Accouchement sous X : le droit français est conforme à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme

02.02.2024

Droit public

La France n'a pas violé la Convention européenne des droits de l'homme en refusant de dévoiler à une personne née sous X l'identité de sa mère biologique.

Vingt ans après l’affaire Odièvre, cet arrêt est important parce qu’il donne à la Cour européenne des droits de l'homme l’occasion de préciser où se situe, selon elle, dans un conflit direct entre la mère et l’enfant, le point d’équilibre entre le droit pour la mère de préserver le secret de son identité, et le droit pour l’enfant de connaître ses origines. La Cour ne remet pas en cause la possibilité pour les États concernés de prévoir la faculté pour les femmes d’accoucher dans l’anonymat, mais elle juge nécessaire qu’ils organisent, en présence d’un tel système d’anonymat, une procédure permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de la mère, sous réserve de l’accord de celle-ci, et de demander des informations non identifiantes sur ses origines. La Cour valide ainsi la finalité poursuivie par le droit français, à savoir la réalisation d’un compromis entre les droits et intérêts en jeu par le biais d’une procédure de conciliation visant à faciliter l’accès aux origines sans pour autant renier l’expression de la volonté et du consentement de la mère.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Depuis vingt ans le contexte a changé

Abandonnée par sa mère à sa naissance en 1952 et adoptée peu de temps après, la requérante n’a découvert que bien plus tard les circonstances de sa naissance, en 2008, au décès du deuxième de ses parents adoptifs. Cette même année, elle a adressé au Conseil national de l’accès aux origines personnelles (CNAOP) une demande visant à connaître l’identité de ses parents biologiques et elle a formulé également plusieurs questions concernant la nationalité de sa mère, les antécédents médicaux de sa famille et l’existence de frères ou sœurs biologiques. Le CNAOP parvint à localiser la mère, qui confirma l’identité du père et répondit aux questions précitées posées par la requérante, mais exprima, comme l’y autorise l’article L. 147-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF), sa volonté de préserver le secret de son identité, « maintenant et après son décès ». Malgré son insistance, la requérante ne put obtenir davantage, le CNAOP lui indiquant qu’il ne pouvait passer outre le refus de sa mère de lever le secret de son identité. Elle obtint cependant de la part de l’association « Entraide des femmes françaises », un dossier anonymisé lui apportant des éléments sur ses parents de naissance et les circonstances de son abandon, mais occultant tout renseignement identifiant.

Son recours contre la décision du CNAOP fut rejeté successivement par le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et la cour administrative d’appel de Paris. Le Conseil d’État rejeta également son pourvoi en cassation, considérant que les dispositions légales « organisent la possibilité de lever le secret de l’identité de la mère de naissance, en permettant de solliciter la réversibilité du secret de son identité sous réserve de l’accord de celle-ci, et définissent ainsi un équilibre entre le respect dû au droit à l’anonymat garanti à la mère lorsqu’elle a accouché et le souhait légitime de l’enfant né dans ces conditions de connaître ses origines » (CE, 16 oct. 2019, n° 420230, D. 2019, p. 2299, obs. L. Carayon, AJ fam. 2019, p. 654, obs. M. Saulier, et 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse, Droit de la famille 2019, comm. 237, note H. Fulchiron, RDSS 2019, p. 1101, note F. Monéger, RTD civ. 2020, p. 75, obs. A. M. Leroyer).

La requérante a saisi la Cour européenne des droits de l'homme en soutenant que le refus opposé à sa demande méconnaissait son droit d’accès aux origines garanti par l’article 8 de la Convention. Plus précisément, elle a invoqué la situation minoritaire de la législation française relative à l’accouchement sous X et l’existence d’un large consensus européen en faveur d’un droit à l’identité. Elle a insisté sur l’évolution du contexte depuis l’arrêt Odièvre (CEDH, grande ch., 13 févr. 2003, aff. 42326/98, Odièvre c/ France, JCP G 2003, II, n° 10049, note A. Gouttenoire et F. Sudre, Dr. famille 2003, n° 58, obs. P. Murat, RTD civ. 2003, p. 276, obs. J. Hauser) et a soutenu que la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État ne ménageait pas un juste équilibre entre les intérêts en cause, car elle subordonne « le droit d’accès aux origines à la décision unique de la mère ».

