Contrôle judiciaire du placement à l'isolement et en contention en psychiatrie : l'avant-projet de loi

01.10.2020

Droit public

L'avant-projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 dévoilé par le ministère des solidarités et de la santé prévoit de rétablir sous une nouvelle forme l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique relatif au placement à l'isolement ou en contention en psychiatrie qui avait été abrogé au printemps par le Conseil constitutionnel en raison de l'absence de contrôle juridictionnel de ces pratiques.

L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, créé par la loi Touraine de janvier 2016, avait pour la première fois posé des conditions encadrant les pratiques de placement à l’isolement et en contention en psychiatrie. Cependant, il n’avait prévu aucun dispositif de contrôle judiciaire visant à vérifier leur respect. Suite à diverses décisions de la Cour de cassation ayant considéré qu’il n’est pas du rôle du juge des libertés et de la détention (JLD) de se pencher sur ces pratiques dans le cadre de son rôle de contrôle de légalité des mesures de soins psychiatriques sans consentement, le Conseil constitutionnel avait été saisi par QPC (Cass. 1e civ., 23 mars 2020, QPC, n° 19-40.039). Il avait alors, le 19 juin 2020, abrogé l’article L. 3222-5-1 avec effet retardé au 31 décembre 2020 (Cons. const., 19 juin 2020, déc. n° 2020-844 QPC). Pour motiver sa solution, après avoir souligné que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », il avait estimé que, « si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution ».
L’avant projet de loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) diffusé à la fin du mois de septembre comprend un article 43 qui vise à répondre à l’injonction du Conseil constitutionnel. Il rétablirait l’article L. 3222-5-1 en l’enrichissant de diverses innovations.
En premier lieu, le texte nouveau préciserait que l’isolement ou la contention ne peuvent être pratiqués que sur des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement. Ceci serait une nouveauté car, en pratique, bien des établissements mettent à l’isolement ou en contention des personnes admises en soins libres. Ceci n’impliquerait d’ailleurs pas qu’il soit totalement proscrit d’user de ces pratiques sur une personne en soins libres mais simplement qu’il faudrait obligatoirement, en cas de placement à l’isolement ou en contention, ouvrir immédiatement et concomitamment une procédure d’admission en soins psychiatriques sans consentement.
Le texte nouveau ajouterait, concernant le placement à l’isolement ou en contention, qu’il « ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d'un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical ». Le nouvel article L. 3222-5-1 prévoirait d’ailleurs l’obligation de numériser le registre que doit tenir l’établissement concernant les mesures d’isolement et de contention.
En deuxième lieu, le nouveau texte cadrerait la durée de ces mesures. Pour ce faire, il introduit une distinction entre l’isolement et la contention, considérant qu’une mesure d’isolement ne peut être décidée que pour une durée de 12 h renouvelable jusqu’à 48 h maximum et une mesure de contention pour une durée de 6 h renouvelable jusqu’à 24 h maximum. Ces durées correspondent aux recommandations que la HAS avait émises en mars 2017.
Un contrôle du placement à l’isolement ou en contention sur saisine par les proches
Le texte ajouterait ensuite que, au-delà de ces durées de 24 h pour la contention et 48 h pour l’isolement, ces mesures peuvent faire l’objet d’une prolongation « à titre exceptionnel » par un médecin. Cependant, en ce cas celui-ci devra informer sans délai les personnes mentionnées à l’article L 3211-12 du code de la santé publique : proches du malade (famille, tuteur/curateur, ou toute personne susceptible d'agir dans l'intérêt de la personne faisant l'objet des soins) et procureur de la République. Ceux-ci, comme le prévoirait alors le texte, « peuvent saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure » d’isolement et/ou de contention. C’est par cette voie de la saisine du JLD par les proches que le gouvernement entend transcrire dans la loi nouvelle l’exigence de contrôle juridictionnel imposée par le Conseil constitutionnel au printemps dernier.
