Annulation des décisions de soins psychiatriques illégales : quel est le juge compétent ?

28.01.2019

Droit public

Une cour administrative d'appel estime que le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur le refus de retrait par l'administration d'une décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement déclarée illégale par le juge judiciaire, alors que la Cour de cassation refuse également de reconnaître à ce même juge judiciaire le pouvoir d'annuler cette décision.

Lorsque le juge judiciaire a déclaré illégale une décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement et prononcé la mainlevée de celle-ci, à qui peut-on demander l’annulation de cette décision ? En 2016 (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, no 15-16.233), la Cour de cassation avait répondu que cette demande excède les pouvoirs du juge judiciaire. Puis, en 2018 (Cass. 1re civ., 25 janv. 2018, n° 17-40.066 QPC), elle avait été saisie d’une QPC qui soulignait l’incohérence qu’il y a à refuser au juge judiciaire ce pouvoir, puisque cela laisserait perdurer formellement dans l’ordre juridique une décision déclarée non conforme à la légalité par le juge judiciaire lui-même. Refusant de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation indiquait au demandeur qu’il lui appartenait plutôt, pour obtenir suppression de la décision illégale pour le passé, de se retourner vers son auteur (directeur d’établissement ou préfet, selon les cas) afin de lui en demander le retrait sur le fondement de l’article L. 242-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Cette solution laissait cependant perplexe pour différentes raisons.
Le retrait n’est pas une solution logique
D’abord, l’article L. 242-4 du CRPA prévoit que « sur demande du bénéficiaire de la décision, l'administration peut, selon le cas et sans condition de délai, abroger ou retirer une décision créatrice de droits, même légale, si son retrait ou son abrogation n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers et s'il s'agit de la remplacer par une décision plus favorable au bénéficiaire. » Or, une personne ayant fait l’objet d’une décision d’admission qui en demande le retrait répond-elle aux conditions énoncées par ce texte ? En effet, il ne s’agit pas véritablement de remplacer la décision par une autre « plus favorable » mais simplement de la supprimer. Ce cadre juridique ne paraît donc déjà pas totalement adéquat.
 
Ensuite, le retrait, dans l’article L. 242-4 du CRPA, n’est pas obligatoire pour l’administration qui peut refuser de satisfaire la demande. Autrement dit, l’administration n’est pas tenue de retirer sa décision quand bien même le juge judiciaire l’aurait déclarée illégale. L’article L. 242-3 du CRPA prévoit une obligation de retrait en cas de décision administrative illégale, mais en ce cas la demande doit intervenir dans un délai de 4 mois à compter de la prise de l’acte.
 
Enfin et surtout, le refus de retrait de la décision d’admission est lui-même une décision administrative qui peut à son tour être contestée. Dès lors, qui est le juge compétent : judiciaire ou administratif ? La Cour de  cassation a implicitement écarté la compétence du premier par un a fortiori de toute évidence : puisque, selon elle, il ne peut annuler une décision administrative d’admission en soins illégale, encore moins serait-il compétent pour annuler une décision administrative de refus de retrait de cette décision d’admission.
Le juge administratif est incompétent pour statuer sur la demande d’annulation du refus de retrait
Resterait alors le juge administratif mais c’est cette voie qu’une ordonnance de la cour administrative d’appel de Bordeaux a récemment décidé de fermer. Certaines juridictions administratives avaient d’ailleurs déjà considéré que c’est bien le juge judiciaire qui a le pouvoir d’annuler une décision d’admission en soins illégale (CAA Marseille, 3 juill. 2013, ord., no 13MA01128). A son tour, la juridiction bordelaise, confrontée à une requête visant à l’annulation d’une décision de refus de retrait d’une  décision d’admission en soins déclarée illégale par le juge judiciaire, décide que le juge administratif n’est pas compétent pour l’examiner. Pour motiver cette décision confirmant la décision du 1er degré (TA Toulouse, 25 oct. 2018, ord., n° 1804672), la cour cite l’article L. 3216-1 du code de la santé publique issu de la loi du 5 juillet 2011 dont l’alinéa 1 dispose que « la régularité des décisions administratives [en matière de soins psychiatriques sans consentement] ne peut être contestée que devant le juge judiciaire ». Elle considère ensuite que, depuis l’entrée en vigueur de ce texte au 1er janvier 2013, « il n’appartient plus à la juridiction administrative de connaître d’un litige relatif à la légalité des décisions d’admission ou de maintien [en soins psychiatriques sans consentement], lesquelles doivent être désormais contestées devant le juge judiciaire. Il en va de même des litiges concernant la légalité des refus de retirer de telles décisions ». Auparavant, le contentieux était réparti entre le juge judiciaire qui contrôlait l’opportunité de la décision d’admission et le juge administratif qui contrôlait sa légalité formelle. Ce système, créateur de complications pour les justiciables, avait été critiqué par la CEDH (CEDH, 18 nov. 2010, n° 35935/03, Baudoin c. France), ce qui avait motivé l’unification du contentieux au profit du juge judiciaire.
La compétence du juge judiciaire pour prononcer l’annulation serait opportune
Dans l’affaire tranchée à Bordeaux, le requérant avait, dans ses écritures, soulevé la jurisprudence de la Cour de cassation évoquée plus haut pour montrer sa volonté de se plier à celle-ci mais la cour administrative d’appel n’a pu le suivre. Il semble difficile de le lui reprocher car elle ne fait que tirer les conséquences qui s’évincent logiquement de l’article L.3216-1 du code de la santé publique. La situation se résumerait donc ainsi : le juge judiciaire ne veut pas se reconnaître le pouvoir d’annuler la décision d’admission en soins illégale, mais le juge administratif ne peut plus se le reconnaître. Sauf bien sûr à ce que le Conseil d’Etat, en cas d’exercice d’une voie de recours contre la décision bordelaise, invalide cette dernière mais on se demande quels arguments il pourra mettre en œuvre pour justifier une telle solution tant la rédaction de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique semble laisser peu de marge de manœuvre.
 
