Une action en constatation de la possession d'état peut être exercée par un homme qui n'est pas le père biologique d'un enfant.
Le Tribunal judiciaire de Mulhouse a été saisi d’une action en constatation de la possession d’état, présentée par un homme à l’égard d’une jeune fille mineure, placée dans un établissement social et représentée par un administrateur ad hoc. Cet homme n’étant pas le père biologique de l’enfant, le tribunal a formé une demande d’avis auprès de la Cour de cassation pour savoir, « dans la mesure où l’article 311-1 du code civil prévoit que la réunion suffisante de faits caractérisant la possession d'état est censée « révéler » le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir », si une filiation à l'égard d'un demandeur « dont il est constant qu'il n'est pas le père biologique de l'enfant » peut être établie dans le cadre de l'action en constatation de la possession d'état prévue à l'article 330 du code civil. La Cour de cassation répond par l’affirmative, au terme d’une motivation qui mérite qu’on l’analyse en détail. Car au-delà de la réponse qui est donnée en clair, l’avis soulève en creux quelques interrogations. En outre, la dissociation qu’il acte entre filiation « biologique » et filiation « sociologique », pousse un peu plus avant l’émergence d’une filiation détachée des liens de sang, dans le cadre de laquelle s’inscrivent aussi les filiations d’intention, et donc pour partie au moins la filiation de l’enfant issue d’une procréation médicalement assistée (PMA).
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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C’est en cela surtout que l’arrêt intéresse la PMA, où la possession d’état joue un rôle assez secondaire. Le temps que suppose sa constitution et le flou qui entoure ses éléments constitutifs (C. civ., art. 311-1), ne s’accordent guère avec la préoccupation qui est ici de fixer au mieux la filiation de l’enfant, spécialement dans le cas d’intervention d’un tiers donneur. Pour autant, la possession d’état n’est pas une notion étrangère à l’assistance médicale à la procréation, dans la mesure où elle irrigue l’ensemble du droit de la filiation et produit de multiples conséquences, non seulement au niveau de l’établissement de la filiation, mais également dans le cadre de sa contestation.
Ce que l’avis exprime en clair : la possession d’état est un mode d’établissement de la filiation à part entière
La Cour de cassation rappelle d’abord que, aux termes de l’article 310-1 du code civil la possession d’état (constatée par acte de notoriété) constitue un mode d’établissement de la filiation, au même titre que l’effet de la loi et la reconnaissance (simple ou conjointe). Ce sont des modes d’établissement non contentieux de la filiation. Celle-ci peut aussi, toujours aux termes de l’article 310-1 du code civil, être établie par jugement, dont celui qui peut faire suite à une action en constatation de la possession d’état (C. civ., art. 330). Cette action permet à tout intéressé, lorsque la possession n’a pas été établie par acte de notoriété (qui ne peut être demandé que par chacun des parents ou par l’enfant, dans les cinq ans à compter de la cessation de la possession d’état : C. civ., art. 317) ou en cas de refus de délivrance de l’acte de notoriété par le notaire, de demander au tribunal judiciaire de constater cette possession d’état (dans un délai de dix ans à compter de la cessation de la possession d’état). La Cour de cassation, rappelle également quels sont les éléments constitutifs de la possession d’état (C. civ., art. 311-1) et les caractères auxquels elle doit répondre (C. civ., art. 311-2). Ce sont précisément les termes de l’article 311-1 du code civil qui étaient à l’origine de la demande d’avis, puisque le texte dispose que « la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et une famille à laquelle elle est dite appartenir ».
La Cour de cassation considère que la possession d’état bien que « fondée sur l’apparence d’une réalité biologique…correspond à une réalité affective, matérielle et sociale ». En conséquence, elle estime que « la circonstance que le demandeur…ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de la prétention ». Mais d’ajouter qu’il appartiendra au juge d’apprécier au regard des faits de l’espèce si les éléments constitutifs de la possession d’état sont réunis.