Rappel des arrêts antérieurs

Le Cour rappelle que l’article 8 de la Convention protège le droit à l’identité et, à ce titre, le droit d’obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de son géniteur. Elle rappelle également l’application qu’elle a faite de ces principes dans les précédents arrêts Odièvre (préc.) et Godelli (CEDH, 25 sept. 2012, aff. 33783/09, Godelli c/ Italie, D. 2013, p. 804, obs. M. Douchy-Oudot, AJ Famille 2012, p. 554, obs. F. Chénedé, RTD civ. 2013, p. 104, obs. J. Hauser). Dans l’arrêt Odièvre, elle a considéré que la législation française tentait d’atteindre « un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause » et a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention eu égard à la marge d’appréciation qu’il convenait de reconnaître à l’État pour réglementer la question. À l’inverse, dans l’arrêt Godelli, la Cour a jugé la législation italienne non conforme à l’article 8, au motif qu’elle ne ménageait aucun équilibre entre « les droits et intérêts » concurrents en cause, car elle donnait à l’intérêt de la mère qui souhaitait garder l’anonymat une « préférence aveugle » en l’absence de toute possibilité donnée à l’enfant adopté et non reconnu de demander, soit l’accès à des informations non identifiantes sur ses origines, soit la réversibilité du secret.

Application au cas d’espèce. Mise en balance des droits en présence

S’agissant du cas présent, la Cour considère que la décision du CNAOP de ne pas communiquer à la requérante l’identité de sa mère biologique et de lui opposer la volonté de cette dernière, doit être examinée sous l’angle des obligations négatives. Cela aboutit à une ingérence dans la vie privée qui est prévue par la loi pour protéger les droits de la mère biologique, mais dont il reste à savoir si elle est proportionnée au but visé (§ 57).

Sur ce point, la Cour estime qu’il convient de reconnaître aux États une marge d’appréciation importante. Les droits en cause touchent tous deux à des intérêts privés, et la question de l’accouchement sous X continue de soulever des questions éthiques délicates (§ 68). Mais d’un autre côté, elle observe que cette marge d’appréciation se trouve réduite par le fait que la recherche des origines touche à un aspect particulièrement important de l’identité et que la position de la France à propos de l’accouchement sous X reste minoritaire (§ 69). Certes, le secret autour de l’accouchement est admis dans plusieurs États européens (Autriche, Luxembourg, Slovaquie, Italie) et des pratiques similaires existent dans d’autres États. Mais la reconnaissance de l’accouchement secret y est moins poussée qu’en France. En République tchèque, la confidentialité quant aux données nominatives sur la mère biologique est temporaire. Et en Italie, les pratiques ont sensiblement évolué depuis la condamnation prononcée à son encontre dans l’arrêt Godelli.

Procédant à une mise en balance des intérêts en présence, entre d’un côté le droit de la requérante à connaître sa mère biologique et, de l’autre, les droits et les intérêts de cette dernière à maintenir son anonymat, la Cour remarque que les juridictions françaises ont validé le système mis en place par la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, qui prévoit une réversibilité du secret. Au-delà des décisions rendues par les juridictions administratives dans la présente affaire, le Conseil constitutionnel par une décision du 16 mai 2012 a déclaré que les dispositions des articles L. 147-6 et L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles étaient conformes à la Constitution, en ce qu’elles visent à assurer le respect de la volonté exprimée par la mère de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l’accouchement, tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines personnelles. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant (Cons. const., déc., 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC, D. 2013, p. 1242, obs. D. Roman, p. 1436, obs. F. Granet, AJ Famille 2012, p. 406, obs. F. Chénedé, Dr. famille 2012, comm. 120, note C. Neirinck, RJPF 2012-6/17, note M.-C. Le Boursicot, RTD civ. 2012, p. 520, obs. J. Hauser).

