Coronavirus : quels impacts sur le droit des étrangers ?

19.03.2020

Droit public

Suspension de la délivrance des visas, fermeture des frontières extérieures de l'espace Schengen, réintroduction des contrôles à ses frontières intérieures, prolongation de la validité des titres de séjour : le régime de l'entrée, du séjour et de l'éloignement des étrangers est directement impacté par les mesures de lutte contre le Covid-19.

Alors que, les uns après les autres, les États membres de l’Union européenne ferment leurs frontières, les mesures prises pour limiter la circulation transfrontalière, mais aussi la circulation sur le territoire en France et à l’étranger, vont affecter temporairement, voire durablement, aussi bien le fonctionnement de l’administration des étrangers que celui des juridictions.
La réponse des institutions et du gouvernement français se met en place progressivement, le plus souvent par simple voie de communiqué, en attendant des textes plus officiels, à l’instar de la future loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
Le Dictionnaire permanent droit des étrangers vous présente ici un récapitulatif des premières mesures qui concernent le droit des étrangers. Nous opérerons ensuite un suivi aussi proche que possible de l’actualité à travers notre veille permanente. 
Entrée
Fermeture de l’espace Schengen
Le contraste entre les préconisations de la Commission européenne, qui s’accroche à des textes qui n’ont aucunement prévu un tel scénario, et la réponse pragmatique des États membres, est assez saisissant.
Dans un document présentant les lignes directrices pour la gestion des frontières (COM C (2020) 1753 final, 16 mars 2020), approuvé, en vidéo-conférence, par le Conseil de l’Union européenne (Conseil de l’Union européenne, conclusions, 17 mars 2020), pour une période de 30 jours, la Commission européenne a notamment proposé :
- que toute personne (ressortissants de pays tiers comme citoyens de l’Union) puisse faire l’objet d’un contrôle à la frontière pouvant inclure un contrôle médical ;
- que les États membres puissent refuser l’entrée des non-résidents ressortissants de pays tiers qui présentent les symptômes du Covid-19 ou ont été particulièrement exposés à un risque d’infection et sont donc considérés comme une menace à la santé publique ;
- que les placements en isolement ou en quarantaine soit une mesure alternative au refus d’entrée si elles sont jugées plus efficaces ;
Elle estime par ailleurs que toute décision de refus d’entrée doit être proportionnée et non discriminatoire et qu’une mesure est considérée comme proportionnée à la condition qu’elle ait été adoptée sur le fondement des recommandations des autorités médicales qui les a considérées comme nécessaire pour atteindre l’objectif de santé publique.
A cet égard, dans un communiqué du même jour (Commission européenne, communiqué, 16 mars 2020), la Commission rappelle que le « manuel Schengen » à l’intention des garde-frontières précise aussi que toute menace pour la santé des citoyens européens, ainsi que toute décision concernant les mesures appropriées à prendre, doivent être évaluées et coordonnées par l’intermédiaire du comité de sécurité sanitaire et notifiées au système d’alerte précoce et de réaction (SAPR), en tenant compte des éventuelles évaluations des risques effectuées par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC).
Remarque : dans les zones d’urgence migratoires comme la Grèce, la Commission européenne préconise le placement en quarantaine de tous migrants arrivant ou secourus jusqu’à la réalisation d’un examen médical obligatoire. Les transferts vers les services d’accueil et d’identification ne devraient avoir lieu qu’après que ces examens se soient avérés négatifs.
Fermeture des frontières intérieures
D’un autre côté, face à la propagation virale, certains États, comme la France, ont décidé de prendre des mesures plus radicales, allant jusqu’à suspendre les vols internationaux. Dans ses directives sur la gestion des frontières, la Commission a toutefois cherché à encadrer ces pratiques.
Elle prévoit notamment que les États membres peuvent réintroduire temporairement des contrôles aux frontières pour des raisons de sécurité intérieure. Par ailleurs, « dans une situation particulièrement critique », un État peut identifier un besoin de réintroduire des contrôles en réaction à un risque de contagion. Ces États doivent alors notifier les mesures prises à la Commission, comme prévu par le code frontières Schengen. Ces mesures devront être proportionnées et prendre en compte la santé des personnes concernées, qui, même si elles sont malades, ne devraient pas systématiquement se voir refuser l’entrée sur le territoire.
Dans son communiqué de présentation, la Commission recommande d’appliquer au cas par cas, et donc au niveau individuel, les dispositions relatives aux conditions d’entrée, et souligne que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures en vue de refuser l’entrée ne doit pas être considérée comme une mesure préventive (ou corrective) appropriée, les mesures de quarantaine étant plus appropriées.
Remarque : l’article 6 paragraphe 1er sous c) du « code frontières Schengen » pose, au nombre des conditions requises pour entrer sur le territoire de l’espace Schengen, que la personne ne puisse constituer notamment une menace pour la santé publique. Pour la Commission, « toute personne qui constituerait une telle menace fera l’objet d’un examen médical ».
A travers ces lignes directrices, la Commission précise que, s’agissant des citoyens de l’Union, les mesures de sauvegarde prévues par la directive sur la libre circulation des personnes doivent être garanties (en particulier le principe de non-discrimination entre nationaux et citoyen de l’Union). Elle demande aussi aux États membres :
- de ne peut pas refuser l’entrée dans l’Union aux citoyens de l’UE ou aux ressortissants de pays tiers qui résident sur le territoire des États membres ;
- de faciliter, pour ces mêmes personnes, le transit pour retourner chez elles ;
Remarque : les États peuvent néanmoins prendre des mesures en cas de retour de zones infectées, si ces mesures sont équivalentes à celles appliquées aux nationaux.
- de faciliter le passage des travailleurs frontaliers (et particulièrement, mais pas uniquement, des personnels de santé).
Ainsi, bien que les considérations de santé publique ne figurent pas en principe au nombre des motifs pour lesquels les États membres peuvent réintroduire temporairement les contrôles aux frontières intérieures, les circonstances n’ayant jamais été anticipées, des contrôles renforcés y sont désormais opérés.
Remarque : c’est notamment le cas, pour la France, des frontières avec l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie, la circulation entre ces États étant limitée à son strict nécessaire. La Suisse, a pour sa part déclarée l’état d’urgence et décidé de fermer ses frontières, seule l’entrée des citoyens Suisses et des personnes disposant d’un permis de séjour ou voyageant pour travailler étant autorisée.

