Coronavirus : une majorité de refus et quelques prolongations de rétention

25.03.2020

Droit public

Peu à peu, les cours d'appel refusent les demandes de prolongation de rétention ou font droit aux demandes de remises en liberté. Certains premiers présidents semblent toutefois considérer que le maintien reste possible et que, même si les perspectives d'éloignement se réduisent, toute possibilité n'est pas écartée.

Depuis le 17 mars 2020, date de l’officialisation du confinement en France, toujours plus nombreuses sont les cours d’appel qui ordonnent, en relevant différents motifs en lien avec la pandémie de Coronavirus, la remise en liberté des étrangers maintenus en centre de rétention administrative. 
Les juridictions n’ont toutefois pas toutes réagi de la même manière et au même rythme. Ainsi, alors que les juges de Paris prenaient l’affaire au sérieux dès le 16 mars 2020 en raison de la situation sanitaire (CA Paris, 16 mars 2020, n° 20/01159), d’autres juridictions pouvaient encore considérer, à cette date, que la situation ne justifiait pas de mesures particulières (CA Aix-en-Provence, 16 mars 2020, n° 20/00324 ; CA Colmar, 16 mars 2020, n° 20/01142), alors même que la problématique du Covid-19 justifiait déjà la non-comparution des retenus (CA Aix-en-Provence, 16 mars 2020, n° 20/00324).
Au-delà, on constate également que certains magistrats maintiennent des mesures de rétention, malgré le contexte et la jurisprudence des autres cours, opposant une logique contraire sur les mêmes thématiques.
Une situation qui révèle que, alors que le juge des référés du Conseil d'État vient de rejeter une demande de fermeture de l'ensemble des centres de rétention (CE, réf., 27 mars 2020, n° 439720), les préfectures continuent de procéder à des placements en rétention et à des demandes de prolongation.
Remarque : en effet, pour la Haute juridiction, les conditions de fonctionnement des centres de rétention ne portent pas atteinte, pour les personnes retenues et pour les personnels, au droit au respect de la vie ou au droit de recevoir les soins et les placements restent justifiés au regard des perspectives d’éloignement. Elle rappelle toutefois que c’est au juge des libertés et de la détention, compétent pour mettre fin à la rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit, d’en décider (v. p. XX). 
Audience sans retenus
Pour certains juges, la pandémie justifie en premier lieu que les retenus ne soient plus extraits des centres de rétention ni même ne participent à l'audience.
Elle constitue en effet une circonstance insurmontable en raison de « la nécessité de prévenir et de lutter contre l'épidémie, [de] la fragilisation des effectifs de la PAF ne permettant pas d'envisager un transport des retenus ».
Par ailleurs, si certains juges ont pu mettre en œuvre cette visio-conférence (CA Douai, 18 mars 2020, n° 20/00473 ; CA Toulouse, 23 mars 2020, n° 20/00279), pour d’autres, l'absence de fonctionnement satisfaisant de la liaison entre le Palais de justice et le centre de rétention, ainsi que le nombre d'appels reçus, constituent des circonstances insurmontables pouvant justifier l'absence de comparution du retenu (CA Rennes, 19 mars 2020, n° 20/01229 ; CA Aix-en-Provence, 19 mars 2020, n° 20/00344 ; CA Rouen 17 mars 2020, n° 20/01227).
D'autres juges ont pu statuer en l'absence de l'étranger, considérant que le fait qu'il n'a pas été présenté à l'audience « en application du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 à valeur normative » ne constitue pas une irrégularité de la procédure (CA Paris, 24 mars 2020, n° 20/01312)
Remises en liberté
Au regard de considérations sanitaires
Pour certains juges, les mesures barrière recommandées pour lutter contre l'épidémie de coronavirus ne sont pas suffisamment respectées dans les centres de rétention administrative pour contrer la propagation de ce virus qualifié de pandémie mondiale, ce qui justifie la mainlevée de la mesure (CA Rouen 17 mars 2020, n° 20/01227).
Remarque : cette analyse a été contredite par les constatations du Conseil d'État.