La Cour européenne des droits de l'homme souligne aussi que la conciliation des intérêts en cause est extrêmement délicate (§ 72). D’un côté, accoucher dans le secret ou consentir à lever ce secret sont des actes très personnels, « et il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’une telle levée pourrait avoir sur la vie privée de la mère de son vivant ou celle de son entourage ». D’un autre côté, « la douleur que peut causer le maintien du secret, alors même que l’enfant devenu adulte sait sa mère de naissance en vie, doit être prise au sérieux ».

Mais elle précise (§ 76) où se situe selon elle le point d’équilibre. L’équilibre est juste et raisonnable si le requérant peut tenter d’obtenir la réversibilité du secret et peut avoir accès à des données non identifiantes sur sa mère biologique. Il ne l’est pas lorsque le droit de l’État concerné n’offre pas de recours pour tenter d’obtenir la réversibilité du secret ni la possibilité de solliciter des informations non identifiantes sur son histoire. La Cour ne remet donc pas en cause la possibilité pour les États concernés de maintenir la faculté pour les femmes d’accoucher dans l’anonymat, mais elle juge nécessaire qu’ils organisent, en présence d’un tel système d’anonymat, une procédure permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de la mère et de demander des informations non identifiantes sur ses origines. Elle souligne à ce sujet les avancées que l’action du CNAOP a permises en faveur des personnes nées sous X (§ 78).

En l’espèce, elle estime que cet équilibre n’a pas été rompu. Le CNAOP a recueilli un certain nombre d’informations non identifiantes qu’il a transmises à la requérante. Il a par ailleurs effectué des démarches auprès de sa mère biologique qui a été informée du dispositif d’accès aux origines personnelles et de la possibilité de toujours revenir sur sa décision en reprenant contact avec lui. La requérante a ensuite bénéficié d’une procédure juridictionnelle devant les juridictions internes au cours de laquelle elle a pu faire valoir ses arguments de manière contradictoire. La Cour ne sous-estime pas l’impact que le refus litigieux peut avoir sur la vie privée de la requérante, mais elle considère, que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de se départir de la solution retenue par le juge interne.

Par six voix contre une, elle juge in fine qu’il n’y a pas violation de l’article 8.

Un équilibre fragile

Le satisfecit donné au droit français sur la possibilité pour la femme d’accoucher de façon anonyme, possibilité aujourd’hui inscrite dans le code civil (C. civ., art. 326) ne doit pas masquer la fragilité de l’équilibre sur lequel il repose.

Assurément, le législateur français a fait des efforts pour ménager les intérêts en présence. La Cour européenne des droits de l'homme l’avait déjà relevé dans l’arrêt Odièvre, au travers de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État. Et la pratique suivie depuis par le CNAOP conforte ce sentiment (CNAOP, Rapport d’activité 2022, mars 2023, https://www.cnaop.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_activite_2022.pdf). Le nombre d’accouchements dans le secret n’a cessé de diminuer depuis 2011 : 605 en 2011, 463 en 2019, 518 en 2020, 390 en 2021, 209 en 2022. Depuis 2002, le CNAOP a enregistré 12 766 dossiers et 12 118 ont été clôturés. Le CNAOP a pu communiquer l’identité des parents de naissance pour 3 831 demandes, soit en raison du consentement du parent de naissance à la levée du secret de son identité (1150), soit en raison du décès du parent de naissance sans que ce dernier ait exprimé de volonté contraire à l’occasion d’une demande d’accès aux origines (1309), soit en raison de l’absence de demande de secret lors de la naissance ou lors de la remise de l’enfant (1372). Les déclarations d’identité spontanées restent peu nombreuses (324) et dans 1367 cas le CNAOP s’est heurté à un refus de lever le secret (mais 97 ont accepté un échange de courrier, et 53 ont consenti à une rencontre anonyme).

