Contestation d'une filiation : pas de preuve génétique faute de qualité à agir

16.10.2019

Droit public

En l'absence d'action en recherche de paternité engagée par l'enfant, la demande visant à révéler un lien de filiation entre ce dernier et l'homme appelé en cause est irrecevable.

Par un arrêt du 19 septembre 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que selon les articles 16-11 et 327 du code civil une demande d’expertise génétique susceptible de révéler un lien de filiation entre un enfant et un tiers suppose, pour être déclarée recevable, l’engagement par cet enfant d’une action en recherche de paternité qu’il a seul qualité à exercer.
 
Dans cette affaire, un homme décédé en 1993 laisse pour lui succéder un fils, né en 1983, mais qu’il ne reconnaît qu’en 1990. Outre cet enfant, survit au de cujus sa mère et son frère. Déterminés à contester la réalité du lien de filiation à l’égard de l’enfant, la mère et le frère du défunt assignent tant ce dernier que sa propre mère aux fins d’annulation de l’acte de reconnaissance. A cette fin, ils appellent en cause un autre homme qu’ils désignent comme le père biologique. Ils souhaitent que soit réalisée une expertise génétique à l’égard de ce dernier qui, selon eux, doit révéler que l’enfant en est bien issu. La preuve biologique doit donc leur permettre d’établir indirectement l’impossible paternité du défunt et le caractère mensonger de la reconnaissance effectuée en 1990. Par un arrêt du 16 janvier 2018, la Cour d’appel de Fort-de-France rejette leur demande d’expertise génétique (CA Fort-de-France, 16 janv. 2018, n° 16/00066). Le premier moyen de leur pourvoi visait à obtenir la censure de cette décision pour violation de l’article 310-3 du code civil. Selon les demandeurs au pourvoi, la preuve biologique étant de droit en matière de filiation sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder, la cour d’appel aurait dû caractériser un tel motif pour pouvoir fonder son refus. Faute de l’avoir fait, elle aurait donc violé l’article 310-3 du code civil selon lequel « la filiation se prouve et se conteste par tous moyens ». Ce moyen est rejeté par substitution de motifs. Pour la première chambre civile, en l’absence d’action en recherche de paternité engagée par l’enfant, la demande visant à révéler un lien de filiation entre ce dernier et l’homme appelé en cause est irrecevable.
 
L’intérêt de cette décision est de mettre en lumière la nécessaire articulation devant être opérée entre les principes gouvernant la preuve génétique de la filiation.
La preuve biologique est de droit sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder
Le premier principe, invoqué par le pourvoi, est celui qu’a affirmé la Cour de cassation dans son arrêt du 28 mars 2000 : « la preuve biologique est de droit en matière de filiation sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder » (Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 98-12.806 ). Ce principe, très largement appliqué depuis cet arrêt, a notamment été retenu au soutien d’actions qui, comme en l’espèce, tendaient à la contestation d’une reconnaissance mensongère (Cass. 1re civ., 14 juin 2005, n° 04-13.913). Ce principe peut certes être écarté lorsqu’il existe un motif légitime, tel que, par exemple, le fait que le père n’ait jamais contesté la paternité de sa fille pendant plus de 60 ans et que la demande en annulation présentée par son fils n’est causé que par un intérêt strictement financier (Cass. 1re civ., 30 sept. 2009, n° 08-18.398). Toutefois, encore faut-il caractériser ce motif, ce que n’a pas fait la cour d’appel. Par conséquent, les demandeurs au pourvoi espéraient que l’invocation de ce principe leur permettrait d’obtenir la censure de la décision.
Interdiction de réaliser une expertise génétique post-mortem
L’autre principe, exprimé par l’article 16-11 du code civil, est celui qui interdit de réaliser une expertise génétique post mortem. La demande visant à établir ou contester la filiation à l’égard d’un homme décédé sera nécessairement écartée (Cass. 1re civ., 2 avr. 2008, nos 06-10.256 et 07-11.639) sauf si, de son vivant, la personne a manifesté son accord exprès. En l’espèce, le père est décédé, de sorte qu’il est impossible de solliciter une expertise génétique l’ayant pour objet. C’est pour cela que les demandeurs demandent que l’expertise soit pratiquée non à l’égard du défunt, mais à celui de l’homme qu’ils désignent comme le véritable père de l’enfant.
L’action en recherche de paternité est attitrée
Leur demande est alors contrée par l’application d’un troisième principe, en vertu duquel l’action en recherche de paternité est attitrée. Ainsi qu’en dispose l’article 327, alinéa 2 du code civil, elle appartient à l’enfant qui a seul qualité à agir. Dès lors, seul l’enfant aurait pu solliciter l’expertise génétique à l’égard de cet homme que l’on prétendait être son père. Lui, et nul autre. Il est vrai que les demandeurs au pourvoi ne cherchent pas à établir le lien de filiation à l’égard de cet homme. Leur but est, plus modestement, de pouvoir tirer des résultats de l’expertise génétique la preuve de l’impossible paternité de leur défunt. Ils auraient alors mieux fait de solliciter la réalisation d’une expertise génétique entre eux-mêmes et l’enfant (Cass. 1re civ., 15 mai 2013, n° 11-12.569). En effet, d’une part, dès lors que l’enfant ne dispose pas d’une possession d’état conforme à son titre, l’article 334 du code civil permet à toute personne y ayant intérêt d’agir en contestation de la filiation. D’autre part, un tel examen aurait pu conduire à exclure toute possibilité de filiation biologique entre le défunt et l’enfant.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Jean-René Binet, Professeur de droit privé à l'université de Rennes 1
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