D’autres ont pu considérer que le risque de dissémination de la maladie, par l’exécution des mesures d’éloignement, va à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (CA Paris, 16 mars 2020, n° 20/01179 ; CA Paris, ord., 17 mars 2020, n° 20/01206), notamment dans le pays de destination (CA Rouen 17 mars 2020, n° 20/01227), ce qui impose la mise en œuvre de mesures pour limiter le risque d'exportation ou d'importation de la maladie.
Le risque que fait peser sur le retenu la pratique des confinements dans des structures collectives dans le pays de destination a aussi été pris en compte (CA Rennes, 19 mars 2020, n° 20/00129).
Censurant un préfet qui avait placé en rétention un étranger « aux fins de sa mise en sécurité dans un lieu permettant le confinement imposé par les risques de propagation du Covid-19 », la cour d'appel de Bordeaux a par ailleurs pu rappeler que « la protection des personnes sans domicile ne figure pas parmi les motifs prévus par le Ceseda » pour ordonner le maintien en rétention et qu'« il n'appartient pas à l'administration de se préoccuper du confinement des personnes qui se trouvent en dehors d'un centre de rétention administrative » (CA Bordeaux, 24 mars 2020, n° 20/00067).
En l’absence de perspective d'éloignement
Le plus souvent, c’est l’absence de perspective d’éloignement, en raison de la fermeture des frontières et de la suspension d’une grande partie du trafic aérien qui justifie, en dernière analyse, la mainlevée des mesures de rétention.
Il existe donc une absence de perspective d’éloignement vers certains pays qui ont suspendu toutes liaisons maritimes et aériennes avec la France et fermé leurs frontières, comme pour le Maroc, l’Algérie et la Tunisie (CA Aix-en-Provence, 19 mars 2020, n° 20/00344 ; CA Lyon, 24 mars 2020, n° 20/02200), les Comores (CA Aix-en-Provence, 18 mars 2020, n° 20/00342), la Russie (CA Aix-en-Provence, 17 mars 2020, n° 20/00331), la Géorgie (CA Rennes, 20 mars 2020, n° 20/00122), la Roumanie (CA Douai, 22 mars 2020, n° 20/00528), le Liban (CA Rennes, 20 mars 2020, n° 20/00130), le Nigéria (CA Aix-en-Provence, 23 mars 2020, n° 20/00352), l’Egypte (CA Douai, 22 mars 2020, n° 20/00526) et la Côte d’Ivoire (CA Toulouse, 23 mars 2020, n° 20/00279).
Une absence de perspective d’éloignement pour les transferts « Dublin », a également été reconnue pour le Portugal (CA Aix-en-Provence, 19 mars 2020, n° 20/00345), Malte (CA Rouen, 17 mars 2020, n° 20/01226), l’Allemagne (CA Toulouse, 17 mars 2020, n° 20/00222) ou l’Italie (CA Paris, ord., 17 mars 2020, n° 20/01206).
La fermeture de l’aéroport d’Orly a aussi été jugée comme constituant un obstacle à la mise en œuvre de l’éloignement (CA Paris, 17 mars 2020, n° 20/01190).
De fait, la situation générale (et notamment la fermeture des frontières de l’espace Schengen pour 30 jours, v. p. XX) laisse présumer qu'aucun laissez-passer ne peut être délivré et qu'aucun acheminement vers les pays requis ne peut être réalisé dans un délai qui reste indéterminé (CA Aix-en-Provence, 19 mars 2020, n° 20/00344 ; CA Douai, 22 mars 2020, n° 20/00534 ; CA Aix-en-Provence, 23 mars 2020, n° 20/00355 ; CA Bordeaux, 24 mars 2020, n° 20/00069).
En cas d’erreur manifeste d’appréciation
La cour d’appel de Rouen a pour sa part relevé une erreur d’appréciation du préfet qui a placé l’intéressé en rétention « en cette période de problèmes sanitaires graves, le contrôleur des lieux de privation de liberté venant de rappeler que, compte tenu des conditions dans lesquelles sont hébergées les personnes retenues, l'État manque à son obligation de protéger à la fois ses agents et les personnes qu'il a lui-même placées sous sa garde » (CA Rouen, 18 mars 2020, n° 20/01232).
