 609/2013 montre que la vraie question n’est pas uniquement de savoir si les allégations de santé ciblant les nourrissons sont licites, mais plus fondamentalement si la vente des compléments alimentaires destinés à ce public ne devrait pas être prohibée. En effet, règlement (UE) n° 2016/127 dispose qu’« Une préparation pour nourrissons est une denrée alimentaire qui est destinée aux nourrissons pendant les premiers mois de leur vie et qui répond à elle seule aux besoins nutritionnels de ces nourrissons jusqu'à l'introduction d'une alimentation complémentaire appropriée ». Les termes « à elle seule » démontrent clairement que pour les nourrissons avant la période de diversification (entre 4 et 6 mois), la supplémentation par les compléments alimentaires n’est pas pertinente. Un avis de l’Anses du 31 juillet 2024 relatif à la mise à jour de l’arrêté du 9 mai 2006 relatif aux nutriments pouvant être employés dans la fabrication des compléments alimentaires (Saisine n° 2023-SA-0165) conclut en ce sens en la jugeant « ni utile, ni recommandée ». S’agissant plus largement des enfants en bas âge de moins de 3 ans, l’avis relate l’existence de dépassement des limites supérieures de sécurité (LSS) pour de nombreux nutriments et indique que « Dans ce contexte, et sauf cas particuliers relevant d’une prise en charge médicale, il n’y a pas lieu de faire consommer des compléments alimentaires à cette population sur des prétextes nutritionnels ».

A l’occasion de la révision du décret de 2006 dont l’obsolescence est manifeste concernant les teneurs maximales de minéraux et de vitamines, le gouvernement pourrait être amené à interdire la vente libre de compléments alimentaires pour les enfants de moins de 3 ans. Cette solution serait de nature à limiter les appétits des opérateurs économiques qui ciblent cette population sensible.

Marine Friant-Perrot, Maître de conférences à l'université de Nantes
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