Contentieux de la tarification sanitaire et sociale : fermeture programmée des TITSS et de la CNTSS au 31 décembre 2024

27.11.2023

Droit public

La suppression des tribunaux interrégionaux et de la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale prendra effet au 31 décembre 2024, en application de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 parue au Journal officiel du 21 novembre. Explications.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, les parlementaires ont voté sans véritable débat de fond la suppression des juridictions spécialisées du contentieux de la tarification sanitaire et sociale que proposait le Gouvernement (articles 56 et 60 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023). Créés par une loi du 23 janvier 1990 puis renommés par la loi du 2 janvier 2002, les tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) fermeront donc le 31 décembre 2024. Idem pour la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS) qui, elle, était l’héritière de la section permanente du Conseil supérieur de l’aide sociale des années 50.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Nombreuses questions en suspens

La loi prévoit qu’un décret précisera quels seront les tribunaux administratifs (TA) qui prendront le relais des 5 TITSS. Y aura-t-il toujours 5 juridictions de première instance ou y en aura-t-il plus ? Si la loi est très claire sur le fait que le décret désignera une cour administrative d’appel (CAA) comme juridiction d’appel pour l’ensemble du territoire français, elle laisse plus de latitude au pouvoir réglementaire pour choisir le nombre de juridictions de première instance et leurs ressorts territoriaux.

Les requérants de la Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane devront-ils toujours avoir recours en première instance à une juridiction administrative de la métropole pour régler leurs litiges tarifaires ou un autre ou plusieurs autres tribunaux administratifs situés en Outre-mer seront-ils désignés pour prendre le relais ?

La situation ubuesque de Saint-Pierre-et-Miquelon mise en avant par un arrêt du Conseil d’État du 24 mai 2023 demeurera-t-elle ? Pour mémoire, en vertu d’une disposition spécifique du CASF, l’article L. 531-1, les litiges opposant un gestionnaire d’établissement ou service situé sur ce territoire (ou un autre requérant ayant intérêt à agir) à son ou ses autorités de tarification dépend du Tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon tandis que le TITSS de Nantes est compétent pour trancher les désaccords entre le préfet (et son administration territoriale de santé) et le président du conseil départemental (PCD) portant sur la tarification d’un centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) situé sur ce territoire ou encore les désaccords entre le PCD et le préfet de département à propos de la tarification conjointe des établissements et services mettant en œuvre des mesures judiciaires de protection de la jeunesse. Demain, une telle absurdité subsistera-t-elle ou considérera-t-on que le TA de Saint-Pierre-et-Miquelon est désigné pour prendre le relais du TITSS de Nantes pour ces derniers types de litige ? Autre incertitude : le délai de recours sera-t-il toujours d’un mois ou faudra-t-il appliquer le délai de droit commun de deux mois devant les tribunaux administratifs ? Tout est possible puisque devant les TA des délais plus courts sont retenus pour certains types de contentieux.

Autant de questions et bien d’autres dont les réponses dépendront du contenu du décret d’application qui devra impérativement être pris au cours de l’année 2024 sauf à créer une situation catastrophique en termes de continuité du service public de la justice. En effet, en application de l’article 60 de la loi du 20 novembre 2023, les affaires pendantes, c’est-à-dire non jugées, au 31 décembre 2024 par les TITSS et la CNTSS seront transférées au 1er janvier 2025 aux TA et à la CAA désignés par le décret. Si celui-ci n’est pas pris, les TITSS et la CNTSS auront cessé d’exister et ne sauront pas à qui transférer les affaires. Au demeurant, tant que le décret ne sera pas pris, à qui adresser les recours contentieux après le 1er janvier 2025 puisque la désignation des juridictions qui prendront le relais dépend de ce décret ?

Adieu échevinage

Au-delà de ces questionnements, des certitudes sont d’ores et déjà acquises. Il n’y aura plus de magistrats non professionnels aux côtés des magistrats professionnels, ce qui était la plus-value majeure des juridictions spécialisées de la tarification sanitaire et sociale. L’échevinage des TITSS et de la CNTSS ne se retrouvera pas dans les TA et la CAA dont les formations de jugement sont composées uniquement de magistrats professionnels.

Un délicat passage de flambeau à anticiper

Par ailleurs, certains requérants qui auront saisi un TITSS ou la CNTSS verront leur affaire tranchée par un TA ou une CAA car au 31 décembre 2024 il y aura forcément des affaires qui n’auront pas été jugées par les juridictions spécialisées de la tarification sanitaire et sociale. Il en sera ainsi des recours portés contre certains arrêtés de tarification 2024 qui auront été notifiés et publiés par exemple en août ou septembre 2024.

L’urgence est désormais tant pour les Unions et Fédérations du secteur que pour les administrations centrales des ministères, notamment celui de la Justice, de commencer à travailler sur un projet de décret d’application, de publier ce décret à la fin du premier semestre 2024 pour permettre aux TA et à la CAA désignés de se préparer à prendre le relais dans de bonnes conditions. Le greffe du TITSS de Paris est aujourd’hui assuré par celui du Conseil d’État. Demain, ce ne sera plus le cas par exemple. Certains magistrats, rapporteurs ou Commissaires du Gouvernement des TITSS, s’ils ne sont pas rattachés aux TA ou à la CAA désignés pour prendre le relais, cesseront d’exercer. D’autres devront s’investir dans cette matière. Cela prend nécessairement du temps au vu de la complexité de la matière. Une formation des magistrats serait bienvenue à cet égard bien que le rapport annexé à la loi ne l’envisage pas spécifiquement tout en abordant, pour « les métiers de la justice », l’enjeu de « l’adaptation des compétences » (point 2.1.2.3. du rapport).

Arnaud Vinsonneau, juriste en droit de l’action sociale et médico-sociale, Associé du Cabinet Jegard Créatis
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