En accord avec les pays en cause, les autorités françaises, ont décidé de renforcer les contrôles aux frontières espagnoles, allemandes et suisses, afin que soit refusée l’entrée de toute personne qui n’entre pas dans l’une des catégories précédemment fixée pour le franchissement des frontières extérieure, auxquelles s’ajoutent, dans le cas particulier des frontières intérieures, les travailleurs frontaliers.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Remarque : tous peuvent justifier de leur qualité sur la base de document d’identité ou de séjour et, le cas échéant, d’une attestation d’employeur.
Cas particulier des frontières françaises

Metttant en partie en oeuvre les directive de la Commission, le gouvernement français a décidé de refuser l’entrée sur son territoire à tous les étrangers, sur le fondement du risque pour la santé publique (Instr., 18 mars 2020), à l’exception :

- des citoyens européens et des ressortissants des pays de l’Espace économique européen, de la Confédération suisse, des micros-États (Saint-Marin, Andorre, Monaco) ou du Royaume-Uni et de leurs enfants ;

- des étrangers qui disposent d’un permis de séjour français ou européen et qui rejoignent leur domicile ou leur famille ;

- des étrangers qui assurent le transport international de marchandise ;

- des professionnels de santé participant à la lutte contre la pandémie.

Remarque : au 20 mars 2020, près de 53 personnes étaient, selon l'Anafe, encore maintenues en zone d’attente sur le territoire français, dont une partie dans des zones sans accès permanent à un poste médical (ANAFE, Lettre ouverte au Premier ministre, 20 mars 2020).

Le Premier ministre énonce toutefois une exception pour les personnes n’étant pas interdites d’entrée, lorsque leur état de santé nécessite une prise en charge sanitaire immédiate et qui seront alors dirigées vers des établissements de soins. 

Suspension de la délivrance des visas pour la France
Le site internet « France-visas » (site officiel des visas pour la France) annonce pour sa part qu’en « raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, la France a suspendu la délivrance de visas jusqu’à nouvel ordre. Cette décision concerne toutes les demandes de visas (visas Schengen de court séjour, visas long séjour pour la France, visas pour les Outre-Mer). Elle s’applique également aux demandes déjà déposées et aux demandes pour lesquelles un rendez-vous a déjà été pris » (Site https://france-visas.gouv.fr/).
Séjour et asile
Fermeture des services d’accueil des étrangers
D’une manière générale, comme cela ressort de la consultation des sites internet des préfectures, l’accueil des étrangers est suspendu. Seuls les guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) seraient maintenus.
Remarque : cela signifie que les services de pré-accueil des demandeurs d’asile (SPADA) devraient rester ouverts.