A vrai dire, y avait-il matière à demande d’avis et à réponse de la Cour de cassation ? L’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire fixe le cadre et les conditions de la saisine pour avis de la Cour de cassation : elle suppose une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Sur ces différents points, la Cour de cassation se contente d’une affirmation péremptoire, sans aucune justification, alors que pourtant chaque terme peut être discuté. Il y a longtemps que l’action en constatation de la possession d’état est identifiée comme une action spécifique, distincte des actions tendant à établir une filiation biologique (v. déjà et avant même que l’action en constatation d’état soit inscrite dans le code civil : Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-23.065 : « l'échec d'une action fondée sur les dispositions de l'ancien article 340 du code civil ne rendait pas irrecevable une action postérieure en constatation de possession d'état, laquelle est distincte de l'action en réclamation d'état »). Et l’accès plein et entier de la possession d’état au rang des modes d’établissement de la filiation semble avoir fait son chemin depuis l’ordonnance du 4 juillet 2005. Les opinions qui persistent à n’y voir qu’une simple présomption de la vérité biologique se font de plus en plus rares. Le basculement a été clairement acté par l’ordonnance du 4 juillet 2005, en même temps qu’elle encadrait (« pétrifiait ») l’établissement de la possession d’état (acte de notoriété ou action en justice). Il suffit de se reporter aux termes de l’article 310-1 du code civil que rappelle le présent avis. Les termes de l’article 311-1 du même code, sa localisation dans une section traitant des preuves et présomptions (qui remonte à la loi du 3 janvier 1972), la référence à une possession d’état « révélatrice » de la filiation et de la parenté, sont datés et peuvent difficilement instiller le moindre doute sur la fonction nouvelle attribuée à la possession d’état par l’ordonnance du 4 juillet 2005 (v. en ce sens V. Egéa, Droit de la famille, 4ème ed., n° 727 ; P. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, 7ème ed., n° 916). Quant à la perspective que la question soit susceptible de se poser dans de nombreux litiges, il est permis d’être dubitatif au vu d’une jurisprudence pour le moins clairsemée.
Ce que l’avis dessine en creux : une scission entre la possession d’état et la vérité biologique
La question est de savoir si la place ainsi reconnue à la possession d’état entend lui permettre de concurrencer la vérité biologique.
On pourrait en douter. Car la définition que l’avis retient d’une possession d’état « fondée sur l’apparence d’une réalité biologique » fait encore la part belle à cette dernière et semble reléguer la possession d’état dans une fonction subsidiaire. De plus, l’avis précise que la circonstance que le demandeur n’est pas le père biologique de l’enfant n’est pas « en soi » (c’est-à-dire dans l’absolu) un obstacle au succès de sa prétention. Certes, mais faut-il en déduire que cette affirmation mérite d’être relativisée ? Elle doit l’être assurément parce qu’il faudra, pour que l’action en constatation aboutisse, que les éléments constitutifs d’une possession d’état soient vérifiés au fond. Doit-elle l’être aussi au motif qu’une expertise démontrerait que cette filiation est biologiquement inexacte ? L’avis ne le dit pas, mais c’est peu probable, puisqu’il était établi en l’espèce que le demandeur n’était pas le père biologique de l’enfant.
Indirectement, l’avis paraît ainsi répondre à une autre question, fortement débattue celle-là (c’est un euphémisme ; sur les termes du débat, P. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, préc., n° 1003 s.), de savoir si une filiation établie par possession d’état peut être contestée en démontrant qu’elle ne correspond pas à la vérité biologique. Dans le cadre d’une action en constatation, la réponse semble donc négative. Le présent avis prolonge ainsi la jurisprudence par laquelle la Cour de cassation avait considéré (sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance de 2005) « qu’en matière de constatation de possession d’état, il ne peut y avoir lieu à prescription d’une expertise biologique » (Cass. 1re civ., 16 juin 2011, n° 08-20.475). On peut hésiter davantage sur le point de savoir si cette solution est extensible au cas où la possession d’état a été établie par acte de notoriété (C. civ., art. 317) qui fait foi « jusqu’à preuve contraire ». L’interdiction de démontrer que la filiation ainsi établie n’est pas conforme à la vérité biologique, confèrerait à cet acte de notoriété délivré aujourd’hui par notaire et non plus par le juge, une force considérable.
Pour autant, il convient d’insister sur le fait qu’en l’occurrence l’enfant n’avait pas d’autre filiation paternelle établie. La Cour de cassation ne revient donc pas sur son refus de voir utiliser la possession d’état comme un moyen d’établir un second lien de filiation paternel ou maternel, similaire à un lien de filiation biologique déjà établi (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 17-70.039). Elle consacre et consolide la possession d’état comme mode d’établissement de la filiation à part entière, une possession d’état qu’elle prend soin de définir objectivement dans sa complexité comme « réalité affective, matérielle et sociale ». C’est plus qu’une filiation d’intention.
Jean-Jacques Lemouland, professeur des universités, CERFAPS (EA 4600 Université de Bordeaux)