Maintiens en rétention
Une appréciation au cas par cas
Certains juges refusent toutefois de camper sur une position de principe, estimant que la situation actuelle n’empêche pas, dans l’absolu, d’éloigner les étrangers.
Ainsi, la cour d’appel de Toulouse a jugé que si le président de la République avait annoncé la fermeture des frontières y compris de l'espace aérien de la zone Schengen pendant une période d'au moins trente jours,  « cette annonce n'exclut pas toutefois que par des mesures spéciales prises en concertation avec les pays tiers, l'administration puisse mettre en œuvre les mesures d'éloignement à condition qu'elle justifie des diligences entreprises qui ne peuvent se limiter compte tenu de ce contexte, à la seule saisine des autorités consulaires ».
Il suffit donc au préfet de justifier de diligences complémentaires et adéquates pour qu’il soit fait droit à sa demande (CA Toulouse, 18 mars 2020, n° 20/00225).
Refus de se prononcer sur les perspectives d’éloignement
Enfin, certains juges ont décidé d’ignorer les positions prises par leurs collègues en s’appuyant sur des arguments dont la pertinence peut parfois laisser dubitatif.
Ainsi, une part d’entre eux considère qu’il ne relève pas de leurs prérogatives de se prononcer sur les perspectives d'éloignement (CA Douai, 18 mars 2020, n° 20/00473) et que la question des risques encourus en cas de renvoi ne relève pas de l'appréciation du juge judiciaire (CA Rennes, 19 mars 2020, n° 20/00129).
Considérations sanitaires
D’autres estiment « que le risque de contracter le virus Covid-19 pour une personne déjà retenue dans un centre de rétention administrative, en cette période spécifique de pandémie mondiale n'est pas plus important que si cette même personne était à l'extérieur, dès lors qu'il est acquis que les admissions en provenance de l'extérieur, potentiellement génératrices de risque, sont, elles, provisoirement inexistantes » (CA Douai, 20 mars 2020, n° 20/00500).
La même cour estime encore que l'étranger « qui se domicilie à Paris » (en l’espèce) est par ailleurs « susceptible de mettre en danger sa propre santé et celle de ses proches en dehors de l'espace de confinement que constitue le centre de rétention administrative. Ainsi, le maintien du placement en rétention administrative est en l'espèce conforme au principe d'ordre public sanitaire imposant le confinement maximum de chacun » (CA Douai, 20 mars 2020, n° 20/00511).
Dans la même logique, la cour d’appel de Rouen considère que « les risques de contamination ne sont pas plus accrus au sein du CRA qu'à l'extérieur du centre, d'autant que le nombre d'étrangers retenus a diminué [et qu’à] l'occasion des repas, les retenus sont seuls à table, disposés en quinconce et selon la distance préconisée » (CA Rouen, 23 mars 2020, n° 20/01240).
Caractère évolutif de la situation au regard des perspectives d’éloignement
S'agissant des perspectives d'éloignement, certains juges estiment que, si « le nombre de vols a été réduit par les compagnies aériennes, il n'est pas établi que tous les vols hors de France soient annulés ». Ils considèrent également que, si les vols sont suspendus à destination du pays de renvoi, « cette circonstance, qui n'est pas imputable à l'administration, ne peut suffire à caractériser en l'état l'absence totale de perspective d'éloignement dans le délai de la prolongation de la rétention ». Et de conclure qu’il « ne peut être présumé que la mesure d'éloignement ne pourra pas être mise à exécution dans le délai légal, la situation étant évolutive » (CA Rouen, 18 mars 2020, n° 20/01233 ; CA Douai, 20 mars 2020, n° 20/00500 ; CA Rouen, 23 mars 2020, n° 20/01240).
Même position lorsqu'un laissez-passer a été délivré (ici par les autorités irakiennes) et qu'une reconduite est prévue  « ce 24 mars », « de sorte que même si la fermeture des frontières françaises avec les autres pays de l'espace Schengen pour une durée de 30 jours renouvelable et le refus d'admission en provenance de la France de la plupart des pays étrangers extérieurs à l'espace Schengen réduisent très fortement ces perspectives d'éloignement », le maintien est justifié (CA Douai, 22 mars 2020, n° 20/00520).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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