«Désormais, une société peut poser des questions assez précises à ses actionnaires sur leur identité»

«Désormais, une société peut poser des questions assez précises à ses actionnaires sur leur identité»

17.07.2022

Gestion d'entreprise

Avec la publication d'un décret le 16 juin dernier, les dispositions d'influence européenne sur l'identification des actionnaires sont finalement entrées en vigueur. Des textes anciens qui sont fondamentaux pour le pilotage de l'actionnariat. Le point avec Dominique Stucki, avocat associé chez Cornet Vincent Segurel.

Un décret relatif à l’identification des actionnaires, la transmission d’informations et la facilitation de l’exercice des droits des actionnaires a été publié au journal officiel le 16 juin. Il est pris pour application de la loi dite Ddadue II du 8 octobre 2021. 

Peut-on rappeler la genèse de ce décret ?

En 2007, l’UE avait souhaité favoriser l’exercice par les actionnaires individuels et professionnels de leurs droits avec l’adoption d’une directive européenne (directive 2007/36 du 11 juillet 2007). Cela concernait le droit de voter, d’inscrire des points à l’ordre du jour, de déposer des projets de résolutions, de poser des questions, etc. Dix ans plus tard, une nouvelle directive amendait le texte avec l’objectif d’assurer l’engagement à long terme des actionnaires (directive 2017/828 du 17 mai 2017) et elle traduisait un changement de paradigme : l’approche du législateur a alors consisté à encourager les investisseurs professionnels, notamment les gestionnaires d’actifs, à adopter une vision responsable à long terme. Plutôt que les activistes recherchant souvent des profits à court terme, ce sont les fonds ESG qui ont été favorisés par cette nouvelle démarche. Ainsi, depuis la transposition de ce texte en droit français (notamment au travers de la loi PACTE) et l’adoption de textes européens d’application immédiate (règlements SFDR et taxonomie notamment), les actionnaires ont été invités à s’engager plus clairement dans la gouvernance et le périmètre des informations dont ils sont destinataires s’est progressivement élargi. En parallèle, les dirigeants de sociétés se sont vus accorder les moyens de savoir avec qui ils étaient appelés à partager le pouvoir, et ce au travers de mécanismes renforcés d’identification de ses actionnaires.

Ainsi, c’est notamment en vue de favoriser le dialogue actionnarial que le décret n° 2022-888 du 14 juin 2022 relatif à l’identification des actionnaires, la transmission d’informations et la facilitation de l’exercice des droits des actionnaires a été adopté. Il s’agit d’un texte d’application d’une loi du 8 octobre 2021 (loi Ddadue II) qui parachève la démarche législative d’influence européenne ayant eu pour vocation de permettre ce dialogue actionnarial entre émetteurs et investisseurs.

Que prévoit ce texte ?

Désormais, une société peut poser des questions assez précises à ses actionnaires sur leur identité. Le but est de savoir à qui elle s’adresse et de pouvoir leur adresser une convocation à une assemblée générale, par exemple. Ce décret permet l’entrée en vigueur effective de deux textes de lois relativement anciens codifiés au code de commerce (articles L 228-2 et L 228-3) en 2019 et 2021. L’article L 228-2 pose le principe suivant : une société dont les statuts prévoient la possibilité de demander un certain nombre d’information sur les propriétaires des titres indique les modalités de cette demande d’information émanant de l’émetteur à destination des actionnaires directement ou indirectement (via un tiers comme un intermédiaire ou le dépositaire central). Ce principe était prévu dans la loi mais pas ses modalités qui sont désormais précisées par le décret. On connait désormais les questions que la société peut poser et les délais dans lesquels les réponses doivent lui être fournies. Si la société l’a prévu dans ses statuts, elle peut donc s’adresser au dépositaire central (Euroclear) ou aux intermédiaires (aux teneurs de compte inscrits au code Euroclear) pour leur demander de révéler l’identité de ses actionnaires. Le décret précise que la société peut obtenir notamment : le nom, l’adresse, la manière dont les actionnaires détiennent leurs actions, depuis quand ils les détiennent (ce qui est intéressant pour suivre les déclarations de franchissement de seuils ou des opérations d’offres publiques rampantes en voie de préparation). Toutes ces informations, la société peut expressément les demander et les obtenir. Cela lui permet notamment d’identifier des actions de concert de la part des actionnaires existants et de nouveaux actionnaires.

