Contention et mise à l'isolement en psychiatrie : le JLD n'est pas compétent

04.12.2019

Droit public

La mise à l'isolement et la contention en psychiatrie constituent des modalités de soins ne relevant pas de l'office du juge des libertés et de la détention (JLD), qui s'attache à la seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le bien-fondé.

La loi du 25 janvier 2016 a créé dans le code de la santé publique l’article L. 3222-5-1 qui régit le recours à la mise à l’isolement et à la contention dans la prise en charge psychiatrique. Son alinéa 1er dispose que « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin ». La suite du texte impose notamment la tenue d’un registre consignant le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Cette innovation législative ne visait pas à supprimer ces pratiques, dont le principe même n’est pas discuté, mais à s’assurer que leur usage réponde à des nécessités médicales impérieuses dans l’intérêt du malade ou des tiers et non, comme cela a été observé dans divers établissements, à de simples commodités de fonctionnement du service ou de gestion disciplinaire de la population hospitalière.
La création de ce texte, en plaçant la pratique de plain-pied dans le champ du droit, a alors amené la question de déterminer le juge compétent pour statuer sur ses éventuels excès. La Cour d’appel de Versailles s’était montrée assez innovante en considérant qu’il appartient au JLD, dans le cadre de son contrôle obligatoire de la mesure de soins, de vérifier le respect de l’article L. 3222-5-1 et, dans le cas contraire, de prononcer la mainlevée de la mesure de soins (CA Versailles, 24 oct. 2016, no 16/07393 ; CA Versailles, 16 juin 2017, no 17/04374). Cette position est à présent condamnée par deux décisions de la Cour de cassation rendues au mois de novembre 2019.
Un premier arrêt ambigu
La première d’entre elle, rendue le 7 novembre, pouvait encore laisser place à quelques doutes. Il s’agit d’une personne admise aux urgences d’un établissement général dans un état de vive agitation. Les médecins de cet établissement certifient la nécessité de l’admettre en soins psychiatriques sans consentement, et le père de l’individu signe une demande de soins. En attendant son transfert vers un établissement de santé autorisé à prendre en charge les personnes en soins psychiatriques sans leur consentement, l’intéressé est placé sous contention (menottes aux poignets et aux chevilles) dans une chambre d'isolement au sein de ce service d'urgence. Il est ensuite transféré dans l’établissement spécialisé où il est alors formellement admis en soins psychiatriques sans consentement en hospitalisation complète. Dans le cadre du contrôle judiciaire obligatoire intervenant à 12 jours, pour tenter d’obtenir la mainlevée de sa mesure de soins psychiatriques, il soulève l’argument de l’illégalité de sa mise à l’isolement et en contention aux urgences en soulignant que celle-ci a été décidée par un médecin urgentiste et non, comme le prévoit l’article L. 3222-5-1, par un psychiatre. Le premier président de la cour d’appel rejette l’argument au motif que « les conditions posées par l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique ne s'appliquent que dans les établissements de santé chargés d'assurer les soins psychiatriques sans consentement », ce que n’est pas un service d’urgence d’un établissement généraliste. La Cour de cassation rejette à son tour l’argument mais procède par substitution de motifs en considérant plus directement « qu'il n'appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mise en œuvre d'une mesure médicale, distincte de la procédure de soins psychiatriques sans consentement qu'il lui incombe de contrôler. » Cet arrêt peut donc laisser place au doute : la Cour de cassation a-t-elle entendu évacuer par principe la compétence du JLD ou la décision ne devait-elle être considérée que pour le cas qu’elle concernait, c’est-à-dire pour une contention mise en œuvre avant l’intervention formelle de la décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement ?
Un second arrêt explicite