Cet imbroglio est imputable à la Cour de cassation qui donne dans sa jurisprudence une nouvelle illustration de sa traditionnelle réticence à laisser le juge judiciaire pénétrer dans le contrôle de l’action administrative, quand bien même la loi lui attribue un pouvoir de surveillance d’opérations de l’administration privatives ou restrictives de liberté. Cette tendance est observée notamment dans le contentieux de la rétention administrative des étrangers pour lequel la Cour de cassation a ainsi, au visa du principe de séparation des pouvoirs, refusé au juge judiciaire le pouvoir de déclarer « nul » un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière servant de base à une mesure de rétention (Cass. civ., 2ème, 24 oct. 1990, n° 89-12269). Cela peut se justifier car, en matière de contentieux des étrangers, le juge administratif est encore compétent pour prononcer l’annulation des décisions illégales et l’on ne comprendrait pas que deux ordres juridictionnels distincts puissent exercer concurremment cette fonction. Cependant, en matière de soins psychiatriques l’argument n’opère pas puisque, comme le souligne la cour administrative d’appel de Bordeaux, le juge administratif est totalement exclu du jeu au profit du juge judiciaire depuis le 1er janvier 2013. Certes, le Conseil constitutionnel a autrefois fixé un principe de compétence réservée du juge administratif pour annuler ou réformer des décisions prises par des personnes publiques dans l’exercice de prérogatives de puissance publique (Cons. const., 23 janv. 1987, n° 86-224 DC). Mais il a pris soin d’énoncer que ce principe connaît deux exceptions : les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire et les exigences de bonne administration de la justice. Le Conseil constitutionnel lui-même, s’agissant des matières réservées au juge judiciaire, a souligné que celui-ci a, sur le fondement de l’article 66 de la Constitution qui le rend garant des libertés individuelles, pour mission de contrôler la légalité des mesures d’hospitalisation psychiatrique contraintes (Cons. const., 26 nov. 2010,  n° 2010-71 QPC ; Cons. const., 9 juin 2011,  n° 2011-135/140 QPC). Quant aux exigences de bonne administration de la justice, on affirmera, à tout le moins, que la situation actuelle en vertu de laquelle aucune juridiction ne serait compétente n’y répond assurément pas.
Un contentieux qui n’est pas sans incidences concrètes
Rechercher la suppression de la décision pour le passé – retrait ou annulation – n’est pas un simple combat pour l’honneur. Certes, l’indemnisation due à la personne au titre de l’illégalité de la décision compense certains effets passés de la mesure mais ne remet pas les choses en l’état. Ainsi, en cas de suppression de la décision pour le passé, il serait logique que l’administration soit tenue de supprimer tous les éléments entrés dans la base de données nationale Hopsyweb qui enregistre les informations relatives aux personnes faisant l’objet de mesures de soins psychiatriques sans consentement (D. n° 2018-383, 23 mai 2018 : JO, 24 mai). Ces données, conservées durant une durée de 3 ans, sont consultables par les autorités administratives et judiciaires. Or cette suppression des données n’est pas attachée à la simple mainlevée : seule une décision de suppression de la mesure de soins pour le passé pourrait avoir logiquement pour effet de l’entraîner. De même, la persistance de la décision d’admission peut faire obstacle à l’octroi de certaines prérogatives. Ainsi, l’article R. 312-4 du code de sécurité intérieure soumet les demandes d'autorisation de détention d’arme à feu à la fourniture d’un « certificat médical […] lorsque le demandeur suit ou a suivi un traitement dans le service ou le secteur de psychiatrie d'un établissement de santé » dont l’objet est d’attester que l'état de santé du demandeur de l’autorisation est compatible avec la possession d'une telle arme. La suppression de la décision d’admission en soins pour le passé devrait théoriquement effacer toute trace d’antécédent psychiatrique et exclure le pétitionnaire du champ d’application de ce texte.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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