La loi indiquait que le décret préciserait des règles sur les délais de transmission de ces informations. Le décret renvoie sur ce point à un règlement européen d’exécution datant de 2018 (règlement 2018/1212). Grosso modo, l’intermédiaire, une fois qu’il a reçu la demande de transmission d’information, a un jour pour la communiquer à la société.

Néanmoins, si cela n’a pas été prévu dans les statuts, l’article L 228-3 précise que dans le cas où la société a émis des titres de formule nominative, l’intermédiaire doit communiquer les informations concernant les propriétaires des titres à la demande de la société. S’agissant uniquement des actionnaires en nominatif, la société peut donc obtenir l’information de l’identité cachée derrière une personne qui apparaît sur son registre. Cela semble assez naturel. Les mêmes éléments que ceux mentionnés plus haut peuvent alors être obtenus à la demande de la société. C’est le même article du décret qui vise les deux dispositions.

Le décret rappelle également la possibilité pour les actionnaires de solliciter une confirmation de réception des différentes informations communiquées. Mais l’essentiel de cela a déjà été abordé par d’autres textes.

Pourquoi est-ce important cette identification des actionnaires ? Quand faut-il la solliciter ?

Pour la direction juridique d’une société cotée notamment, c’est le moyen de piloter l’actionnariat. Les textes de lois avaient besoin de ce décret d’application.

Une des périodes clés, est la préparation de l’assemblée générale. Cela permet de savoir à qui on va avoir à faire avec les questions orales et écrites susceptibles d’être posées. En dehors de ces périodes, il est aussi important d’identifier qui sont les actionnaires si on a le sentiment qu’il peut y avoir des mouvements importants dans l’actionnariat. Les prises de participation rampantes, notamment par voie d’action de concert, peuvent avoir lieu à n’importe quel moment de l’année. Les déclarations de franchissement de seuils qui sont prévues par la loi ou dans les statuts sont des alertes intéressantes. Toutefois, pour vérifier que des seuils sont franchis soit individuellement soit de concert, le mieux c’est de savoir à qui on a à faire. Depuis longtemps existe la possibilité de demander des relevés de TPI (titre au porteur identifiable), ce qui permet de savoir qui se cache derrière le titre au porteur. Ce relevé TPI est généralement demandé avant les AG mais également à des périodes clés où des opérations sont potentiellement en préparation. De même, lorsque la société elle-même prépare des opérations sensibles, elle peut vouloir vérifier précisément si une personne a pu - pendant une période donnée - bénéficier d’une information privilégiée. C’est donc un bon moyen de prévention des abus de marché si on a des soupçons sur le fait que l’information ait pu filtrer par ailleurs. Le décret va renforcer cette dynamique.

Grâce à ce décret, on va pouvoir avoir une information plus précise sur les titres aux porteurs. On bénéficiera d’un nom mais aussi d’autres informations telles que le siège social ce qui permet potentiellement de faire des recoupements lorsqu’on a à faire à une filiale ou à une entité ad hoc qui a été constituée pour acquérir des titres. L’ensemble des informations que l’on va obtenir grâce à ce décret va permettre de mieux cerner les actionnaires que l’on aurait eu du mal à identifier par le passé malgré un relevé de TPI.

Ce décret parachève la transposition d’un texte qui change l’optique de la relation entre actionnaires et émetteurs. On dispose désormais d’un dispositif assez complet qui permet l’engagement actionnarial et le dialogue. Le législateur européen et français ont ainsi mis tous les outils à disposition des acteurs pour que règne une transparence et une confiance totale entre eux. Ceci permet probablement de rendre les sociétés et leurs investisseurs plus responsables de leurs actions. 

 

 

propos recueillis par Sophie Bridier

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