Il convient d’ajouter que le législateur français est intervenu de façon ponctuelle pour assouplir voire forcer parfois le cadre du secret. La loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation a supprimé, à l’article 325 du code civil, la fin de non-recevoir opposable à l’action en recherche de maternité en cas d’accouchement sous X. On sait que cette disposition quelque peu hypocrite, mais symbolique, a été motivée à l’époque par la crainte d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme. Plus récemment, la loi n° 2021-2017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a apporté une modification ponctuelle au régime mis en place par la loi du 22 janvier 2002, en donnant compétence au CNAOP pour organiser un dispositif spécifique lorsqu’est diagnostiquée, chez une personne née dans le secret ou chez une mère qui a accouché dans le secret, une anomalie des caractéristiques génétiques (CASF, art.  L. 147-2, 5°).

Il n’empêche que la situation paraît loin d’être stabilisée, dans un contexte social extrêmement volatil où le droit à la connaissance de ses origines ne cesse de monter en puissance. Dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, la loi no 2021-1017 du 2 août 2021 précitée a apporté un changement important en reconnaissant expressément aux enfants nés d’une AMP avec donneur, le droit d’accéder à compter de leur majorité aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur (C. santé publ., art. L. 2143-1). Le code civil a été complété en ce sens par un article 16-8-1. Désormais, les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou d’embryon doivent consentir préalablement à la communication de données qui les concernent et de leur identité. À défaut, le don n’est pas possible (C. santé publ., art. L. 2143-2). La conservation des données est assurée par l’Agence de la biomédecine (C. santé publ., art. L. 2143-4) et les demandes d’accès aux données doivent être adressées à une commission spéciale, la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD) (C. santé publ., art. L. 2143-6). La loi a organisé, en outre, un régime spécifique pour les enfants issus d’AMP réalisées à partir de dons effectués antérieurement à cette date, qui a certes été validé par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 7 sept. 2023, aff. 21424/16 et 45728/17, Gauvin-Fournis et Silliau c. France, D. actualité 2 oct. 2023, obs. D. Vigneau, AJ fam. 2023, p. 518, obs. M. Saulier, Dr. fam. 2023, comm. 161, note J.-R. Binet) laquelle a estimé que l’on ne pouvait reprocher au législateur français d’avoir tardé à consentir la levée de l’anonymat des donneurs. Mais cela n’a pas mis fin aux critiques, et l’on devine que d’autres recours sont à prévoir (D. Krzisch, Les droits fantomatiques des personnes nées d’une PMA dont le tiers donneur est décédé. Sur l’application de la loi Bioéthique de 2021 par la CAPADD, LPA janv. 2024, p. 27).

Dans le présent arrêt, la Cour jette d’ailleurs une ombre sur la possibilité pour la mère recherchée de refuser que son identité soit communiquée après son décès, ce qu’elle avait fait en l’espèce. La Cour ne se prononce pas, mais elle reconnaît que cela pose une question particulière au regard de la conciliation des droits et intérêts, car son choix de l’anonymat dans cette situation pourrait peser d’un poids différent dans la balance (§ 73). Le satisfecit accordé ne l’est donc pas pour solde de tout compte.

À cela il faut ajouter les assauts répétés résultant de propositions de lois mettant en avant l’intérêt de l’enfant et ayant toutes pour objectif de faire sauter le verrou de l’anonymat, du moins sur demande de l’enfant après sa majorité (Proposition de loi instaurant un accouchement dans la discrétion, Ass. Nat., n° 3224, 28 juin 2006 ; Proposition de loi visant à la levée de l’anonymat, et à l’organisation de l’accouchement dans le secret, Ass. Nat. n° 4043, 7 déc. 2011 ; Proposition de loi visant à créer un accouchement protégé et permettant l’accès aux origines personnelles, Ass. Nat n° 522, 20 déc. 2017 ; v. également les propositions formulées dans le rapport I. Théry et A.-M. Leroyer, Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, 2014, p. 264 s.).

Il est donc peu probable que le compromis du droit français validé par la Cour européenne des droits de l'homme satisfasse ceux qui estiment que le droit à la connaissance de ses origines devrait prévaloir sur la volonté d’anonymat de la mère. Mais pour l’heure, il reste conforme au droit européen.

Jean-Jacques Lemouland, professeur des universités, CERFAPS (EA 4600 Université de Bordeaux)
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