Toutefois, un décret du 20 mars 2020 modifiant le décret du 19 mars portant réglementation des déplacements, prévoit, au titre des déplacement autorisés, l’obligation de répondre aux convocations de police administrative. Ainsi, toute personne régulièrement convoquée qui n’a pas reçu de contre-ordre ne pourrait donc se retrancher derrière l’obligation de confinement pour s’y soustraire (D. n° 2020-279, 19 mars 2020, art. 1er mod. D. n° 2020-260 : JO, 20 mars).

Remarque : ainsi, les personnes assignées à résidence ne sont en principe pas dispensées de se présenter au commissariat ou à la gendarmerie.
Suspension de l'accueil du public à l'Ofii
De son côté, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) a annoncé sur son compte twitter (https://twitter.com/OFII_France/) la suspension de toutes les procédures d’accueil du public en dehors de la procédure d’asile.
Les plateformes d’accueil des Contrat d’intégration républicaine (CIR), les visites médicales et les rendez-vous « étrangers malades » sont ainsi suspendus.
Prolongation de la durée de validité des titres de séjour
Le ministère de l’intérieur a annoncé le 16 mars, dans un communiqué, que la validité des documents suivants, « qui arriveraient à échéance après cette date », sera prolongée de trois mois :
- visas de long séjour ;
- titres de séjour, à l’exception des « titres de séjour spéciaux » délivrés aux personnels consulaires et diplomatiques ;
- autorisations provisoires de séjour ;
- attestations de demande d’asile ;
- récépissés de demande de titre de séjour.
Reprenant cette annonce, le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (adopté par le Sénat le 19 mars 2020 et qui, compte tenu de circonstances, devrait être adopté très rapidement par l'Assemblée nationale), prévoit notamment (article 10) que, « dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé dans un délai d’un mois à compter de la publication de la [...] loi, à prendre des mesures visant à prolonger par ordonnance la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020, dans la limite de cent quatre-vingts jours ».
Remarque : un projet de loi de ratification devra être déposé devant le parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’ordonnance.
Fonctionnement a minima pour l’Ofpra, plus d’audience à la CNDA
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) indique pour sa part, sur son site internet (www.ofpra.fr), que l’accueil des personnes protégées sera fermé « au moins jusqu’au 29 mars ».
Aucun document d’état civil ne pourra être délivré dans ses locaux. Toutefois, l’activité d’état civil se poursuit et les personnes protégées ont la possibilité de demander la délivrance d’actes d’état civil (acte de naissance, de mariage, de décès) en ligne via un formulaire dédié sur le site de l’Ofpra.
Par ailleurs, concernant les demandeurs d’asile et d’apatridie, tous les entretiens qui étaient prévus entre le 16 mars et le 29 mars 2020 sont annulés et reportés à une date ultérieure. Seuls les entretiens qui auront été expressément confirmés par l’Ofpra, par courrier postal ou e-mail, pourront, à titre exceptionnel, effectivement avoir lieu.
L’Ofpra maintient en revanche l’enregistrement des demandes d’asile. Ceux qui se trouvent à cette étape de la procédure sont donc invités à introduire leur dossier dans les conditions habituelles (par voie postale). Ils recevront en retour une lettre confirmant le dépôt de leur demande d’asile.
De son côté, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) indique simplement, sur son site internet (www.cnda.fr), que les audiences sont suspendues jusqu’à nouvel ordre.
Éloignement
Justice au ralenti et viso-conférence
Si les déplacements  d’une convocation émanant d’une juridiction administrative ou de l’autorité judiciaire sont admis (D. n° 2020-279, 19 mars 2020, art. 1er mod. D. n° 2020-260 : JO, 20 mars), le fonctionnement des juridictions dépend principalement des décisions des chefs de juridiction. Des plans de continuation d’activité (PCA) ont été institués.
Devant les juridictions administratives, l’accueil physique est suspendu, mais les recours et autres actes peuvent être déposés dans les boîtes recevant le courrier horodaté. Seules les audiences collégiales sont renvoyées. Le Conseil d’État a, pour sa part, suspendu toutes ses audiences, à l’exception des référés, en imposant la présence d’un minimum de personnes à ces dernières. Les requêtes ne peuvent y être transmises que par l’interface Télérecours, par fax ou par courrier. Pour chacune des autres juridictions administratives, il convient de se référé au site internet pour connaître les mesures prises et applicables.
En ce qui concerne les juridictions judiciaires, une circulaire du garde des Sceaux a précisé les modalités des PCA (Circ., 14 mars 2020, NOR : JUSD2007740C). Les procédures d’urgence sont maintenues ainsi que celle visant la protection des personnes vulnérables.
En matière de contentieux des étrangers la garde des Sceaux encourage le recours à la visio-conférence devant le juge des libertés et de la détention, lorsque ce magistrat est saisi :
- d’une demande de prolongation du maintien en zone d’attente (C. étrangers, art. L. 222-4) ;
 
