Cryothérapie : la Chambre criminelle gèle les ardeurs des instituts de beauté

20.03.2023

Droit public

Qu'elle ait ou non une visée curative, la cryothérapie pratiquée par les personnels des instituts de beauté constitue un exercice illégal de la médecine, dès lors qu'elle aboutit à une destruction des téguments.

Dans un arrêt du 31 janvier 2023, la Chambre criminelle précise sa position relative à la pratique de la cryolipolyse, et plus largement de la cryothérapie, par les personnels des instituts de beauté. Cette technique constitue, peu importe qu’elle ait ou non une visée curative, un exercice illégal de la médecine, dès lors qu’elle a pour effet d’aboutir à une destruction des téguments.

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Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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En l’espèce, un médecin est poursuivi devant la juridiction correctionnelle par deux conseils départementaux de l’Ordre des médecins et par le Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice, pour avoir délivré des formations et vendu du matériel de cryolipolyse et de micro-needling à des instituts de beauté, faits qualifiés d’exercice illégal de la médecine. Plusieurs patientes ont subi des brûlures du second degré à la suite de ces pratiques.

En première instance, le médecin est déclaré coupable pour les faits portant sur les actes de micro-needling et relaxé pour ceux relatifs à la cryolipolyse. En appel, il est déclaré coupable pour l’ensemble des faits. Il se pourvoit en cassation, invoquant le but exclusivement esthétique de la cryolipolyse et l’absence d’abrasion des téguments devant résulter du micro-needling. Son pourvoi est rejeté.

La cryolipolyse consiste en une action destinée à réduire la cellulite et à détruire les tissus adipeux par l'application, sur les adipocytes, qui constituent les cellules graisseuses du tissu sous-cutané, d'un froid auquel elles sont très sensibles, sans risque de détérioration des tissus adjacents. En l’occurrence, le prévenu a vendu aux instituts d’esthétique des machines non bridées, en principe réservées aux médecins. La Chambre criminelle relève que leur usage a pour effet une abrasion des téguments, peu importe que ces actes n’aient poursuivi qu’un objectif esthétique, et écarte donc le grief.

En effet, l’article L. 4161-1 du Code de la santé publique, qui réprime l’exercice illégal de la médecine, vise toute personne qui, ne remplissant pas les conditions de titre, d’inscription au tableau ou d’autorisation pour exercer la médecine, prend part habituellement à des actes de diagnostic ou de traitement mais aussi celle qui, ne remplissant pas les conditions susvisées, « pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l'Académie nationale de médecine ».  Dans cette deuxième situation, le critère d’habitude n’est pas requis pour la commission du délit.

L’arrêté en question est celui du 6 janvier 1962 (dans sa version mise à jour) « fixant liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins ».

Le 4° de l’article 2 de cet arrêté réserve aux docteurs en médecine « Tout acte de physiothérapie aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, et notamment la cryothérapie, l'électrolyse, l'électro-coagulation et la diathermo-coagulation ».

Ici, les actes de cryolipolyse sont bien des actes de physiothérapie et ont eu pour effet la destruction des téguments.

Le micro-needling est une technique qui consiste à réaliser, dans les différentes couches du derme, des micro-perforations à des profondeurs et vitesses variées, pour stimuler la synthèse des fibroblastes, responsables de la qualité de la peau, afin qu'ils produisent élastine et collagène. L’arrêt entrepris souligne qu'il peut en résulter des saignements en cas de traitement en profondeur.

Le 6° de l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 réserve aux docteurs en médecine « 6° Toute abrasion instrumentale des téguments à l'aide d'un matériel susceptible de provoquer l'effusion du sang (rabotage, meulage, fraisage) ».

La Chambre criminelle relève que par la technique du micro-needling, ont été exécutés, par des personnes non titulaires d'un doctorat en médecine, des actes d'abrasion instrumentale des téguments à l'aide d'un matériel susceptible de provoquer l'effusion du sang, peu importe que le matériel utilisé soit destiné à l'abrasion des téguments et agisse exclusivement par rabotage, meulage ou fraisage. En vendant du matériel de micro-needling susceptible de produire cet effet, le prévenu s’est donc rendu complice du délit d’exercice illégal de la médecine.