Le second arrêt du 21 novembre , intervenu deux semaines plus tard, dissipe toute possibilité de malentendu. Un patient est placé en soins sur demande d’un tiers et, au début de sa mesure, subit une période de mise à l’isolement d’une huitaine de jours. A l’occasion du contrôle judiciaire, il demande la mainlevée de la mesure de soins en soulignant qu’aucune copie du registre des mises à l’isolement prévue par l’article L. 3222-5-1 n’a été produite aux débats. En cause d’appel, le premier président avait rejette l’argument en estimant qu’ « aucun texte n'impos[e] la production systématique du registre retraçant le placement des patients à l'isolement, laquelle constitue une modalité de soins ». La Cour de cassation reprend l’argument à son compte et y ajoute surtout que « ces modalités de soins [que sont la mise à l’isolement et la contention] ne relevant pas de l'office du juge des libertés et de la détention, qui s'attache à la seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le bien-fondé, le premier président en a justement déduit que le grief tenant au défaut de production de copies du registre était inopérant ». Au travers de ce motif d’une grande clarté, la messe paraît dite : l’isolement et la contention ne relèvent pas de l’assiette du contrôle du JLD et il n’est donc pas question pour lui de prononcer la mainlevée d’une mesure de soins au seul motif qu’y apparaîtrait un usage inapproprié de l’isolement et/ou de la contention.
Une solution logique mais qui amène de nouvelles questions
La solution semble assez logique. Même lorsqu’une mise à l’isolement ou en contention est accomplie illégalement, on peine à comprendre pourquoi cela affecterait la légalité de la mesure de soins en tant que telle : une mise à l’isolement excessive n’implique pas nécessairement qu’une mesure de soins soit injustifiée en général. Par ailleurs, sans doute ne faut-il pas étendre sans fin le rôle du JLD qui a déjà un travail de contrôle assez vaste à accomplir pour la vérification de la légalité de la mesure de soins.
Cependant, si le JLD n’est pas compétent pour examiner la légalité de la mise à l’isolement et de la contention, qui le serait alors ? La question, ainsi clairement ouverte par cette décision de la Cour de cassation, n’y trouve aucun élément de réponse et plusieurs thèses s’offrent à l’analyse. Une première consistera à considérer que, en tant que décision médicale relative à une modalité de soins, la mise à l’isolement et la contention relève littéralement de la « responsabilité » médicale. Autrement dit, aucun juge n’est compétent pour renverser cette décision au moment de sa mise en œuvre. Seul le juge de l’indemnisation, à savoir le tribunal de grande instance, pourrait intervenir en identifiant après coup les excès ou irrégularités dans le déclenchement ou le déroulement de ces « modalités de soins » et ordonner que le préjudice qu’ils ont généré soit compensé économiquement. Une deuxième analyse consistera à considérer qu’il n’est pas satisfaisant qu’aucun juge ne puisse intervenir sur le moment pour faire cesser une mesure injustifiée. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté n’a-t-il d’ailleurs pas maintes fois souligné, ces dernières années, que bien des établissements ont un recours trop systématique voire absolument excessif à ces mesures ? Une récente recommandation en urgence du contrôleur général des lieux de privation de liberté pour un établissement normand pointait diverses situations inacceptables : décisions psychiatriques de mise à l’isolement « si besoin », « autant que nécessaire » ou encore prises pour une validité de quinze jours voire d’un mois. Des motifs punitifs ou la volonté de contraindre à la thérapie des personnes, y compris en soins libres, motivent parfois le recours à l’isolement. Il faut donc sans doute pouvoir intervenir rapidement au travers d’une action en référé pour faire cesser des atteintes manifestes aux droits de l’individu. Mais alors, vers quel ordre juridictionnel se tourner ? Vers le juge judiciaire au travers d’un référé reposant sur la voie de fait, ou vers le juge administratif sur le fondement du référé-liberté ? Bref, ce thème de l’isolement et de la contention ouvre à nouveau la question de l’inachèvement de l’unification du contentieux opéré par la loi du 5 juillet 2011 et des nombreuses béances qu’elle a laissé subsister. Il faudra attendre la jurisprudence ultérieure pour pouvoir trancher.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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