- d’une demande de prolongation de la rétention (C. étrangers, art. L. 552-12 et R. 552-8) ;
 
- d’un recours contre une décision de placement en rétention (C. étrangers, art. L. 512-1, III) ;
 
- d’une contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative prise en application de l’article L. 551-1 du Ceseda (C. étrangers, art. R. 552-10-1, R. 552-8 et L. 552-12.
La ministre souligne également qu’en cas d’appel à l’encontre de ces décisions, l’audience peut de la même manière se dérouler avec l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle.
Elle rappelle à cet égard qu’il « suffit d’une simple décision en ce sens du juge des libertés et de la détention ou du premier président ou de son délégué, prise sur une proposition de l’autorité administrative » ainsi que les modalités de mise en œuvre (confidentialité de la transmission, établissement dans chacune des deux salles d’un procès-verbal des opérations effectuées, dispense de l’accord de l’étranger).
A Paris, le fonctionnement de la cour d’appel statuant en matière de rétention reste inchangé (CA Paris, Ordonnance de roulement modificative, 16 mars 2020).
Suspension des mesures d’éloignement
Le gouvernement français ayant annoncé la suspension de tous les vols internationaux en provenance et à destination des pays tiers, le réacheminement des étrangers est suspendu jusqu’à nouvel ordre. Il en résulte notamment que, faute de perspective raisonnable d’éloignement, le maintien en rétention des étrangers frappés d’une mesure d’éloignement ne devrait plus être possible.
C’est en tout cas ce qu’a pu décider un conseiller près la cour d’appel de Paris qui, par une ordonnance du 16 mars 2020, a rejeté un appel suspensif du procureur de la République contre une ordonnance de remise en liberté. Le magistrat a en effet estimé que, conformément aux directives de l’Organisation mondiale de la santé, il convenait de limiter l’exportation de la maladie et que, en conséquence de la fermeture des frontières induites par ces directives, les réacheminements étaient supprimés (CA Paris, ord., 16 mars 2020, RG 20/01182).

Cette position est désormais partagée par un grand nombre de juges des libertés et de la détention, qui refusent la prolongation des mesures de rétention :

- parce qu’il n’existe plus, dans ces conditions, des perspectives raisonnables d’éloignement (JLD Bordeaux, Ord., 17 mars 2020, n° 20/02242) en raison notamment de la fermeture des services consulaires (JLD Lyon, Ord. 18 mars 2020, n° 20/00612) ;

- parce qu’il est établi que le pays de destination a fermé ses frontières (JLD Toulouse, 19 mars 2020, n° 20/00644) ;

- parce que la mise à exécution d’une mesure d’éloignement apparaît être une mesure disproportionnée par rapport au but poursuivi, car elle fait courir un risque de propagation du virus dans les pays de renvoi (JLD Paris, Ord., 15 mars 2020, n° 20/00966 ; CA Rouen, Ord., 17 mars 2020, n° 20/01226)

Remarque : en attendant de voir d’autres juridictions se prononcer, la garde des Sceaux a, dans sa circulaire visant à adapter l’activité des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie (voir ci-dessus), compté les procédures de prolongation de la rétention des étrangers parmi les contentieux devant être maintenus.
Cour européenne des droits de l’homme
Du côté de la Cour européenne des droits de l’homme, le délai de saisine de la cour est suspendu pendant une période d’un mois. En revanche, des mesures ont été prises pour que les procédures d’urgence prévues à l’article 39 du règlement soient maintenues (CEDH, Communiqué de presse, 16 mars 2020).
Christophe Pouly, avocat
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