Il est cependant loin d’être évident que cette nouvelle version du texte satisfasse les exigences des Sages de la rue Montpensier. En effet, ce dispositif de saisine du JLD par les proches se heurte à cette réalité pratique que, dans nombre de cas, les malades hospitalisés en psychiatrie n’ont pas d’entourage familial ou amical susceptible d’accomplir cette saisine. Quant au procureur de la République, on pourra douter de son activisme.
Une auto-saisine du juge est également envisageable en vertu de l’article L. 3211-12 mais elle paraît tout aussi illusoire que l’hypothèse d’une saisine par le procureur de la République.
Un avant-projet probablement inconstitutionnel
Si ce texte entrait en vigueur, on retomberait donc sur les carences de contrôle juridictionnel que le Conseil constitutionnel avait stigmatisées en matière de soins psychiatriques sans consentement dans leur version antérieure à la loi de 2011 : comment imaginer que le juge judiciaire puisse effectuer correctement sa mission de contrôle de la légalité des privations de liberté si, en pratique, personne ne le saisit ? C’est d’ailleurs bien pour répondre à cet enjeu que le Conseil constitutionnel avait imposé la création d’un contrôle judiciaire obligatoire des mesures de soins psychiatriques sans consentement (Cons. const., déc., 26 nov. 2010, no 2010-71 QPC ; Cons. const., déc., 9 juin 2011, no 2011-135/140 QPC). Il l’avait d’ailleurs fait en usant exactement de la même formule, employée pour la première fois dans une décision de 1980 (Cons. const., 9 janvier 1980, déc. n° 79-109 DC, cons. 4), que celle qu’il a employée dans sa décision de juin 2019 : « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Cette formule vise à imposer, quand elle est employée par le Conseil constitutionnel, un contrôle systématique et à bref délai d’une mesure privative de liberté décidée par l’autorité administrative. Or, dans sa décision du juin dernier, le Conseil constitutionnel a souligné que l’isolement et la contention sont bel et bien des mesures privatives de liberté.
Bref, il est absolument indispensable que le juge statue, et il faut donc prévoir une modalité de saisine obligatoire, que ce soit par le chef d’établissement ou même le médecin initiateur de la mesure, et non une saisine putative par des proches. Si cet article 43 de l’avant-projet de LFSS demeurait en l’état, il est donc bien possible qu’il fasse à nouveau l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, un deuxième problème existe : ce texte est inclus dans une loi relative au financement de la sécurité sociale et peut donc être considéré comme un cavalier législatif. Le Conseil d'État, qui examinera cet avant-projet durant le mois d’octobre avant sa présentation en Conseil des ministres, se prononcera sur la question de savoir si cet article 43 constitue effectivement un cavalier et, le cas échéant, exigera son retrait du projet de loi. Et même si le Conseil d’Etat n’opérait pas ce retrait, le Conseil constitutionnel pourra ensuite le faire en censurant ce texte dans le cadre d’une saisine avant son entrée en vigueur.
Un avant-projet potentiellement non conforme à la Convention européenne des droits de l'homme
La Cour européenne des droits de l’homme souligne depuis longtemps que, en matière de soins psychiatriques, une des principales exigences pour limiter le risque d’arbitraire est une intervention rapide, efficace et pertinente de l’autorité judiciaire (CEDH, 24 oct. 1979, req. 6301/73, Winterwerp c/ Pays-Bas), point sur lequel les manquements inhérents au système français ont entraîné plusieurs fois condamnation (CEDH, 27 juin 2002, req. 33395/96, L.R c. France ; CEDH, 27 oct. 2005, req. 68673/01, Mathieu c. France ; CEDH, 14 avr. 2011, req. 35079/06, Patoux c. France). Gageons que le système de contrôle judiciaire de l’isolement et de la contention proposé par le ministère dans son avant-projet de LFSS ne contribuera certainement pas à préserver la France du risque d’une nouvelle condamnation. On pourra juger celui-ci d’autant plus élevé que la Cour européenne des droits de l’homme vient de rendre une décision, impliquant le Danemark, soulignant qu’une contention de 23 h (donc de moins de 24 h) qui ne serait pas suffisamment justifiée constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 15 sept. 2020, req. 45439/18, Aggerholm c. Danemark).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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