Contrôle des structures : revue de jurisprudence des juridictions d'appel

30.11.2023

Gestion d'entreprise

Preuve de la qualité d’exploitant, notion de demandes concurrentes, recours tardif, les juridictions se prononcent au quotidien sur l’interprétation à donner au dispositif d’autorisation et de déclaration préalable.

Les juridictions nancéennes, douaisiennes et nantaises ont récemment apporté leur pierre à l’édifice en examinant 5 requêtes de demandeur s’étant vu refuser une autorisation d’exploiter.

Soumission au contrôle des structures en l’absence d’associé exploitant

Une autorisation préalable d’exploiter est nécessaire, quelle que soit la superficie en cause, s'agissant des opérations d'installations, d'agrandissements ou de réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole ne comportant pas de membre ayant la qualité d'exploitant (C. rur., art. L. 331-2, I, 3°, b).

La cour administrative d’appel de Nancy rappelle qu’il appartient au demandeur d’apporter la preuve de ladite qualité. Dans les deux espèces qui lui étaient présentées, elle juge que les demandeurs, tous deux des sociétés étrangères, ont failli à cette obligation. La première société civile, immatriculée au Luxembourg, s’est bornée à produire une copie d'une affiliation du centre commun de sécurité sociale du Luxembourg selon laquelle son gérant était indépendant agricole (à titre principal) chef d'exploitation depuis 2019. La deuxième, une société polonaise, a produit un certificat polonais précisant que le gérant était enregistré depuis 2016 comme producteur agricole. Dans les deux cas, un tel document est insuffisant alors qu’aucune des sociétés n’a pas ailleurs déclaré au moins un de ses membres comme associé exploitant. Sans se prononcer sur le fait que le gérant de société avait ou non la qualité d’exploitant (moyen que les requérants ont omis de soulever à leur grand désavantage), le juge souligne le caractère indispensable de la preuve de cette qualité. A défaut de l’apporter en effet, le préfet est fondé à demander à la société de déposer une demande d’autorisation d’exploiter et, par la suite, à en refuser le bénéfice.

Notion de demandes concurrentes

La cour administrative d’appel de Nancy précise par ailleurs la notion de candidat à la reprise, qualité qui permet au préfet de refuser une autorisation d’exploiter si ledit candidat à la reprise figure à un rang supérieur dans l’ordre des priorités établi par le SDREA (C. rur., art. L. 331-2, 1°).

Doit bien entendu être considérée comme telle la personne qui a déposé un dossier de demande d’autorisation d’exploiter concurrent. La notion s’étend par ailleurs à l’initiateur d’un projet qui n’est pas soumis au contrôle des structures et pour lequel les parties prenantes ont informé la commission départementale des structures agricoles et l'administration de leur souhait de les exploiter en établissant la réalité et le sérieux de leur projet. Le juge valide donc le fait, pour le préfet, d’avoir inclus ce projet dans son examen en déterminant s’il répondait à un rang de priorité supérieur à celui de la demande d’autorisation d’exploiter.

Il précise en outre que, le projet n’étant pas soumis à autorisation préalable, il n’a pas à respecter le formalisme imposé à cette dernière, en l’espèce l’obligation pour le demandeur, qui dépose un dossier pour l’exploitation de terres qui ne lui appartiennent pas, de prévenir le propriétaire des parcelles (C. rur., art. 331-4).

Le juge évalue enfin les conséquences de la procédure de rescrit sur l’obligation pour le préfet d’examiner le rang de priorité d’une demande non soumise à autorisation ou déclaration. Ce rescrit, mis en place en 2015, permet à toute personne qui envisage une opération susceptible d’être soumise au contrôle des structures de demander, en amont de cette opération, au préfet, de lui indiquer quel est le régime applicable : autorisation, déclaration ou exemption (C. rur., art. L. 331-4-1).

Dans les deux espèces, les porteurs du projet non soumis à autorisation n’avaient pas sollicité l’administration a priori. Le préfet leur avait, de lui-même, notifié spontanément un rescrit. La cour indique que cette inversion du dispositif n’a aucune conséquence sur les modalités d’examen de la demande d’autorisation d’exploiter. Le dossier doit être apprécié comparativement avec ceux de concurrents.