Ainsi, quelle que soit la technique employée, ce qui importe, pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation, est que l’effet produit par cette technique entre dans les prévisions de l’arrêté du 6 janvier 1962. Le but, curatif ou à l’inverse purement esthétique, poursuivi par celui qui la met en œuvre est indifférent à la commission du délit d’exercice illégal et, par-là même, à la complicité de ce délit.

Le doute avait pu être induit par l’arrêt n° 21-84.951 rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 10 mai 2022. Dans cet arrêt, après avoir indiqué que la cryothérapie « à des fins médicales » est un acte réservé aux médecins par l’arrêté du 6 janvier 1962 dès qu’il aboutit à la destruction des téguments et réservé aux masseurs-kinésithérapeutes, sur prescription médicale, s’il n’a pas cet effet, la Chambre criminelle casse et annule, en ses dispositions déclarant irrecevables la constitution de partie civile de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nancy. Pour ce faire, la Haute Cour relève le motif inopérant tenant au caractère maladroit de la publicité présentant la « cryothérapie corps entier » comme ayant des vertus antalgiques et curatives. Elle constate ensuite la contradiction de motifs dont l’arrêt de la cour d’appel est empreint, celle-ci ayant retenu que les actes de cryothérapie pour lesquels le prévenu comparaissait ne poursuivaient pas de but thérapeutique, tout en constatant qu’il avait déclaré proposer des séances pour soulager des douleurs.

Cependant, la Chambre criminelle n’indique pas clairement, dans cet arrêt, que la cryothérapie pratiquée par des non-médecins est légale dès lors qu’elle ne poursuit aucun but curatif.

Dans un autre arrêt du 10 mai 2022 (n° 21-83.522), la Chambre criminelle décide que la cryothérapie pratiquée par des esthéticiennes relève bien des pratiques réservées aux médecins par le 4° de l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 et constitue, comme telle, un exercice illégal de la médecine. Si un débat a eu lieu devant la Cour d’appel sur le point de savoir si cette pratique poursuivait, en l’occurrence, une visée curative, la Chambre criminelle, dans l’énoncé des motifs, ne semble plus faire cas de cette question puisqu’elle se contente d’affirmer que « le procédé utilisé, qui consistait en un acte de physiothérapie par cryothérapie aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, relevait des actes dont l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 réserve la pratique aux docteurs en médecine ». 

Le doute n’est, en tout cas, plus permis à la lecture de l’arrêt du 31 janvier 2023 puisque la Chambre criminelle écarte explicitement le grief tenant au but purement esthétique poursuivi.

Elle se conforme ainsi au principe d’interprétation stricte de la loi pénale. En effet, le 1° de l’article L. 4161-1 du code de la santé publique vise deux catégories d’actes bien distinctes : la première, consistant à prendre part de façon habituelle à des actes de diagnostic et de traitement, implique nécessairement que ces actes aient une visée curative, peu importe leur efficacité réelle. En revanche, pour la deuxième catégorie, tenant en l’accomplissement d’actes réservés aux médecins par un arrêté pris après avis de l’Académie nationale de médecine (l’arrêté du 6 janvier 1962), le législateur n’a nullement exigé ce critère. C’est le caractère potentiellement dangereux de ces actes, lorsqu’ils sont réalisés par des personnes non habilitées, qui a conduit le législateur à en réprimer l’accomplissement.

La cryolipolyse étant une technique de cryothérapie, la situation est désormais parfaitement claire : elle ne peut être pratiquée par des non-médecins dès lors qu’elle est réalisée à l’aide d’appareils pouvant avoir pour effet (même si ce n’est pas le but recherché) une abrasion des téguments. Il en va de même du micro-needling. Reste à savoir si ces techniques peuvent atteindre l’objectif escompté lorsqu’il est recouru à du matériel insusceptible de provoquer une abrasion des téguments et si, dès lors, elles peuvent être mises en œuvre par les instituts d’esthétique sans tomber sous le coup d’autres préventions pénales concernant les pratiques trompeuses ou la publicité mensongère.

Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse
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