Conjoint du citoyen de l'Union : quand le droit au séjour dépend de la garde des enfants

17.08.2016

Droit public

Dès lors qu'il conserve la garde des enfants communs, qui ont la nationalité d'un pays de l'Union européenne et entament une scolarité dans l'État d'accueil, le ressortissant d'État tiers dispose d'un droit au séjour malgré le départ de son conjoint, citoyen de l'Union, et de leur divorce postérieur.

Dans un arrêt du 30 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge qu’en vertu de l’article 12 de l’ancien règlement n° 1612/68 du 12 octobre 1968 (abrogé par le règlement n° 492/2011 du 5 avril 2011, art. 10), les enfants et le parent ressortissant de pays tiers qui en a la garde exclusive bénéficient d’un droit de séjour dans l’État membre d’accueil, lorsque l’autre parent, citoyen de l’Union, a travaillé dans cet État membre mais a cessé d’y résider avant que les enfants n’y commencent leur scolarité.
Restriction en cas de divorce après le départ du citoyen de l’Union
Saisie de plusieurs questions préjudicielles par une juridiction britannique, la CJUE devait en premier lieu se prononcer sur la possibilité pour un ressortissant de pays tiers de conserver son droit au séjour après le départ de son conjoint, citoyen de l’Union ayant exercé son droit à la libre circulation alors que la procédure de divorce a été postérieure à ce départ, dans l’hypothèse particulière ou le ressortissant de pays tiers avait été victime de violences conjugales.
Remarque : dans le cas d’espèce, un ressortissant allemand, marié à une Pakistanaise (relation de laquelle deux enfants sont nés) et résidant au Royaume-Uni avait quitté ce pays après y avoir exercé une activité professionnelle pendant deux ans. Quelques mois après ce départ, une procédure de divorce avait été engagée dans le pays d’accueil, et la mère, qui avait été victime de plusieurs actes de violences domestiques, avait obtenu la garde exclusive des enfants.
A ce titre, l’article 13, paragraphe 2 de la directive 2004/38 dispose que le divorce n’entraîne pas la perte du droit au séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre « c) lorsque des situations particulièrement difficiles l’exigent, par exemple le fait d’avoir été victime de violence domestique ».
 
Afin de préciser les conditions d’application de cette disposition, la Cour rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle, lorsque le citoyen de l’Union quitte l’État membre d’accueil avant la date du début de la procédure judiciaire de divorce, le droit de séjour dérivé du conjoint ressortissant de pays tiers ne peut pas être maintenu (CJUE, grande chambre, 16 juill. 2015, aff. C-218/14, Singh). Aux yeux du juge, « le départ du conjoint citoyen de l’Union a déjà entraîné la perte du droit de séjour du conjoint ressortissant d’un État tiers [...]. Or, une demande de divorce ultérieure ne peut pas avoir pour effet de faire renaître ce droit, dès lors que l’article 13 de la directive 2004/38 évoque seulement « le maintien » d’un droit de séjour existant ».
 
Transposant ces principes à l’espèce, et au regard des considérants et du texte même de la directive, la Cour juge que, même « lorsque, comme dans l’affaire au principal, un ressortissant d’un État tiers a été victime durant son mariage d’actes de violence domestique commis par un citoyen de l’Union dont il est divorcé, ce dernier doit séjourner dans l’État membre d’accueil, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38, jusqu’à la date du début de la procédure de divorce, afin que ledit ressortissant soit fondé à se prévaloir de l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), de cette directive ».
Le droit au séjour des enfants scolarisés dans le pays membre d’accueil
A défaut de bénéficier d’un maintien d’un droit au séjour en vertu de la directive 2004/38, la question était posée à la Cour de savoir s’il pouvait exister un droit au séjour dérivé d’un éventuel droit au séjour des enfants du citoyen de l’Union, eux-mêmes citoyens de l’Union restés sur le territoire du pays d’accueil. On notera que, dans le cas présent, les enfants avaient commencé leur scolarité après le départ du citoyen de l’Union qui a exercé son droit à la libre circulation.
 
A plusieurs occasions, la Cour a jugé qu’en vertu de l’article 10 du règlement n° 492/2011 du 5 avril 2011, les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre, sont admis aux cours d’enseignement général d’apprentissage ou de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les nationaux de cet État.
 
Cet article vise à assurer que ces enfants peuvent exercer leur droit d’accès à l’enseignement, y compris lorsque le travailleur citoyen de l’Union n’exerce plus une activité salariée dans l’État membre d’accueil. Ce droit ne dépend donc pas de la circonstance que leur père ou mère conserve la qualité de travailleur migrant dans cet État (CJUE, grande chambre, 23 févr. 2010, aff. C-480/08, Teixeira).
 
Par voie de conséquence, un droit de séjour (qui trouve son fondement dans l’article 10 du règlement n° 492/2011) doit être reconnu à ces enfants indépendamment du droit au séjour de leurs parents. Aussi, peu importe que le parent travailleur migrant réside encore dans l’État membre d’accueil à la date à laquelle l’enfant entame sa scolarité, ou que ce parent demeure présent dans cet État au cours de cette scolarité.
 
Surtout, ce droit de séjour autonome des enfants implique un droit de séjour correspondant en faveur du parent qui en assure la garde, une issue contraire pouvant être de nature à priver les enfants d’un droit qui leur est reconnu par le législateur de l’Union.
Droit au séjour sur la base du droit primaire ?
La Cour devait encore se prononcer sur un éventuel droit au séjour des membres de famille d’un citoyen de l’Union, non sur la base du droit dérivé (voir ci-dessus) mais du droit primaire, et plus précisément des articles 20 et 21 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
 
A ce titre, la Cour a déjà jugé que l’article 20 du TFUE s’oppose à des mesures nationales ayant pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union (CJUE, grande chambre, 8 mars 2011, aff. C-34/09, Zambrano).
 
Toutefois, la Cour rappelle que ce principe « revêt un caractère très particulier en ce qu’il vise des situations dans lesquelles, en dépit du fait que le droit secondaire relatif au droit au séjour des ressortissants d’États tiers n’est pas applicable, un droit de séjour ne saurait, exceptionnellement, être refusé à un ressortissant d’un État tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, sous peine de méconnaître l’effet utile de la citoyenneté de l’Union dont jouit ce dernier si, comme conséquence d’un tel refus, ce citoyen se voyait obligé, en fait de quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble ». Or, tel n’était pas le cas de l’espèce.
 
S’agissant enfin de l’article 21 du TFUE, qui prévoit qu’un droit de séjourner sur le territoire d’un État membre est reconnu à tout citoyen de l’Union « sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application », la Cour considère que c’est le juge national qui doit apprécier si les conditions sont réunies s’agissant du droit de séjour des enfants mineurs, nés et résidant au Royaume-Uni mais possédant la nationalité allemande, sachant qu’un refus de droit au séjour au parent qui en a la garde priverait d’effet utile le droit de séjour des enfants citoyens de l’Union.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Claudia Charles, Permanente au Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés)
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