Dans la deuxième espèce en outre, le demandeur qui s’était vu refuser son autorisation d’exploiter considérait qu’il s’était trouvé en inégalité de traitement par rapport à ses concurrents à qui avait été adressé un rescrit. Faisant application des principes d’interprétation classiques de l’égalité de traitement, le juge relève que le demandeur, dont le projet relevait du régime de l'autorisation, était dans une situation différente de celles de ses concurrents qui n'en relevaient pas. Les règles applicables aux deux demandeurs concurrents étaient en partie différentes. Dès lors le principe d’égalité de traitement ne trouvait pas à s’appliquer à ces deux situations qui ne pouvaient être mises sur le même plan juridique.

Refus du préfet en cas d’agrandissement excessif

La cour administrative d’appel de Nantes a quant à elle rappelé dans quelles circonstances le préfet peut ou doit refuser une autorisation d’exploiter lorsque l’opération conduit à un agrandissement excessif tel que défini par le SDREA. Selon le code rural, le préfet en a la faculté lorsqu’il existe des demandes concurrentes, quel que soit le rang de priorité de ces dernières (C. rur., art. L. 331-3-1, 3°). Or, en l’espèce le SDREA de Bretagne oblige le préfet à rejeter les demandes d'autorisation d'exploiter pour des agrandissements excessifs, ce qui, selon le demandeur, rendait le document illégal au regard du code rural. Toutefois, comme le relève le juge, le SDREA circonscrit l’obligation de refus aux seules hypothèses de demandes concurrentes relevant de rangs de priorité supérieurs. Dès lors, le SDREA ne contredit pas, sur ce point, l’article L. 331-3-1 du code rural.

Recours tardif et prorogation du délai de recours

La cour administrative d’appel de Douai a, pour sa part, statué sur la recevabilité des recours au regard de leur date de dépôt dans une espèce où la requête avait été déposée avec plus de 2 mois de retard.

L’octroi de l’autorisation d’exploiter doit faire l’objet d’une notification préfectorale au demandeur, au propriétaire et au preneur en place, ceci pour donner l’opportunité à ces derniers de former un recours (C. rur., art. R. 331-6, III, al. 1er). La cour précise que cette obligation ne concerne pas l’ancien preneur auquel il a été donné congé avant que la décision d’autorisation d’exploiter concernant les terres qu’il exploitait auparavant n’ait été rendue. Il n’est en effet pas un locataire des parcelles en cause.

Au surplus, en l’espèce, alors même qu’il n’était plus locataire, l’ancien preneur avait été averti du passage de la demande en CDOA alors que la formalité ne concerne en principe que les « preneurs en place » (C. rur., art. R. 331-5). Le juge considère donc, fort pragmatiquement, que l’ancien preneur était informé de l’existence d’une demande et avait toute opportunité pour contester la décision préfectorale en justice dans les délais impartis.

Usant d’un dernier argument pour justifier la tardiveté de son recours, le demandeur faisait valoir que le délai de recours avait été prolongé par le défaut de réponse à sa demande de communication des motifs de la décision préfectorale d’octroi. Ce cas de prorogation est en effet prévu par l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration lorsque la motivation d’une décision implicite de rejet n’est pas transmise dans le mois suivant une demande en ce sens. Le délai de recours contentieux est alors prorogé de 2 mois à compter du jour de communication des motifs.

Pour le juge, le demandeur n’entre pas dans ce cadre qui n’est ouvert qu’à deux conditions dont aucune n’est satisfaite. Ainsi, seul le demandeur intéressé par la décision peut en demander la motivation, statut dont le demandeur de l’espèce, en sa qualité d’ancien preneur, ne peut se prévaloir. En outre, la prorogation s’applique dans le cadre d’une demande implicite de rejet, ce qui n’est pas le cas dans ce litige puisque le contentieux porte sur une autorisation d’exploiter tacitement accordée. Quand bien même le demandeur aurait rempli ces deux critères, le délai de recours contentieux n’aurait pu être prorogé car, comme le rappelle le juge, la demande de communication des motifs a été formulée plus de 2 mois après l’expiration dudit délai.

Anne DEBAILLEUL

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